Deuxième table ronde : Accompagner les créateurs

Ont participé à la table ronde :

Martine AUBRY, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité

Eric BESSON, Député de la Drôme et Maire de Donzère

François-Xavier BORDEAUX, Président de la Caisse sociale de développement local de Bordeaux

Nadine GAGNIER, Président directeur général de Man’ Agir Consultants

Alain GRISET, Président de l’APCM

Jean-Jacques JEGOU, Député du Val-de-Marne et Maire du Plessis-Trévise

Patrick JOURDAS, Président directeur général de Via Nova

André MULLIEZ, Président du Réseau Entreprendre

Jean-Paul NOURY, Président de l’ACFCI et de l’Association " Entreprendre en France "

Jean-Paul SOLARO, Président du Réseau des Boutiques de Gestion

Les débats ont été animés par Ivan LEVAI.

Cette table ronde débute par la projection d’un film, intitulé Parcours d’un créateur. Ce dernier a un projet, et rencontre donc la Direction départementale du travail et de l’emploi, les chambres de commerce…, finalise ses plans de financement, ses budgets, ses bilans…

Ivan LEVAI

La presse, vous le savez, a parfois tendance à évoquer davantage les entreprises qui disparaissent que celles qui naissent. D’où parfois d’ailleurs des reproches quant au rôle et à la place des médias.

Quoi qu’il en soit, j’introduirai cette table ronde en citant Alain Bashung, dont une chanson très connue a pour refrain, " ma petite entreprise ne connaît pas la crise ". Nous allons, en compagnie de nos différents invités, évoquer plusieurs thèmes liés à l’accompagnement des créateurs et à leur réussite. L’accueil et l’orientation des créateurs sera notre premier thème de discussion, sachant que vous avez tous une certaine expérience en la matière, en tant que chef d’entreprise, responsable ou Ministre ! Dans ce domaine, les clichés sont nombreux, sur les banques frileuses, l’information insuffisante et autres. Eric Besson, pourriez-vous dresser un état des lieux pour l’accueil et l’orientation des créateurs d’entreprise en 2000 ?

Eric BESSON

Soyons clairs dès le début : j’ai une vision critique quant à cet accueil et accompagnement des créateurs. Certes, en France, des réussites existent, dans certaines villes par exemple, et se renforcent. Je connais aussi le dévouement des réseaux locaux de création d’entreprise et de lutte contre l’exclusion. Sans ces réseaux, depuis 20 ans, la France aurait sans doute connu de graves crises sociales.

Cela dit, je crois que, pour l’essentiel, le dispositif d’accueil et d’accompagnement des créateurs en France est peu performant. Un entrepreneur sur 10 seulement passe par un réseau de création d’entreprise. C’est un échec si l’on considère les objectifs fixées par les gouvernements successifs, puisque le Commissariat Général au Plan en 1996 parlait de 40 % de créateurs passant par ces réseaux. Et il y a un lien évident entre la pérennité et l’accompagnement…

Il y a aussi un paradoxe à mentionner si l’on regarde la situation de notre pays : les créateurs s’adressent avant tout aux banques et aux Chambres de commerce, qui sont pourtant les relais les plus critiqués. Généralement, l’on considère que le dispositif est peu lisible pour le créateur, qu’il est de qualité inégale, que la Gestion des Ressources Humaines est insuffisante, et que la complémentarité est faible entre les différents réseaux.

Coté qualité inégale, le panorama est divers. Les Chambres consulaires et de commerce savent qu’elles font partie des réseaux les plus critiqués. Elles doivent encore faire des efforts, même si certains progrès ont été réalisés. Le débat est différent pour le banques. A l’inverse, le financement de la création correspond bien à la vocation des Chambres. Mais telle Chambre peut bien faire son travail et telle autre, à 50 kilomètres, mal travailler.

Coté Gestion des Ressources Humaines, l’hétérogénéité est là aussi très nette. Des accompagnateurs n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise, ce qui est un peu paradoxal… Les créateurs d’entreprise parlent d’ailleurs souvent des qualifications de leurs interlocuteurs.

Comme je vous le disais, la complémentarité entre réseaux est insuffisante. Bien évidemment, des synergies existent parfois, pour les financements par exemple. Mais, souvent, nous sommes face à des problèmes de chevauchement et de concurrence.

