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Allocution de Monsieur Lionel JOSPIN, Premier ministre, en clôture des Etats Généraux de la Création d'Entreprise

Carrousel du Louvre, 11 Avril 2000

    Mesdames et Messieurs les Ministres,

    Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,

    Mesdames et Messieurs, Entrepreneurs, salariés, représentants d'organismes consulaires, d'associations, d'établissements financiers et d'investisseurs individuels, vous êtes aujourd'hui rassemblés à l'occasion de ces Etats généraux dans un même but : favoriser l'esprit d'entreprise. Les assises régionales organisées à Brest, Lille et Montélimar par Madame Marylise LEBRANCHU ont préparé cette réunion. Le ministre de l'économie et des finances, Monsieur Laurent FABIUS l'a ouverte ce matin en présentant les grandes orientations de l'action du Gouvernement. Le manifeste de SYNERGIES " pour ouvrir largement les portes de l'initiative économique et de la création d'entreprise " et les propositions du Conseil national pour la création d'entreprise ont nourri la réflexion collective.

    Vos demandes, vos suggestions, vos propositions ont été largement entendues. Elles rencontrent notre souci d'amplifier une dynamique qui renaît dans notre pays.

     Encourager l'esprit d'entreprise est une des priorités du Gouvernement.

    Nous l'avons fait en favorisant le retour de la croissance. En retrouvant depuis près de trois ans le chemin de la croissance et de l'emploi, la France n'a pas seulement rompu avec une longue période d'atonie : elle a repris confiance en son avenir. Ce contexte de croissance et de confiance est indispensable au " désir d'entreprendre ". Nos concitoyens reprennent peu à peu le goût du risque. L'innovation et la création d'emploi dont notre pays et l'Europe semblaient avoir perdu le secret ou le goût, redeviennent progressivement la norme.

    Nous l'avons fait en encourageant l'innovation. Dans la compétition mondiale, notre croissance future dépendra tout autant de la créativité de notre recherche et de notre potentiel d'innovation que de notre capacité à les mettre en uvre par la création d'entreprises et le développement d'activités nouvelles. Nous conduisons à cet égard une politique volontariste. Depuis janvier 1998, le Gouvernement a mis en uvre un plan pour faire entrer la France dans la société de l'information. La loi sur l'innovation et la recherche, les mesures en faveur du capital risque -incubateurs d'entreprises, fonds d'amorçage et fonds public de capital risque-, la création d'un régime juridique et fiscal adapté aux entreprises de croissance avec les bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises : toutes ces mesures forment un dispositif global et cohérent qui a mis la science et la technologie au service de la croissance et de l'emploi. Les fonds investis dans l'innovation ont triplé l'an dernier, après avoir été multipliés par quatre l'année précédente. L'essor spectaculaire des jeunes entreprises françaises de l'internet -celles que l'on rencontre notamment dans le quartier du Sentier, et plus seulement dans la " Silicon Valley "- témoignent de ce nouveau dynamisme.

    Nous voulons amplifier ces premiers résultats. La création d'entreprises redémarre. Près de 170 000 entreprises nouvelles - c'est-à-dire sans compter les réactivations et les reprises- ont été créées en 1999, contre 166 000 en 1998. Mais nous avons un important retard à rattraper, accumulé au cours de trop longues années de faible croissance.

    L'Europe est aujourd'hui l'espace où se déploient naturellement vos activités. Au Conseil européen de Lisbonne, en harmonie avec ses partenaires de l'Union, le Gouvernement français a prôné une démarche globale en faveur de l'innovation et l'emploi. Les conclusions adoptées ont mis l'accent sur la création d'entreprise et les nouvelles technologies. Elles demandent aux États membres de réduire les délais et le coût de constitution d'une société, d'établir une charte pour les petites entreprises, de promouvoir une économie novatrice et entrepreneuriale. Notre pays doit être dans le peloton de tête de cette dynamique collective.

    Dans un environnement économique redevenu favorable, il revient en effet à l'Etat d'éviter que soient découragés par les réglementations et les coûts ceux qui ont l'envie d'entreprendre. Les procédures administratives demandent encore à être simplifiées. Les frais liés à la création d'entreprise doivent être réduits. Il faut encourager la prise de risque.

    Créer une entreprise doit devenir moins compliqué, moins coûteux, moins incertain.

