Cour des Comptes
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Chapitre II |
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Section III |
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La
Cour des comptes, à laquelle le code des juridictions financières donne
compétence pour contrôler tout ou partie des comptes et de la gestion de
certaines associations, notamment de celles qui bénéficient de concours
financiers de l’État, s’est de longue date intéressée aux relations
qu’entretiennent les collectivités publiques et les associations. Ses
rapports publics en témoignent, qui contiennent tous des insertions traitant
de ces relations [1].
[1] Ainsi en 1999 (« L’intervention
de l’État en faveur du développement de l’économie sociale »,
« Bilan de deux opérations de relogement d’urgence de familles mal
logées ou sans abri », « L’État et les associations dans le secteur
culturel »), en 1998 (« Les structures d’insertion par
l’économique »), en 1997 (« Les associations subventionnées par la
DATAR », « L’Association pour la formation professionnelle des
adultes »), en 1996 (« La politique du livre au ministère de la
culture »), en 1995 (« La mise en œuvre par l’État des moyens
consacrés à la politique de la ville ») ou en 1994 (« Structures
administratives et gestion des crédits du ministère des affaires
étrangères », « La formation des conseillers prud’hommes »). À
l’approche de la célébration du centenaire de la loi du 1er juillet 1901
relative au contrat d’association, nombreux sont les signes de l’intérêt manifesté
pour ce sujet par les juridictions et corps de contrôle : rapport du
Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics sur
le « Contrôle par l’État des associations subventionnées »
en 1998, rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur la
« Pratique des subventions aux associations dans les directions du
ministère de l’emploi et de la solidarité » en 1999,
« Réflexions du Conseil d’État sur les associations et la loi
de 1901 cent ans après » en 2000. D’autres
manifestations de l’intérêt croissant porté au monde associatif peuvent être
relevées : des « Assises nationales de la vie associative » se
sont tenues en février 1999, la loi du 12 avril 2000 relative
aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration contient
notamment des dispositions relatives aux associations subventionnées. La
Cour a, quant à elle porté, son attention sur l’intervention des associations
dans le domaine des politiques sociales. Qu'il s'agisse du soutien à la
formation professionnelle, de l'insertion professionnelle et sociale de
publics prioritaires, de la promotion de l'emploi, de la lutte contre
l'exclusion ou du développement du travail social, ces politiques se sont, en
effet, largement construites en France par la convergence des travaux du
législateur et des initiatives de groupes de citoyens s’associant pour
améliorer la vie collective ou les conditions d’insertion de l’individu dans
la société. L’action associative a parfois précédé l’intervention des
pouvoirs publics, faisant émerger de nouveaux besoins ; l’État a nourri
sa réflexion de l’expérience acquise par le monde associatif et recourt de
plus en plus à celui-ci pour élaborer ou mettre en œuvre les politiques
publiques. Le Premier ministre a, dans une récente circulaire en date du
14 septembre 1998 relative au développement de la vie associative,
pris acte de ces interactions : « De façon croissante, les
associations ont développé des activités ayant à la fois une dimension
économique et une utilité sociale pour réaliser leurs projets associatifs.
Des lois récentes, telles la loi relative au développement d’activités pour
l’emploi des jeunes ou la loi relative à la lutte contre les exclusions, font
des associations des partenaires essentiels des pouvoirs publics ». Pour
ce qui concerne les relations entre l’État et les associations œuvrant dans
le champ des politiques sociales, la Cour a examiné les évolutions que l’on
peut observer par rapport à la situation qu’elle a décrite et critiquée à de
multiples reprises, situation caractérisée notamment par l’absence de
recensement des associations subventionnées, par une définition souvent peu
satisfaisante des relations juridiques et financières entre autorités
publiques et organismes associatifs et par des insuffisances dans le contrôle
effectif de l’emploi des fonds mis à la disposition des associations. |
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I. - La
connaissance imparfaite du recours croissant aux associations |
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A
ce jour, nul n’est en mesure de dire combien d’associations interviennent
dans le champ des politiques sociales, ni même combien d’associations
bénéficient à ce titre de concours financiers de l’État. Il n’existe en effet
aucun recensement des associations en activité, mais uniquement un relevé du
nombre total de déclarations annuelles en préfecture (60 000 à
70 000 par an depuis une dizaine d’années, tous domaines d’activité
confondus) : l’augmentation continue du nombre des créations d’associations
depuis de nombreuses années fait supposer que le nombre des associations en
activité s’accroît. Mais comme le soulignait la Cour, dans le rapport public
de 1999, à propos de l’intervention de l’État en faveur du développement
de l’économie sociale, « Malgré l’intérêt suscité par l’économie
sociale, ni le Parlement, ni le gouvernement, ni la recherche publique, ni
les organismes professionnels, ne disposent d’un outil statistique permettant
de bien connaître ses structures, le nombre de salariés concernés et ses secteurs
d’intervention ainsi que de mesurer l’origine, le volume, la nature et la
répartition des aides publiques qui lui sont octroyées ». On
doit en conséquence se contenter de citer les estimations couramment
avancées : 700 000 à 800 000 associations en activité,
quelque 100 000 dans le champ sanitaire et social, dont une majorité dans
le seul champ social. La
situation, sur le plan du simple recensement, n’est donc pas satisfaisante.