Ivan LEVAI

Iriez-vous jusqu’à dire, comme Madame Lebranchu dans " Les Echos ", que la création d’entreprise est une affaire d’Etat ?

Eric BESSON

Je ferais miens les propos que tenaient le Premier Ministre sur un autre dossier : " ce n’est pas une affaire d’Etat, mais une affaire de l’Etat ". L’Etat a bien évidemment une responsabilité particulière dans la création d’entreprise.

Ivan LEVAI

Madame Gagnier, avez-vous rencontré les bons accompagnateurs et les bons interlocuteurs lorsque vous avez décidé de monter votre entreprise ?

Nadine GAGNIER

Je voudrais préciser que je fais partie des créatrices volontaires qui ont été accompagnées, ce qui est rare. Lorsque j’ai souhaité monter mon entreprise, ma première démarche a été de trouver les responsables de la création d’entreprise de l’APEC.

Ivan LEVAI

Avez-vous été chômeuse préalablement ?

Nadine GAGNIER

Suite à la restructuration de l’entreprise dans laquelle je travaillais, j’ai été en convention de conversion. C’est par cet intermédiaire que j’ai pu trouver, grâce à l’APEC, les bons interlocuteurs.

Ivan LEVAI

Comment avez-vous financé votre projet ?

Nadine GAGNIER

Mon entreprise est une société anonyme, ce qui nécessite donc un capital minimum de 250 000 francs. Je n’ai fait appel à aucune banque pour monter mon entreprise, mais à des apports personnels.

Ivan LEVAI

Avez-vous reçu une aide de la chambre consulaire ?

Nadine GAGNIER

Non. J’ai eu la chance de trouver l’organisme idoine grâce à l’APEC, mais ça a été un hasard. Le problème pour les créateurs est qu’il n’existe pas d’identification claire des réseaux. Lorsqu’on est seul, on ne sait pas où aller ni à qui s’adresser.

Mon entreprise va avoir un an dans quelques jours. Nous sommes trois en CDI et une personne en contrat d’apprentissage.

Ivan LEVAI

Sachant que la moitié des entreprises ne vivent pas plus de cinq ans, êtes-vous inquiète pour l’avenir ?

Nadine GAGNIER

Les périodes difficiles sont nombreuses lorsqu’on crée son entreprise. Il faut savoir les gérer. Outre l’accompagnement en amont, je pense qu’il est également nécessaire d’accompagner les créateurs dans les premiers mois qui suivent la création. Ainsi, après six mois, j’étais déjà contrôlée par l’URSSAF ! C’est tout de même une situation qui n’est pas facile à gérer.

Ivan LEVAI

Monsieur Jourdas, avez-vous été bien accompagné ?

Patrick JOURDAS

Il a fallu que je trouve énormément d’argent pour monter mon entreprise car celle-ci répondait à un projet industriel important. J’ai monté mon entreprise voilà un an. Nous sommes aujourd’hui 20 et j’espère que nous serons près de 400 dans deux ans.

A Brest, j’ai été bien aidé par la pépinière d’entreprise ainsi que par l’ANVAR. Néanmoins, lorsque j’ai présenté mon projet de gestion en temps réel de l’eau à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), on m’a rapidement dit que j’étais un doux rêveur. Le parcours a donc été assez délicat.

Aujourd’hui, les banques demandent à entrer en haut de bilan via leur fonds de capital-risque, ce qui prouve l’intérêt qu’elles peuvent avoir pour mon entreprise. Mais les débuts ont été difficiles. Ainsi, je me suis présenté à certaines banques avec un business plan de huit pages. Suis-je coupable d’avoir procédé ainsi ? Je ne le pense pas. En effet, comment savoir, lorsqu’on crée sa première entreprise, comment se construit un business plan ? Heureusement, j’ai eu la chance que l’ANVAR me soutienne. Aujourd’hui, je pense qu’avec un bon business plan, on peut vendre son idée.

Ivan LEVAI

Monsieur Noury, pouvez-vous répondre à Monsieur Besson ?