    Nous voulons franchir une nouvelle étape vers un guichet unique de la création d'entreprise. Il est depuis longtemps évoqué. En trois ans le Gouvernement a, sous l'impulsion de Marylise LEBRANCHU, pris de nombreuses mesures de simplification. Malgré une amélioration indéniable, l'Etat doit faire un nouvel effort. Mais les organismes consulaires, le greffe qui tient le registre du commerce et des sociétés et, bien sûr, les organismes sociaux interviennent aussi dans le processus de création d'entreprise. Après la mission sur les simplifications administratives menée par le député Dominique BAERT, je confierai à un groupe d'entrepreneurs et de représentants des institutions concernées une mission sur l'ensemble des aspects administratifs de la création d'entreprise. Je souhaite qu'elle rende à l'été ses conclusions.

    Il faut aller sans attendre vers la création d'entreprises en ligne. D'ici la fin de cette année, un portail de la création d'entreprises donnera accès à autant de sites qu'il y a de statuts possibles pour l'entreprise. Ces sites réuniront tous les documents nécessaires et préciseront les démarches à effectuer. L'Agence pour la création d'entreprise veillera à la mise en place rapide de ce portail.

    Entreprendre doit devenir moins coûteux. Créer une entreprise engendre des frais immédiats et nombreux, souvent mal compris. La loi de finances pour 2000 a supprimé les droits fixes d'enregistrement du statut des sociétés. Le Gouvernement a décidé d'achever l'action ainsi engagée. L'Etat ne percevra bientôt plus un seul franc sur la création d'entreprise : les droits de timbre résiduels, les redevances touchées par l'Institut National de la Propriété Intellectuelle et le Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales seront prochainement abolis.

    Une mise initiale de 10 000 francs suffira prochainement pour lancer la création d'une SARL. Le capital social de 50 000 francs pourra en effet être libéré de façon échelonnée sur cinq ans. Pour ces mêmes sociétés, nous autoriserons par ailleurs les apports en industrie, qui permettront de valoriser dans le capital de la société la qualification et les savoir-faire de l'entrepreneur. Au titre du droit des sociétés, Madame Elisabeth GUIGOU préparera des dispositions en ce sens.

    Les cotisations sociales que doit acquitter le créateur d'entreprise sont aussi une charge. Lorsque le créateur est gérant de société ou travailleur indépendant, le coût de ces cotisations peut s'avérer élevé au regard du chiffre d'affaires de la nouvelle entreprise. Les dispositions déjà prises à l'initiative de Madame Martine AUBRY permettent de réduire sensiblement ces cotisations durant les deux premières années d'exercice. Nous amplifierons les réductions ainsi engagées d'ici la fin de la législature.

    La société doit offrir plus de sécurité à celui qui s'engage et prend des risques. Un chômeur créateur d'entreprise peut déjà, sous certaines conditions, conserver en cas d'échec ses indemnités de chômage. En revanche, un salarié qui démissionne de son emploi pour créer une entreprise perd tout droit à indemnisation. Ce sujet a fait l'objet ce matin d'une intervention de M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC, Président de l'UNEDIC. Les partenaires sociaux négocient actuellement une nouvelle convention d'assurance-chômage. Je souhaite qu'à cette occasion ils examinent les moyens d'améliorer la couverture sociale des créateurs d'entreprise.

    Il faut aussi accompagner dans son parcours le créateur d'entreprise. Le Gouvernement entend favoriser toute initiative en ce sens. Avec les organismes et les professionnels qui remplissent une mission d'" accompagnateurs d'entreprise ", nous conviendrons d'une charte de qualité qui guidera leurs activités. L'Agence pour la création d'entreprise recensera ceux qui souscrivent à cette charte et les présentera sur son site internet. Le créateur pourra choisir la structure qui lui convient. Ces accompagnateurs d'entreprise devraient également rapprocher les investisseurs des créateurs, comme le font déjà certaines chambres consulaires et des associations.

    Toutes ces mesures bénéficieront à l'ensemble de ceux qui entreprennent. Mais c'est à ceux qui sont le moins bien dotés -en capitaux, en conseils, en protections- qu'elles seront le plus utiles. Nous voulons en effet donner au plus grand nombre la possibilité d'accéder à la création d'entreprises.

    Le Gouvernement entend aider tous les créateurs à financer leurs entreprises.

    C'est dans le foisonnement d'initiatives locales, d'idées novatrices parfois fraîchement accueillies par les établissements de crédit, de nouveaux services auxquels personne jusque là n'avait pensé que naîtront, peut-être, les grandes entreprises de demain. Dès aujourd'hui il nous faut aider chacune de ces initiatives à devenir une entreprise. Car chaque fois c'est au moins un emploi qui se crée.