Certes, conformément aux dispositions de l’article 41 de la loi de
finances pour 1962 (loi du 27 décembre 1961) modifié par
l’article 14 de la loi de finances rectificative pour 1986 (loi du
30 décembre 1986), le gouvernement publie « tous les deux ans,
(…) pour chaque ministère, la liste des associations ayant reçu directement
sur le plan national, au cours des deux années précédentes, une subvention à
quelque titre que ce soit ». La
dernière année pour laquelle on dispose de cette annexe budgétaire est 1998,
et il y est fait état de quelque 10 000 associations « directement
financées sur le plan national » par l’ensemble des ministères, en 1995
ou en 1996 [2] . Mais cette liste n’inclut pas les associations recevant des
financements provenant d’établissements publics, d’organismes de sécurité
sociale, ou d'autres organismes eux-mêmes subventionnés par l’État, tels des
associations et des groupements d’intérêt public. Elle n’inclut pas non plus
les subventions versées par l’État lui-même au niveau déconcentré. Ce sont
donc notablement plus de 10 000 associations qui sont financées
au seul niveau national.
[2] A la fin de l’année 2000 a été publiée la
liste des associations ayant reçu des subventions en 1997 ou 1998 Dans l’ensemble des associations recensées dans le document budgétaire, celles qui bénéficient de subventions au titre des politiques sociales sont au nombre de 1300 environ, et reçoivent près de 5 MdF. Si
le montant moyen des subventions qui figurent dans le document
budgétaire n’est pas négligeable – de l’ordre de 500 000 F
par association, il varie entre des extrêmes considérables : 1 275 F
pour une association départementale d’anciens prisonniers de guerre du
Calvados, plus de 4 MdF (609,8 milliards d’euros) pour l’AFPA (Association
nationale pour la formation professionnelle des adultes). C’est que le
recours de l’État aux associations recouvre des réalités très diverses. |
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II. - Les
réalités diverses que recouvre le recours de l’État aux associations |
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Les
liens entre la puissance publique et les associations du secteur social sont
importants et complexes. Les associations ne sont pas seulement considérées
comme des acteurs importants de la vie collective, mais aussi comme les
vecteurs possibles de l’action publique dans de très nombreux domaines
d’intervention : des pans entiers des politiques sociales leur sont
confiés par l’État. Ce transfert s’applique notamment à la plus grande part
des politiques de lutte contre les exclusions, de promotion des droits de la
femme, de lutte contre la drogue. Le monde associatif du secteur social et
l’administration entretiennent des rapports étroits. Il existe néanmoins une
grande variété dans les relations ainsi nouées. La grande
majorité des associations naissent de l’initiative de personnes privées, mais
certaines sont créées à l’initiative de collectivités publiques, dont l’État.
Aux deux extrêmes quant à l’importance des concours financiers venant de
l’État se situent, d’une part les associations « fictives »,
simples démembrements de celui-ci tournant parfois les règles de la
comptabilité publique, d’autre part des associations financièrement
indépendantes, telles certaines associations faisant appel à la générosité du
public - notamment pour soutenir la recherche. La puissance financière de ces
dernières est telle qu’elles rivalisent avec l’État quant aux moyens
attribués à certains domaines de la recherche publique, sans pour autant
pratiquer toujours la transparence, comme l’a parfois relevé la Cour. Entre
ces deux cas opposés, on peut identifier divers degrés d’interdépendance
entre l’État et les associations au financement desquelles il contribue. Tout
d’abord, l’État participe au financement d’associations dont il considère les
objectifs comme socialement utiles et méritant à ce titre d’être soutenus.