Jean-Paul NOURY

Lorsque Monsieur Besson dit que l’accompagnement est peu visible ou que l’accueil est inégal dans les CCI, on ne peut que constater que c’est un problème existant pour l’ensemble de notre société. Quelles sont les approches pragmatiques que peuvent avoir les CCI ? Tout d’abord, environ 1 projet sur 5 est accompagné par les CCI. Il y a donc un véritable accompagnement pour ceux qui le veulent, mais le problème est que la visibilité est insuffisante.

Nous essayons de répondre à toutes les formes de projets, et ce avec la vocation de rentrer dans une démarche qualité. Celle-ci est engagée ; elle aura vocation à répondre le plus rapidement possible à ceux qui passeront par notre réseau.

Madame Gagnier disait qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait s’adresser aux CCI. Cela montre le problème de visibilité. Par contre, il me semble moins grave qu’une personne ayant un projet soit, comme le soulignait Monsieur Jourdas, considéré comme un doux rêveur. Je crois que ça a dû être le cas de Bill Gates lorsqu’il a présenté son projet.

Yvan LEVAI

Mais à ce jour, alors que la nouvelle économie semble avoir été découverte, ne vous précipitez-vous pas vers ce qui est à la mode ?

Jean-Paul NOURY

Non, certainement pas. Ce marché de la nouvelle économie représente moins de 0,05 % de nos actions. Nous voulons accueillir, aider et accompagner tous les créateurs.

Yvan LEVAI

Qui découragez-vous ?

Jean-Paul NOURY

Peut-être que dans certains cas, nous avons découragé des projets. Mais je suis persuadé que nous accueillons tout le monde de la même façon, pour vous parler de la création d’entreprise, pour vous aider en termes d’informations, d’orientations et de financements (pour savoir où sont les possibilités d’obtenir ces financements par exemple). Entreprendre en France a financé ainsi des milliers de dossiers.

Yvan LEVAI

Quelle est votre vision des choses, Monsieur Griset ?

Alain GRISET

Les Chambres de Métiers sont des acteurs essentiels de la création d’entreprise. Elles reçoivent 200 000 porteurs de projets par an, 200 000 personnes qui viennent se renseigner, sans forcément avoir une idée, ni une formation. Ce rôle est capital pour les personnes qui souhaitent devenir artisan. L’accueil, l’information est réalisé par notre réseau. Ensuite, 80 000 créateurs franchissent le pas, dont une partie qui est accompagnée.

Yvan LEVAI

Madame Gagnier nous disait ne pas avoir pensé aux Chambres de Commerce ou de Métiers au début de son parcours. D’où vient cette mauvaise information ?

Alain GRISET

Il y a des personnes avec un capital et un projet. Mais, comme je le disais, nous recevons aussi 200 000 personnes sans idée. Les Chambres de Métiers ont donc un rôle de conseil très en amont. Des gens ont besoin d’un premier accueil et d’une information, pour des chômeurs ou des étudiants par exemple.

Yvan LEVAI

Je pense que vous aussi vous découragez certains projets.

Alain GRISET

Si le projet n’est pas viable, nous disons à la personne ne pas créer son entreprise. Notre préoccupation est donc d’accueillir la personne, d’indiquer que tel projet n’est pas mur, et d’orienter la personne vers des acteurs spécialisés pour lui permettre de créer six mois après un projet qui tient la route. Il faut avoir une volonté de création et de création pérenne.

Yvan LEVAI

Le rôle des collectivités dans l’accueil sera notre prochain thème de discussion, d’autant que les élus, confrontés au problème de l’emploi, prennent à bras le corps la problématique de la création d’entreprise.

Jean-Jacques JEGOU

Le plus important est d’avoir un tissu local permettant la création d’entreprise, d’autant qu’un créateur vient souvent voir sa Mairie dès le départ. La collectivité peut alors, non pas juger de la validité du projet, mais mettre l’accent sur les points à renforcer, la faisabilité du plan d’affaires, de vérifier la volonté de la personne, pour lui indiquer ensuite les possibilités. En outre, les collectivités ont un rôle à jouer en matière de locaux. Nous disons tout à l’heure que les créateurs ne savaient pas forcément où créer. L’on pense à un appartement, au pavillon des parents… Parfois, nous rappelons à un jeune créateur les règles applicables pour la localisation de l’entreprise. Les créateurs qui n’ont pas de locaux dans leur région sont confrontés à de grandes difficultés. C’est dire l’aide apportée par les prestations de services communes, ou par les locaux à des prix compétitifs dans des pépinières d’entreprises.