    Nous aiderons ceux pour qui l'entreprise est un chemin vers la société du travail. La création d'entreprise constitue pour certains une " deuxième chance ". Ceux-là sont dans leur grande majorité exclus des circuits financiers traditionnels. Nous continuerons de soutenir leurs projets. Le Comité interministériel de la ville du 14 décembre 1999 a décidé d'attribuer une prime de 20 000 francs à l'installation d'entreprises nouvelles dans les zones de revitalisation urbaine. La loi sur les emplois-jeunes et la loi contre les exclusions ont créé à titre expérimental un dispositif novateur d'avances remboursables et d'accompagnement des créateurs. Baptisé EDEN -Encouragement au Développement d'Entreprises Nouvelles- il est doté de 400 millions de francs. L'obligation d'appliquer les procédures de marchés publics à retardé sa mise en place. Celle-ci se heurte encore à quelques difficultés administratives. Nous rechercherons avec vous les moyens d'assurer l'efficacité de ce dispositif prometteur et d'en simplifier le fonctionnement. Il sera prolongé jusqu'au 31 décembre 2002.

    Il faut relancer l'investissement dans les petites entreprises. Le député Eric BESSON a souligné cette nécessité en appelant à un " plan d'urgence d'aide à la création de très petites entreprises ". Seule une création sur cinq bénéficie actuellement d'un prêt bancaire. Monsieur Laurent FABIUS et Madame Marylise LEBRANCHU vont préparer un plan pour le financement de la création d'entreprises de proximité. Ce plan permettra d'accorder à 30 000 projets jusqu'à 50 000 francs de quasi fonds propres, sous la forme d'un prêt subordonné à la création d'entreprise. Les collectivités locales pourraient s'associer à cette démarche de l'Etat. La BDPME et, à ses côtés, la Caisse des Dépôts et Consignations, devront prendre leur part à ce dispositif. Les réseaux de financement doivent être simplifiés, rendus plus lisibles et d'un accès plus aisé. Ces mesures n'exonèrent naturellement pas les établissements financiers d'un effort plus soutenu en faveur de la création d'entreprise.

    Nous continuerons de soutenir l'innovation. Pour aider les nouveaux projets à émerger, les fonds d'amorçage et les incubateurs d'entreprises verront leur dotation complétée de 100 millions de francs en 2000. Afin que les entreprises innovantes puissent se développer, un second fonds public de capital risque doté de 1 milliard de francs sera constitué par apport de l'Etat, de la Caisse des Dépôts et Consignations et de la Banque Européenne d'Investissement. Il prendra des participations dans des secteurs innovants qui ne bénéficient pas de financements suffisants, comme les biotechnologies.

    Il faut plus largement mobiliser l'épargne pour la création d'entreprise. Beaucoup a été fait ces dernières années. Le capital-risque s'est développé. Le crédit bancaire a repris. Les " business angels " se multiplient. Ils conseillent, soutiennent les projets, font partager aux créateurs d'entreprises leurs réseaux et leurs clients. Il faut aujourd'hui les encourager. Le report d'imposition des plus-values réinvesties dans les PME nouvelles est un dispositif d'incitation puissant, qui a fait ses preuves dans d'autres pays. Mais il n'est actuellement permis de procéder qu'une seule fois à ce report. Grâce à une mesure qui sera proposée dans le collectif budgétaire, il sera désormais possible de répéter l'opération autant de fois que le capital sera réinvesti.

    Mesdames et Messieurs,

    Les facteurs qui déterminent la création d'entreprise sont multiples. Il nous faut donc jouer de tous les leviers disponibles pour encourager la prise de risque et stimuler l'envie d'entreprendre. L'Etat mobilise à cette fin des moyens importants. C'est ensemble que nous réussirons, en rassemblant les énergies, en mettant à contribution les ressources publiques et l'épargne privée, en oeuvrant au plus près des initiatives locales, en déléguant cette mission à ceux qui sont les mieux placés pour déceler et faire surgir les projets d'avenir.

     Afin d'assurer les changements nécessaires, nous devrons mettre pleinement à profit la nouvelle donne de la croissance et associer chacun aux chances d'une modernité collectivement maîtrisée. Il nous faudra pour cela aller de la "nouvelle économie " à l'économie solidaire, allier l'invention technologique à l'innovation sociale et faire vivre l'esprit d'entreprise avec de nouvelles solidarités.