I.- L'ÉVALUATION N'ÔTE PAS TOUT CONTENU POLITIQUE AU DÉBAT SUR LES AIDES À L'EMPLOI

A.- UN FORT ENJEU POLITIQUE

À propos de l'évolution des politiques de l'emploi, on a récemment pu parler de « révolution silencieuse ». Ce changement est l'aboutissement d'un processus d'où il ressort que les politiques de l'emploi « se sont construites depuis le milieu des années 1970 sur un mode cumulatif, de nouvelles mesures s'ajoutant ou se substituant chaque année aux anciennes. Les conséquences de ce mode d'élaboration d'une politique publique, sans cesse soumise au verdict des chiffres du chômage ont déjà été soulignées : stratification des mesures, faible durée de vie des dispositifs, multiplication des effets d'annonces politiques, complexité croissante du champ de ces politiques (...)» .

1.- Le verdict du taux de chômage

Dans ce constat, il importe, en raison même de la démarche suivie par la Mission, de ne pas sous-estimer ce que peut représenter ce verdict des chiffres du chômage. Il s'agit d'une dimension primordiale pour l'approche politique, et dans les alternances que notre pays a successivement connues depuis 1981, ce verdict des chiffres du chômage a compté pour beaucoup.

Pour une part importante, toute évaluation a posteriori des dispositifs successifs d'aides à l'emploi est conduite à critiquer d'abord la priorité qui a pu être donnée, à tel ou tel moment, au développement quantitatif de certains dispositifs. Il n'en demeure pas moins que, pour le politique, ni la question du montant des dépenses d'aides à l'emploi, ni la sensibilité à ce problème, n'ont la même dimension selon que le taux de chômage croît ou diminue. Mais la Mission n'a de toute façon pas cherché à faire l'historique des politiques de l'emploi. Elle s'est délibérément placée au terme de la « révolution silencieuse » précitée.

De ce point de vue, on peut penser, comme M. Christian Lhote, directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de l'Orne lors de son audition, que : « le procès fondé sur la multiplication d'aides subsistant les unes à côté des autres est maintenant un débat dépassé. Depuis une dizaine d'années, les aides mises en place se substituent à d'autres qui sont supprimées ».

Le tableau suivant récapitule les principales mesures de politique de l'emploi intervenues depuis 1973, en faisant apparaître les dates de début et de fin des dispositifs successifs. Sans doute le dispositif d'ensemble est-il complexe. Sans doute des simplifications sont-elles encore souhaitables et possibles. Mais l'architecture d'ensemble des aides apparaît globalement fixée, au point que toute remise en cause risquerait de relever moins du débat sur la plus ou moins grande efficacité d'un type d'aide que du débat de société.

 

 

Emploi marchand aidé

 Emploi non marchand aidé

 

Stages de formation professionnelle

Cessation anticipé d'activité

 

1973 - 75

Contrat emploi formation (1975 - 1983)

 

AFPA (fin des années 1940) FFPPS (1972)

 

Allocation spéciale FNE 60 - 65 ans (1967 - 79) Garantie de ressources 60 - 65 ans

1976 - 1980

 

Pactes pour l'emploi des jeunes 1977 - 1982) CEF , stages pratiques Exonération de cotisations sociales Exonération de charges pour les apprentis (loi de 1979) Aide aux chômeurs créateurs d'entreprise

 

Pacte pour l'emploi des jeunes (1977 - 1982)

Stage d'insertion et de qualification

Stages de mise à niveau (1976 - 1990)

 

1981 - 1983

 

 Emplois d'initiative locale (1981 - 1987)

 

 

Rapport Schartz

Stage d'insertion professionnelle et sociale (16 -25 ans 1982 - 1990)

Stages régions (1983)

Stage FNE/CLD (1983 - 1989)

 

Retraite à 60 ans

Allocation spéciale du FNE pour les 55 - 59 ans (1981)

Contrats de solidarité

Pré-retraite démission (1982 - 1983 ou progressive (1982)

1984 - 1985

Formation en alternance Contrat de qualification et contrat d'adaptation (1984)

Stage d'initiative à la vie professionnelle (1984 - 1991)

 

Travaux d'utilité collective (1984 - 1989)

 

Stages modulaires (1985 - 1989)

Dispense de recherche d'emploi (1984)

 

1986 - 1987

 Exonération de cotisation sociales pour embauche de jeunes ou formation en alternance (1986 - 1987)

Contrat de réinsertion en alternance (CLD 1987 - 1989)

 

 

 

Stages de réinsertion en alternance (CLD 1987 - 1989)

Convention de conversion (1987)

 