Yvan LEVAI

Mais l’élu doit avoir tendance à dire au créateur de venir dans sa pépinière. Quelle est en la matière l’expérience de nos entrepreneurs ?

Patrick JOURDAS

Au départ, c’est la pépinière d’entreprise de Brest, qui dépend de la Communauté Urbaine, qui a mis à notre disposition 12 m2.

Jean-Jacques JEGOU

La Communauté Urbaine, ce sont les élus. Comme quoi nous ne sommes pas encore totalement identifiés et nous devons tous faire des efforts de communication !

Nadine GAGNIER

Je voulais avoir mes propres locaux dès le départ. J’ai donc apporté suffisamment de capital dès le départ. Mais si j’avais souhaité faire partie d’une pépinière, je crois que les réseaux auraient été une source d’information non négligeable. Le créateur, grâce notamment aux Boutiques de Gestion, dispose de tous les renseignements utiles (locaux, financement….). Ces réseaux ont les bons outils, ce même s’ils manquent de moyens.

Patrick JOURDAS

Le fait de trouver des locaux dans la pépinière n’est pas seul en cause. La pépinière dispose en effet d’infrastructures utiles, comme le fax ou le téléphone au départ, et des personnes qui vous accompagnent et qui vous aident.

Yvan LEVAI

Nous poursuivons notre discussion. Je voudrais que l’on examine la suite de l’aventure et donc que nous entendions Monsieur Mulliez, dont le pari est connu : une entreprise bien gérée qui a des produits de qualité a tous le atouts pour être et devenir une grande entreprise.

André MULLIEZ

Nous avons parlé de rencontres entre créateurs et organismes. Pour ma part, j’ai bâti notre réseau sur des rencontres entre personnes. Il faut d’abord manifester de l’estime à la personne qu’on rencontre, y compris lorsqu’on lui dit de ne pas continuer l’aventure. En effet, la première qualité d’une entreprise dépend de la qualité de son dirigeant. Ensuite, il faut prendre en compte l’adéquation entre produits et cibles de clientèles.

Plus globalement, l’accompagnement se décompose en plusieurs étapes. Premièrement, 6 ou 9 mois avant le lancement proprement dit, nous examinons le projet, grâce notamment à nos experts, qui sont des entrepreneurs qui ont réussi, dans ses cotés financiers, humains et autres. L’accompagnement se poursuit durant 2 ou 3 ans, pour rompre le stress et la solitude de l’entrepreneur. Il faut en outre conseiller le dirigeant, pour qu’il ne regarde par uniquement son chiffre d’affaires mais aussi le compte d’exploitation. Chaque mois, par le biais d’un club, nous faisons se rencontrer les créateurs de l’année afin de partager les expériences.

Tous ceux qui rentrent dans ce système sont membres du réseau et deviennent des accompagnateurs. Nous ne voulons pas cocooner les entrepreneurs mais les aider. Ils ont d’ailleurs des parrains.

Yvan LEVAI

La création d’entreprise est-elle une affaire d’Etat, comme le disait Madame Lebranchu ?

André MULLIEZ

C’est une affaire de la nation. En d’autres termes, nous ne sommes pas trop, ensemble, pour travailler. Si nous voulons que des personnes rencontrent réellement des personnes, l’idéal est que le citoyen soit présent et donc que les chefs d’entreprise prennent un peu de leur temps pour l’accompagnement et qu’ils y consacrent des ressources financières. L’Etat pourrait le cas échéant abonder ces efforts.

Ivan LEVAI

Martine Aubry, pouvez-vous réagir aux différents propos ? Pour vous, la création d’entreprise est-elle une affaire d’Etat ?

Martine AUBRY

La création d’entreprise est évidemment une affaire pour l’Etat. Son rôle majeur est d’abord de faire en sorte que l’environnement économique soit bon et facilite ainsi la création d’entreprise.

