Avec les aides à l'emploi, la Mission n'a pas craint de retenir un thème qui, s'il était complexe, lui permettait, mieux que d'autres, à raison même de ses enjeux, de faire la preuve du caractère novateur de sa démarche et de son intention de la mener à son terme. Peut-on trouver meilleur terrain qu'une enveloppe globale d'aides ou d'exonérations de l'ordre de 350 milliards de francs, dans une conception large de la dépense pour l'emploi, recouvrant des dispositifs complexes longtemps marqués par une instabilité certaine et le sentiment, non totalement faux, d'un « maquis » d'aides maîtrisé par les seuls initiés ? Bref, une présomption forte de perte d'efficacité.
Pour garantir son intervention, la Mission a d'abord dû délimiter le champ de son intervention. Elle a mis à part les importantes inflexions introduites depuis 1997 pour examiner la structure traditionnelle des aides à l'emploi, telle qu'elle a été héritée de l'évolution des politiques de l'emploi depuis 1973 : un volet d'aides ciblées en direction des personnes les plus touchées par la sélectivité du marché du travail, un volet d'aides générales autour de la ristourne dégressive et un volet d'organisation de la cessation anticipée d'activité. Seul, un tel recul rendait possible, s'agissant d'une première évaluation parlementaire, l'approche en termes stricts de coût-efficacité, reprise de l'examen du bon emploi de l'argent public traditionnel à la Cour des comptes.
La deuxième tâche de la Mission a été de se doter d'une « grille de lecture » des différentes aides et, s'agissant ici du premier enseignement de ses travaux, les données disponibles ont montré qu'il existe de fortes marges d'amélioration des modalités d'évaluation de la politique de l'emploi. Des documents dont la Mission a eu connaissance et des auditions auxquelles elle a procédé, il ressort de trop fortes disparités ou insuffisances.
Les disparités sont manifestes dans la définition même des agrégats représentatifs de la dépense pour l'emploi. Le bon sens parlementaire et le bon sens gestionnaire voudraient que l'on disposât de données stables, exhaustives, permettant les comparaisons dans le temps et entre les différents types de politiques de l'emploi. Sans même parler des contraintes propres aux comparaisons internationales, dont on peut penser qu'elles iront en s'amplifiant au sein de l'Union européenne, il apparaît, par exemple, que la connaissance de l'action des collectivités locales pour aider l'emploi demeure lacunaire. Paradoxalement, ce manque presque complet d'information porte sur des aspects qui correspondent aux démarches d'individualisation des mesures et de rapprochement de la prise de décision des bassins d'emploi qui sont désormais mises en avant, par l'Etat, dans l'attribution de ses aides visant les publics les plus éloignés du marché du travail. Ce constat avait été celui de la Commission d'enquête sur les aides à l'emploi de 1996. Il est apparu à la Mission que ni les suites données à cette dernière, ni, plus récemment, les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques n'avaient permis de progresser en ce domaine. La Mission a pensé que la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes pourraient apporter d'utiles éclaircissements sur ce point.
Sans parler même des désaccords entre économistes, les insuffisances des résultats de certaines enquêtes visant à apprécier les motivations des employeurs qui utilisent les aides sont manifestes. N'y a-t-il pas matière à perplexité lorsque des enquêtes auprès d'employeurs sur l'utilisation d'un même dispositif d'aide font apparaître des réponses contradictoires, du même employeur, à la même question, dans deux enquêtes successives, sur les mêmes embauches aidées ? Et encore lorsqu'il apparaît que l'appréciation faite de la réponse doit varier selon que c'est l'employeur qui a ou non répondu lui-même au questionnaire ?
La Mission a donc considéré qu'il fallait généraliser et perfectionner les évaluations. Il est clair pour elle que c'est d'abord par le suivi des trajectoires de retour à l'emploi des bénéficiaires après qu'ils soient sortis des dispositifs aidés qu'il faut tendre à apprécier l'efficacité des dispositifs et les aménagements et redéploiements qu'ils nécessitent.