Son soutien financier peut être symbolique ou plus significatif. Bon nombre
d’associations assurent d’ailleurs un rôle d’intermédiation entre
l’administration et ses usagers les plus démunis. Ainsi en est-il de l’aide
juridique aux demandeurs d’asile [3] . [3] Voir, en 2ème partie, chapitre
III, l’observation relative à l’accueil des demandeurs d’asile et à l’intégration
des réfugiés L’association
peut aussi être une forme juridique permettant de regrouper l’État et des
collectivités territoriales, ou les partenaires sociaux. Ainsi, dans le cadre
de la décentralisation se sont créées de nombreuses associations regroupant
des collectivités publiques, en particulier dans le domaine de la politique
de la ville ou dans celui de l’accueil et l’orientation des jeunes [4] . Le dispositif
institutionnel du régime d’assurance chômage, mis en place par les
partenaires sociaux en 1959 et qui supporte l’essentiel des dépenses
d’indemnisation du chômage, repose également sur des associations : une
soixantaine d’associations [5] réparties sur l’ensemble
du territoire, et l’UNEDIC (Union pour l’emploi dans l’industrie et le
commerce) à vocation nationale et coordonnant l’ensemble des ASSEDIC [6] . La jurisprudence du
Conseil d’État et de la Cour de cassation n’a toutefois pas reconnu à ces
organismes l’exercice d’une mission de service public - bien qu’ils disposent
de prérogatives de puissance publique. [4] Voir, en 2ème partie, chapitre IV, l’observation relative
à ce réseau. [5] Les
ASSEDIC (Associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce), le GARP
(Groupement des ASSEDIC de la région parisienne), les CSIA (Centres de
services informatiques des ASSEDIC).
[6] Divers aspects du régime d’assurance
chômage ont été examinés par la Cour dans le rapport public annuel 1999.
Enfin,
il peut exister - notamment pour des raisons historiques - des structures
associatives qui gèrent de véritables services publics. Ces structures
fonctionnent alors avec des spécificités et des contraintes proches de celles
qui caractérisent les services administratifs, et on peut qualifier ces
associations d’administratives. Ainsi en est-il, au sein du dispositif d’aide
aux réfugiés et demandeurs d’asile, du Service social d’aide aux émigrants.
Dans son observation sur ce dispositif, la Cour pose donc la question d’une
évolution éventuelle du statut du SSAE. Certaines
associations peuvent simultanément relever de plusieurs des catégories
définies ci-dessus. Ainsi en est-il de l’AFPA. Association investie d’une
mission de service public, dont la structure est justifiée historiquement par
le souci d’associer de façon tripartite représentants de l’administration et
représentants des partenaires sociaux, cet organisme qui fait partie du
service public de l’emploi est soumis à la tutelle des pouvoirs publics, et a
été considéré par la Cour, dans son rapport public de 1997, comme étant
dans une situation ambivalente, à la fois « démembrement du ministère
chargé du travail et association sous statut privé ». |
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III. - La
définition de nouvelles modalités de |
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Dès lors que les associations apparaissent à la fois comme un choix de structure pour gérer certaines actions publiques à la place de services administratifs, et comme une manifestation de la volonté de faire participer les intéressés à la conduite des affaires qui les concernent, il convient de développer une nouvelle conception des relations de l’État avec elles et de leurs modalités de contrôle. Celle-ci n’existe pas encore, l’administration ne s’étant pas complètement adaptée à ces transformations profondes et n’ayant pas encore pris en compte, dans ses pratiques, la spécificité du milieu associatif. a)
Les relations de l’État avec les associations évoluent vers un mode partenarial,
qui implique une définition contractuelle - et pluriannuelle - de ce qui est
attendu de chaque partenaire : prise en compte de l’expérience acquise
par le partenaire associatif et de sa proximité des populations et des
publics, contractualisation généralisée des relations, en ce qui concerne
tant la définition des objectifs et des moyens que les procédures
d’évaluation du service rendu, pluriannualité souhaitable dans nombre de cas
des financements [7] , reconnaissance de la spécificité du mode associatif
d’intervention.
[7] Cette pluriannualité fait écho aux projets
actuels de réforme relatifs au budget de l’État. Les
progrès sur ces différents points restent modestes. En témoigne la mise en
œuvre limitée de conventions-cadres permettant aux ministères d’accorder des
subventions sur une base pluriannuelle, dont l’établissement avait pourtant
été recommandé par une circulaire du Premier ministre du 7 juin 1996 [8] . La loi du
12 avril 2000 déjà citée dispose désormais qu’au-dessus d’un seuil
à définir par décret, toute subvention doit s’accompagner d’une convention
définissant l’objet, le montant et les conditions d’utilisation de la
subvention attribuée (art. 10).