Je partage ce qu’a dit Eric Besson : ceux auxquels on peut penser pour faciliter la création d’entreprise – banques, Chambre de Commerce et d’Industrie, etc. – ne sont pas au rendez-vous. Heureusement, des réseaux existent. Je pense par exemple à l’ADIE, à Entreprendre en France, aux Boutiques de Gestion… Je pense que ces réseaux ont la bonne philosophie : des hommes et des femmes de terrain, capables d’apporter une aide, une formation, des conseils, voire des hommes et des femmes compétents. L’Etat agit au travers de ces réseaux. Ainsi, la quasi-totalité du budget de l’ADIE est publique.

Il nous est apparu essentiel que l’ANPE s’intéresse à la création d’entreprise, bien évidemment en partenariat avec les réseaux existants. Désormais, l’ANPE accueille et suit un chômeur qui souhaite créer son entreprise. Un kit de documentation a même été réalisé pour que le chômeur sache à qui s’adresser, quelles démarches effectuer, comment monter un projet, comment établir un résultat d’exploitation, etc. Il faut être clair : chacun ne peut pas monter son entreprise. Toutefois, il faut s’assurer que ceux qui le souhaitent puissent le faire.

Ivan LEVAI

Ne pensez-vous pas que certaines personnes créent leur entreprise parce qu’elles n’arrivent pas à trouver d’emploi ? Monsieur Barre avait incité voilà quelques années les chômeurs à créer leur entreprise. Pensez-vous que ce soit la solution ?

Martine AUBRY

Non, comme je le disais précédemment, chacun ne peut monter son entreprise. Toutefois, il ne faut pas oublier que 40 % des entreprises sont créées par des demandeurs d’emplois, et que ces entreprises ont le même taux de réussite que celles qui sont montées par des personnes qui ne sont pas au chômage. C’est donc une population à laquelle il convient de s’intéresser.

Pour faciliter la création d’entreprise, certaines mesures doivent être prises. Il faut aller au-delà de la baisse des cotisations qui a déjà été décidée. Ainsi, avec l’appui du Ministère de l’Economie, nous allons prendre les mesures suivantes : aucune cotisation ne sera demandée avant que l’entreprise n’ait au moins trois mois d’existence et les cotisations seront en diminution de 15 % la première année et de 20 % la seconde.

L’Etat doit remplir, à son niveau, le même rôle que les collectivités locales. Je n’ai pas une vision complètement négative des chambres de commerce, mais je pense qu’elles ne sont pas assez investies dans les créations d’entreprise. Je n’ose même plus parler des banques ; leur manque d’implication est un véritable scandale, tout comme d’ailleurs leur accompagnement des petites entreprises !

Je crois que l’épargne salariale est une piste que nous devons creuser. Les Français seront sans doute heureux, par un placement apparenté, pour simplifier, à des SICAV, de contribuer à la création d’entreprise et au développement local. Aujourd’hui, contrairement à l’Italie, nous ne savons pas le faire en France.

Ivan LEVAI

Aux Etats-Unis, une personne voulant monter son entreprise trouve assez facilement de l’argent avec un bon business plan. Ensuite, l’administration ne lui tombe pas dessus dès que son entreprise est créée. Enfin, il n’y a quasiment pas de paperasserie. Qu’en pensez-vous ?

MARTINe AUBRY

Ce que vous décrivez est une réalité dont nous sommes conscients et que, pour certains côtés, nous envions. De plus, lorsqu’une personne ayant créé une première entreprise échoue et tente de nouveau sa chance, elle est plutôt bien vue. C’est totalement l’inverse en France.

Concernant la paperasserie, je souhaite vous dire qu’elle a déjà été bien simplifiée. Il est possible aujourd’hui de créer son entreprise en 24 heures en France. Monsieur le Premier Ministre y reviendra d’ailleurs tout à l’heure.

Alain GRISET

Les chambres de métier partagent tout à fait ce souci de simplification des démarches administratives. Le travail que nous faisons actuellement avec les ANPE va d’ailleurs dans ce sens.

Ivan LEVAI

Les Boutiques de Gestion font partie des réseaux qu’évoquait Martine Aubry. Compensez-vous les carences des banquiers ?

Jean-Paul SOLARO

Le Réseau des Boutiques de Gestion est indépendant, constitué d’initiatives locales. Les 400, et bientôt 500, personnes qui y travaillent sont à l’entière disposition des créateurs d’entreprise, notamment des petites entreprises qui ne sont pas des start-up mais qui forment le tissu industriel.