La troisième tâche de la Mission consistait à savoir quel doit être l'objectif principalement poursuivi par les aides à l'emploi. A cet égard, elle a abouti à la conclusion que la création nette d'emplois ne pouvait être le seul objectif de ces aides. C'est la raison pour laquelle elle a estimé pouvoir, sans rien abdiquer, reprendre à son compte la terminologie des évaluateurs lorsqu'ils parlent de « modification dans la file d'attente des demandeurs d'emploi ». Encore faut-il, la validité de cet objectif reconnue, ne pas se contenter d'en avoir une conception paresseuse, empreinte d'un économisme étroit. Pour la Mission, dès lors qu'on s'est donné les moyens de rétablir les « fondamentaux » en termes de croissance et d'abaissement du coût du travail, il demeure un exigeant devoir de vérifier les conditions réelles de mise en oeuvre des dispositifs ciblés visant les personnes les plus éloignées du marché du travail, sans qu'il s'agisse de se limiter à vouloir garder la maîtrise du coût global d'un volant de dispositifs « parking ». Bien au contraire, il s'agit de se doter de moyens permettant de ne pas se résigner à ce que certains demeurent durablement exclus du marché du travail.
La dernière tâche de la Mission a été d'oser « mettre sur la sellette » un certain nombre de dispositifs et de montrer, dès son avènement, qu'elle était disposée à y procéder sans tabou. Si elle n'a matériellement pas pu, dans le temps qui lui était imparti au cours de cette première session, procéder successivement à l'examen de chaque dispositif d'aide, la Mission a néanmoins tenu à marquer clairement le principe qui doit guider l'action de la Commission des finances lorsqu'elle propose à notre Assemblée l'adoption de crédits ou d'allégements fiscaux ou sociaux au titre de l'aide à l'emploi. Elle l'a fait de deux façons :
- en suggérant de diminuer des aides dont elle a raisonnablement présumé, au vu des résultats de ses travaux sur les mécanismes des décisions de création d'emplois et d'embauches, qu'elles offraient de forts effets d'aubaine. C'est le cas pour l'exonération de cotisations sociales patronales pour l'embauche d'un premier salarié ou la réduction d'impôt pour création d'emploi des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés ;
- en fixant un clair principe d'action en matière de ce qu'il est convenu d'appeler les « mesures d'âge ». Pour la Mission, ces mesures constituent un non-sens économique et social puisqu'elles facilitent, grâce à l'argent public, l'adoption par les entreprises d'un management imprévoyant ou sans imagination de leurs effectifs et de leur pyramide des âges. La Mission a donc estimé qu'il convenait, dans ce domaine, d'émettre un « message fort » en demandant la quasi-suppression des actuelles préretraites totales du FNE. Son raisonnement a consisté à marquer les insuffisances de ce dispositif, en raison de l'absence d'obligation de remplacement des salariés bénéficiaires. Cette insuffisance est manifeste par rapport au régime de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), au financement duquel l'Etat ne participe d'ailleurs pas, sauf à titre résiduel pour certains anciens combattants d'Afrique du Nord. Mais, il va bien entendu de soi qu'il n'a jamais été question pour la Mission de préconiser la remise en cause de l'allocation de cessation anticipée d'activité des salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante ou des salariés et anciens salariés reconnus atteints d'une maladie professionnelle provoquée par l'amiante.
Enfin, votre Rapporteur ne voudrait pas donner le sentiment que la Mission aurait méconnu les mesures de redéploiements des crédits et de recentrage des dispositifs, déjà engagées par le Gouvernement et les services du ministère de l'emploi et de la solidarité. Elle a bien vu, par exemple, que, dans la partie de son rapport public pour 1998 consacrée aux suites données à ses observations antérieures, la Cour des comptes a fait état de mesures prises pour garantir que les crédits du contrat emploi solidarité servent d'abord aux publics prioritaires. Elle a également noté qu'un recentrage du CIE avait été engagé. Cette réponse anticipée aux conclusions de la Mission montre bien la contribution que cette dernière peut apporter, au-delà de la nécessaire revalorisation du rôle de l'Assemblée nationale, à la pleine réalisation des objectifs que s'est fixés le Gouvernement, en suggérant des réformes éclairées par un contrôle parlementaire rénové.
|
|
|