[8] Une
circulaire du Premier ministre du 1er décembre 2000 prévoit de
rendre systématique, désormais, le recours aux conventions pluriannuelles
d’objectifs, « dès lors que l’aide de l’État à une association consiste
à soutenir son action dans la durée ». Il
faut certes que l’administration qui confie à une association l’exécution d’une
mission d’intérêt général veille à la définir dans une convention claire dont
elle contrôle l’application. Mais à cette conception « tutélaire »
traditionnelle tend à s’ajouter, voire à se substituer, une conception de
l’association qui n’est plus seulement le lieu d’« exécution »
d’une politique définie par l’administration, mais un lieu
d’« élaboration » concertée d’une politique. Cette évolution
appelle une nouvelle approche du « contrôle » de l’action
associative, impliquant la recherche de règles et de méthodes originales qui
ne pourront être la simple transposition des règles et méthodes de
l’administration traditionnelle. b)
Pour ce qui est des contrôles pouvant être conduits par la Cour, les
ambiguïtés de la notion d’ « association administrative »
doivent être levées à la lumière tant de la jurisprudence de la Cour que de
celle du Conseil d’État. Il peut exister, en effet, des associations
alimentées presque totalement par des ressources publiques qui assument des
missions de service public, sans que s’applique la jurisprudence de la
gestion de fait qui s’attache aux organismes dont l’autonomie n’est qu’une
fiction. Paraît décisif à cet égard que l’association avec laquelle il est
traité ait une existence réelle, une consistance et une légitimité non
contestables, qu’elle dispose d’une autonomie véritable qui lui permette
d’apporter une valeur ajoutée spécifique à l’action administrative, que les
clauses de la convention conclue avec l’État assurent un équilibre financier
satisfaisant des opérations subventionnées et qu’elles reçoivent une exacte
application [9] . [9] Le recueil 1996 des arrêts, jugements et
communications des juridictions financières contient, à propos du domaine de
la recherche scientifique, des remarques en ce sens (p. 308). Le
contrôle des concours financiers apportés par l’État aux associations fait
une large place à la technique des comptes d’emploi [10] . Celle-ci n’est
toutefois pas entièrement satisfaisante. Il peut paraître rassurant qu’une
association rende compte de l’utilisation faite des crédits publics qu’elle a
reçus en détaillant les dépenses financées grâce à eux. Mais elle le fait en
affectant au compte d’emploi une partie des dépenses de ses différents postes
comptables. Vérifier la validité de cette affectation implique donc que le
vérificateur puisse avoir accès à la totalité de la comptabilité de
l’association, pour s’assurer de la pertinence et de la sincérité de la
constitution du sous-ensemble vérifié. En outre, le seul contrôle du compte
d’emploi ne permet pas de porter un jugement sur la qualité et la rigueur de
la gestion d’ensemble de l’association.
[10] Le
contrôle de la Cour ne porte que sur le compte d’emploi du concours financier
accordé à une association lorsque ce concours financier est affecté à un
objet déterminé et qu’il représente moins de 50 % des ressources totales
de l’association ; dans l’hypothèse où le compte d’emploi n’est pas
produit, en revanche, le contrôle porte sur l’ensemble des comptes et de la
gestion de l’organisme |
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La
Cour constatait, dans son rapport de 1967, qu’à mesure que l’action
administrative s’étend à de nouveaux domaines elle est conduite « à se
démultiplier et à s’exercer de manière de plus en plus diverse » et que
cette orientation peut « correspondre à l’intérêt, pour un État moderne,
de s’assurer le concours de personnalités, d’associations ou de sociétés,
sans lesquels tel ou tel objectif d’intérêt général ne saurait être
atteint ». Le recours aux associations est désormais un mode courant de
gestion des actions publiques, notamment sociales. Le contrôle doit pouvoir garantir que ces
nouveaux modes d’organisation du service public satisfont à l’exigence
sociale de transparence dans les procédures et d’acuité dans l’évaluation des
résultats : la Cour entend ouvrir des études approfondies sur ces
problèmes dans le domaine des politiques sociales au cours des prochains mois
et faire des propositions. |
Dernière mise à jour : 02-03-2001
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