Une fois qu’on a validé le projet, l’enjeu de l’accompagnement est bien de l’aider à réussir. Il est certain qu’une personne bien accompagnée a plus de chance de réussir qu’une autre. Le conseil en création d’entreprise est un véritable métier, particulièrement difficile car la qualité de il repose sur la qualité des relations entre les créateurs et les accompagnateurs. Là est la difficulté. Quelle que soit la situation des personnes désirant monter leur entreprise, des docteurs en université aux chômeurs, nous devons faire un travail important pour leur expliquer comment monter un projet.

Ivan LEVAI

Avez-vous un exemple à nous citer sur une action menée ?

Jean-Paul SOLARO

Un salarié, autodidacte, travaillait dans une petite entreprise de mécanique. Il souhaitait monter son entreprise. Aujourd’hui, il est à la tête d’une société de 200 personnes qui vend dans toute l’Europe. Autre exemple : un verrier à qui nous avons inculqué quelques règles de base pour pouvoir vivre de son art. Aujourd’hui, il intéresse de plus en plus de galeries. Nous avons de très nombreux exemples de ce type.

Yvan LEVAI

Venons-en au rôle de la Caisse Sociale de Développement Local.

François-Xavier BORDEAUX

C’est une petite banque qui travaille sur Bordeaux. Il y a deux ans, nous avons constaté qu’une personne isolée n’avait pas accès au crédit. Nous avons donc décidé d’intervenir sur le moyen terme, avec des prêts de 20 à 50 000 francs. Nous accueillons les personnes et travaillons sur leur prévisionnel. Récemment, nous avons par exemple repris le prévisionnel de deux jeunes qui voulaient créer une librairie de voyages, et dont les tableaux comptables ne comportaient pas les stocks. Comme banque, nous étions également soumis à la critique relative à l’efficacité. Nous avons donc fait des efforts. Une personne qui vient chez nous sait donc qu’elle pourra repartir de chez nous avec un chèque au bout d’une semaine ou de dix jours.

La critique est facile mais pour les banquiers, les risques du moyen terme sont indéniables. Nous avons donc travaillé avec un spécialiste de ces risques. De plus, comme nous n’avons pas de garantie, nous avons mis en place une double instruction : regard technique et regard humain/social. Notre comité de crédit met donc l’accent sur le coté technique et financier du dossier mais aussi sur la personne, son parcours, sa volonté. Coté accompagnement, la banque dispose enfin d’un réseau.

Yvan LEVAI

Faites-vous du secourisme social ou voulez-vous rentrer dans vos fonds ?

François-Xavier BORDEAUX

Nous traitons des populations qui n’ont pas accès à la banque, en faisant du crédit comme les autres banques. Nous avons un taux d’échec de 5 %, ce qui est faible. Nous avons du trouver des solutions inventives. Ainsi, concernant le coût de la comptabilité pour une entreprise, qui peut représenter 10 000 francs, soit le tiers de notre crédit, nous avons mis en place un packaging et une offre adaptée dans nos produits. Les comptables partenaires de l’établissement travaillent pour des sommes trois fois moindres.

Yvan LEVAI

Martine Aubry parlait de scandale en mentionnant les banques.

Martine AUBRY

Le métier de banquier est un métier du risque. Dès lors, on change de métier si l’on refuse de prendre des risques !

François-Xavier BORDEAUX

Je supporte de moins en moins ce qui est dit sur la nouvelle économie. La nouvelle économie, c’est nous aussi. Quand le marché ne peut pas répondre à un problème, nous trouvons des solutions, en nous fondant sur les personnes, leur dignité, leur volonté de se redresser. Voilà un vrai message.

Nadine GAGNIER

Je voulais revenir sur les relations entre créateur et banques. Ces relations peuvent être difficiles, c’est évident. Pour ma part, avec un dossier très complet, j’ai visité 5 ou 6 banques et peu ont pris le temps de regarder ce dossier et de m’écouter. Le créateur a pourtant besoin des banques. Celles-ci ne prennent pas les risques qu’elles devraient prendre. Mais les banques sont très actives quand les premiers bénéfices arrivent et quand l’entreprise commence à bien fonctionner.

