Discours de Laurent FABIUS,
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
aux États Généraux de la Création d’entreprises

Carrousel du Louvre, Mardi 11 avril 2000


Mesdames, Messieurs,

C’est avec beaucoup de plaisir que j’ouvre ce matin les États généraux de la création d’entreprises. Je vous souhaite la bienvenue, à vous tous qui témoignez par votre présence de votre engagement concret pour cette grande cause.

Une réunion d’États généraux est le plus souvent un moment décisif. Réforme ou révolution, on sait rarement à l’avance ce qui en sortira. Heureusement, notre Assemblée est très pacifique, notre force, votre force, votre volonté résident dans la dynamique et l’innovation. Etats généraux donc, mais sans la moindre baïonnette, avec Marilyse Lebranchu que je remercie vivement pour son action car, d’étape en étape, à Brest, Lille, Montélimar, elle a préparé cette journée, avec Eric Besson aussi, dont le rapport a éclairé nos orientations.

Le Premier ministre, Lionel Jospin, interviendra en conclusion de vos travaux. Il lui reviendra, comme il est normal, ayant opéré des arbitrages, d’annoncer les décisions du Gouvernement. J’insisterai pour ma part sur quelques éléments qui me paraissent essentiels.

1 -D’abord une conviction que je nourris depuis longtemps est que nous devons faire partager à nos concitoyens : la création d’entreprises est un enjeu majeur pour notre pays. La création d’entreprises est une grande cause nationale.

Elle est source de richesses. Encourager la prise de risque, l’innovation, l’inventivité est essentiel dans la compétition entre les nations. Elle est indissociable de la réussite de notre économie.

Il est donc excellent que ce thème soit au cœur des enjeux de la politique gouvernementale. L’emploi, priorité sur laquelle nous avons progressé et devons progresser encore, viendra largement de la création d’entreprise. Près d’un emploi salarié sur cinq se situe dans une entreprise de moins de cinq ans. Faire progresser la création d’entreprise, c’est aussi faire reculer le chômage. Car les entreprises créées aujourd’hui seront les PME de croissance dans dix ans. Quelques unes des grandes entreprises que notre pays comptera dans vingt ans sont, en ce moment même, en train de naître d’une idée, de quelques capitaux, d’une première société et de la chance qu’on leur aura donné. Avant qu’on ne lui reproche d’être trop grand, même Bill Gates a commencé petit.

J’ajoute que la création d’entreprises, base d’une croissance durable, peut être un vecteur fort d’aménagement du territoire. L’implantation d’activités nouvelles, grâce notamment aux nouveaux services ou aux nouvelles technologies, constitue un moyen de revitaliser des quartiers sensibles ou d’enrayer le déclin de zones moins favorisées, avec l’appui souhaitable des collectivités locales.

Je veux souligner aussi combien encourager la création d’entreprises peut contribuer à promouvoir l’égalité des chances. Il s’agit de permettre à chacun, dès lors qu’il a un projet crédible, de disposer du cadre et des moyens de le concrétiser. Bref, la création d’entreprise participe autant à l’épanouissement de l’individu qu’à l’intérêt de la collectivité.

2 -Et pourtant la création d’entreprise reste insuffisante en France

Si plusieurs millions de personnes envisagent de créer leur entreprise, trop peu franchissent le pas. Depuis le début des années 1990, notre pays connaît même une baisse du nombre de créations d’entreprise : moins de 167 000 créations ont été enregistrées en 1998 et la reprise constatée en 1999, dans un contexte de forte croissance, demeure trop timide avec 170 000 créations.

Les pouvoirs publics - Etat, collectivités locales, organismes publics, parapublics et privés- doivent donc encourager la création d’entreprise, à la fois de manière générale et en prenant en compte la diversité des situations et des publics, de la start-up technologique à la micro-entreprise.

Car un des enseignements de l’expérience est qu’il faut tenir compte de la diversité des situations : l’artisan qui veut s’installer ne se trouve évidemment pas dans la même position que les jeunes informaticiens que je visitais la semaine dernière dans un incubateur d’entreprises et qui proposent d’utiliser la CAO (...Cuisine Assistée par Ordinateur) pour accommoder au mieux les restes de votre réfrigérateur. De même sont différentes la situation d’une équipe de cadres lançant un projet majeur par essaimage et celle d’une chômeuse solitaire qui veut prendre un nouveau départ. Or, je le rappelle, un créateur d’entreprise sur deux est un chômeur.