Yvan LEVAI

Vous nous dites tous que le plus important, c’est l’homme. Retrouvons-nous ici l’économie solidaire ?

Eric BESSON

Trois petites remarques tout d’abord. Merci à Martine Aubry d’avoir réhabilité le chômeur créateur. Deuxièmement, les dispositifs américains sont intéressants et pragmatiques. Enfin, concernant l’accompagnement, je voudrais exprimer un souhait : nous devons favoriser l’accessibilité et la lisibilité pour les créateurs. Parlons donc non d’un guichet unique mais d’un lieu unique, où pourraient se retrouver les acteurs de la création d’entreprise. Actuellement, l’accès à l’information peut être un moyen de sélection. Cela n’est pas acceptable. Je plaide donc pour cette simplification et cette unification, ce qui permettrait au passage d’offrir des carrières aux militants du développement local.

Je voudrais également rendre hommage à Madame Lebranchu. Sans elle, ces Etats Généraux n’auraient pas eu lieu. Les annonces du Premier Ministre devront sans doute beaucoup à son opiniâtreté !

Jean-Jacques JEGOU

Je voulais revenir sur les propos d’Eric Besson. Nous avons beaucoup parlé de l’homme et des rencontres entre individus. Je ne voudrais pas défendre la boutique des élus locaux mais les collectivités locales sont bien la place par excellence de ces contacts et de cette proximité. La loi de juillet 1999, qui renforce les communautés de communes, accentuera en outre cette dimension et permettra d’attirer les créateurs dans les régions. Nous sommes certes dans un pays encore très compartimenté et nous devons poser les uns et les autres nos rancœurs et nos paquets pour travailler ensemble, véritablement de concert. Nous bénéficions en outre d’une exceptionnelle reprise économique. Pourtant, nous sommes le pays qui crée le moins d’entreprise. Nous retrouvons ici la dimension culturelle. Le rôle des collectivités locales est aussi de se tourner vers les quinquagénaires qui sont perdus mais qui ont une vraie compétence de l’entreprise, un réel potentiel de création.

André MULLIEZ

Parlons-nous des chômeurs créateurs ou du manque d’emploi en France ? Nous devons créer des employeurs si notre problème est celui du manque d’emploi. Il ne faut pas se préoccuper seulement des chômeurs créateurs mais aussi des PME qui construiront 10 ou 20 emploi dans les prochains mois.

Il n’y pas mieux que les chefs d’entreprise pour accompagner de nouveaux entrepreneurs. Depuis ces Etats généraux, je lance un appel aux 2 millions de chefs d'entreprise.

Venez donc aider gratuitement les entreprises. Vous en serez remerciés de deux manières : vous aurez fait grandir l’homme, et vous aurez à répondre à un tas de questions candides, qui sont autant de remises en cause !

Jean-Paul NOURY

Avons-nous envie de travailler ensemble ? Entreprendre en France, qui a vocation à devenir une Fédération, est certainement le meilleur terrain pour cela ! Je fais enfin une suggestion : copier la small business adminisration des Etats-Unis, qui aide notamment les femmes créateurs d’entreprise.

Martine AUBRY

Je crois que les messages exprimés par les différents intervenants sont clairs. Tout d’abord, il faut que nous continuions à mieux identifier l’accueil. La proposition de Monsieur Besson d’avoir un seul centre d’accueil pour un territoire me semble bonne, et ce quel que soit le réseau choisi. Je regrette que nous n’ayons pas eu le temps d’évoquer les différentes aides accordées aux personnes disposant de minima sociaux. Je souhaite qu’elles ne soient pas oubliées. Il faut sans doute encore baisser le coût de la création d’entreprise, notamment sur la première année. Je crois savoir que le Premier Ministre y reviendra cet après-midi.

Enfin, je voudrais faire un appel. Je me bats depuis 1991 sur un sujet essentiel pour les jeunes entreprises : la déclaration unique pour les cotisations des salariés. Nous butons sur le fait que les organisations patronales n’arrivent pas à se mettre d’accord. Si nous voulons aider les jeunes entreprises, donnons leur la possibilité de ne remplir qu’un seul dossier pour les salaires. Je vous remercie de m’avoir permis de lancer cet appel ; j’espère qu’il sera entendu.

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