3 -La création d’entreprise est liée à un climat général

Le climat économique, bien sûr. A cet égard, la perspective de franchir à la baisse le mur des 2 millions de chômeurs avant la fin de la législature est un objectif central auquel je crois. Le fait que les Français aient retrouvé un taux d’optimisme et de confiance en l’avenir qu’on n’avait pas connu depuis plus de 25 ans est extrêmement encourageant.

Mais ne nous en satisfaisons pas. Notre culture doit mieux valoriser ceux qui par leur initiatives concourent au dynamisme du pays. Dans cet esprit, les liens entre le monde de l’éducation, notamment l’université, et celui de l’entreprise doivent se renforcer encore pour faciliter les passerelles, la concrétisation des projets et stimuler le goût d’entreprendre. L’esprit de création commence au moment de la formation. De même, il faut améliorer l’image de l’entrepreneur. Le discours et les actes des responsables politiques peuvent y contribuer. Les mentalités - ce qui n’est pas le plus facile - doivent évoluer : par exemple, en France, l’échec est encore trop souvent, dans les esprits et dans notre droit, stigmatisé. Pourtant, l’échec n’est pas une faute. Après un échec professionnel, il peut y avoir le rebond.

Sur le plan plus général des données économiques, nous devons rendre cohérent notre système de prélèvements fiscaux ou sociaux avec notre volonté de promouvoir l’esprit d’initiative. Progressivité de la pression fiscale et sociale, assujettissement par étapes, il ne faut pas étouffer mais encourager les jeunes entreprises. Le poids et la complexité de la réglementation sont, eux aussi, souvent déroutants. Je l’ai souvent dit comme président de l’Assemblée nationale : nous légiférons trop, la complexité qui en découle peut être un frein. Il nous faut avancer sur tous ces sujets, simplifier. Mon ministère y contribuera.

4 -Au-delà d’un climat général favorable à l’initiative, la création d’entreprises soulève des problèmes spécifiques, qui seront traités au fil de la journée. J’aborderai trois aspects.

D’abord lever les freins qui handicapent le passage de l’intention de création à l’acte de création. Les candidats à la création d’entreprise hésitent souvent à se lancer sans filet, notamment en termes de couverture chômage. Cela relève de la compétence des partenaires sociaux dans le cadre de l’UNEDIC, et je salue la présence de son président, Monsieur Gautier-Sauvagnac. J’espère que cette observation pourra être entendue, tant il est vrai que la création d’entreprise peut contribuer à la réduction du chômage.

Les formalités de création d’une entreprise, nous le savons tous, sont encore jugées complexes et coûteuses. Pourtant, beaucoup d’efforts ont été faits dans les centres de formalités des entreprises et en matière de création, mais il faut rendre les documents de création encore plus accessibles, alléger le coût des formalités, parfois encore peu compréhensibles. Le Premier ministre s’exprimera notamment sur ce sujet pour marquer de nouveaux progrès. Il devra désormais être possible en particulier de remplir les formalités de création par internet.

Accompagner les créateurs d’entreprise dans leurs débuts est indispensable. Au bout de 5 ans, nous savons que le taux d’échec est moitié moindre dans les entreprises qui ont bénéficié d’un accompagnement que dans les autres. L’accueil et l’accompagnement relèvent au premier chef des réseaux, associatifs ou consulaires, qui maillent notre pays et dont l’action est très positive. Les Chambres de métiers, les Chambres de commerce et d’industrie ont compris qu’elles doivent être des chambres de création. Elles et ils doivent développer entre eux l’échange des meilleures pratiques et une démarche de qualité, afin de porter partout à un haut niveau la prestation rendue au créateur. Les pouvoirs publics y apporteront leur appui pour les projets grands ou petits. Car, j’y insiste, les petits projets peuvent faire les grands succès, en tous cas ils permettent l’épanouissement, la réussite, la dignité et la responsabilité.

L’accompagnement relève de plus en plus souvent d’initiatives individuelles de la part de professionnels possédant une expérience de l’entreprise. Ces business angels apportent leur crédibilité, leur connaissance du terrain et des procédures, dans le cadre d’une relation de confiance avec le créateur. Nous sommes déterminés à encourager le développement de telles initiatives.

Précisément, un enjeu souvent décisif est le financement de la création d’entreprises.

Les business angels sont un vecteur important du financement de la création, à travers les fonds qu’ils apportent et la crédibilité que leur présence donne à un projet vis à vis d’autres apporteurs de fonds. Une mesure d’incitation fiscale a déjà été prise à leur intention, sous la forme d’un report d’imposition des plus-values.

Ces dernières années, diverses dispositions ont été prises pour développer le capital-risque ou réorienter l’action des grandes institutions publiques comme la BDPME, la Caisse des dépôts et l’ANVAR.

Cependant, constatons que l’accès au crédit reste un problème pour de nombreux créateurs d’entreprises, dont moins de 25 % bénéficient d’un crédit bancaire au départ. Il y a 2 ans, un dispositif spécifique a été mis en place pour les jeunes et les plus défavorisés. Pour les autres, et notamment d’une façon générale pour les petits projets, je crois utile d’apporter un soutien public accru, permettant de renforcer la structure financière de l’opération et de faciliter l’engagement des banques aux côtés du créateur. C’est pourquoi nous pensons opportun de lancer un nouveau prêt, très simple, le prêt aux créateurs d’entreprises (PCE), qui constituera des quasi fonds propres, sur lequel le Premier Ministre s’exprimera avec précision.

Un dernier mot sur les entreprises très innovantes : elles méritent une attention forte compte tenu des potentialités d’emplois et de croissance dont elles sont porteuses. L’enjeu est de convertir le plus rapidement possible en nouveau marché les produits de notre recherche. Les mesures prises lors des Assises de l’innovation de mai 1998 y ont contribué. L’effort ne doit pas se relâcher.

Pour conclure, je veux souligner ceci : les anciens Grecs qui n’étaient pas comme nous connectés à Internet parlaient déjà de kindunos pour désigner à la fois le risque et la chance. Je crois, je sens que cet esprit entrepreneur et entreprenant se développe en France. Autant que l’attrait financier, le choix de monter une start up dessine une préférence pour une nouvelle conception de l’entreprise. A côté du travail et du capital, dans la société du savoir et de la connaissance, l’information devient une nouvelle variable économique de la croissance et de l’emploi. A travers la nouvelle économie, apparaissent des utilités sociales, des fonctions économiques nouvelles mobilisant sans cesse davantage de créativité et de communication. C’est une chance supplémentaire d’aller vers une économie solidaire, une économie de richesses qui profitent à tous. Il n’y a pas d’ailleurs que les nouvelles technologies et la finance qui soient " modernes ". La création et l’innovation peuvent et doivent exister dans tous les métiers, dans tous les projets. Il n’y a pas que le " national " qui doit agir : la stratégie nationale doit être épaulée, relayée par des politiques régionales et locales d’accompagnement.

Oui, la création d’entreprises est à la fois signe et cause du développement économique, social et culturel de nos régions et de notre nation. Sur cet enchaînement si fertile et si crucial, j’ai demandé à Madame Maria Nowak, qui en a l’expérience concrète, de venir travailler directement à mes côtés afin que sa connaissance et sa passion puissent imprégner toute notre action. Nous ne pouvons évidemment pas créer nous-mêmes les entreprises à la place des entrepreneurs, mais nous devons créer un environnement qui leur soit favorable. C’est une façon forte de préparer l’avenir.

Mesdames et Messieurs, vous allez discuter de toutes ces questions, avant que n’intervienne le Premier Ministre. A l’heure où il est partout question de " gouvernement d’entreprise ", vous devez savoir que notre gouvernement, qui a mission de travailler pour l’intérêt général et pour tous les Français, est un gouvernement pour le dynamisme des entreprises et pour leurs salariés : il les écoute, il les soutient, il les encourage. Je souhaite que, sur ces questions, nous puissions régulièrement faire le point. Nous devons donner à notre action en faveur de la création d’entreprise la même exigence d’excellence et de dynamisme que celle que vous manifestez dans leur conduite. Très bons débats. Merci.

Retour


© Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, 11/04/2000