1988 - 1991

Contrat de retour à l'emploi (CLD 1989 - 1995)

Exonération de charges pour le premier salarié (1989)

Entreprise d'insertion (1990)

Exo-jeunes (1991 - 1993)

 

Actions d'insertion et de formation (CLD 1990 - 1993)

 

1992 - 1998

 Emplois familiaux (1992)

Allègement des charges sur les bas salaires (1993)

Abattement temps partiel (1992)

Contrat initiative-emploi (CLD)

 

 

Contrat emploi consolidé (1992)

Contrat emploi de ville (1996 - 1997)

Emplois jeunes (1997)

 

Stages d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE) (1994)

 

Allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) (1995)

 

CLD : chômeurs de longue durée

AFPA: association pour la formation professionnelle des adultes

FPPS: fonds de la formation professionnelle et de la promotion sociale

Entre parenthèse : dates de début et de fin des entrées dans le dispositif

D'après B. Roguet et P. Marioni "les programmes mis en oeuvre depuis 1973: coûts et bénéficiaires" in Dares, la politique de l'emploi.

La découverte, 1997 Tableau actualisé par ses auteurs

Source: Norbert Holcblat, la politique de l'emploi en France, in Les politiques de l'emploi en Europe et aux Etats-Unis, sous la direction de Jean-Claude Barbié et Jérôme Sautié PUF 1998

En effet, il est toujours possible, au nom de la pure cohérence intellectuelle et de l'efficacité, de réclamer la suppression de dispositifs d'aide à l'emploi. Si l'onprend, par exemple, le cas des dispositifs de retrait d'activité, une évaluation entermes de coût-efficacité strictement économique peut conduire à constater quede tels dispositifs :

· ne sont pas créateurs nets d'emploi, puisqu'ils permettent au mieux deremplacer un salarié partant par un salarié remplaçant ;

· ont un coût croissant, puisqu'au-delà du coût résultant de l'entrée dans le dispositif (raisonnement en flux), il faut prendre en compte le coût total de lamesure (raisonnement en « stocks » cumulés des bénéficiaires) ;

· rendent plus rigides la dépense pour l'emploi car, à raison même de l'existence de ce « stock », les marges de redéploiement se trouvent amenuisées ;

· entrent de plus en plus en contradiction avec les évolutions démographiques qui conduisent à réfléchir aux mesures nécessaires à l'équilibre des régimes de retraite par répartition ;

· ont un coût économique puisqu'elles suppriment la part d'amélioration de la productivité liée à l'expérience des salariés.

En conclure qu'il faut purement et simplement supprimer tout dispositif de retrait d'activité, méconnaîtrait pourtant le contexte global dans lequel s'inscrit ce type de dispositif, même en période de diminution du chômage. D'autres éléments doivent être pris en compte dans un bilan coût/efficacité qui ajoute à l'approche strictement économique la prise en compte des aspects sociaux de la mesure,comme :

· la sélection opérée par le marché du travail, c'est-à-dire, en fait, les pratiques de beaucoup d'entreprises qui ne sont pas favorables aux travailleurs « âgés ».

Ainsi que l'a souligné la ministre de l'emploi et de la solidarité devant la Mission, il existe un réel problème sur « les moyens de répondre à l'anxiété des hommes et des femmes qui atteindront l'âge de la retraite dans dix ans et ont travaillé soit tôt, soit sur des emplois pénibles ou dont la formation professionnelle a été rendue obsolète par le progrès technique » ;

· la difficulté soulignée, celle-là, par M. Christian Lhote de faire comprendre à des salariés de 40 ans que l'on garderait dans l'entreprise des gens âgés de plus de 57 ans et qu'eux-mêmes seraient remis sur le marché du travail.

En outre, il ne faut pas perdre de vue, comme l'a souligné M. Claude Seibel,directeur de la DARES, que la France a devant elle un problème de vieillissement de sa population active qui pourra « se concrétiser dans un certain nombre de branches par des situations analogues à ce que l'on a observé au début des années quatre-vingt, dans les chantiers navals, la sidérurgie, les charbonnages.»

2.- La place pour des choix de société

Cela signifie-t-il qu'un regard rétrospectif n'aurait plus d'utilité ? Au contraire, il permet plusieurs constatations qui n'ont en rien perdu de leur pertinence et montrent que les choix, en matière de politique de l'emploi, demeurent autant des débats de société, c'est-à-dire des choix politiques, que des querelles d'économistes.

En premier lieu, il existe des « modèles » de politique de l'emploi qui diffèrent selon les pays. Le rapport réalisé pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques distingue un modèle anglo-saxon, caractérisé par un faible ratio dépense publique pour l'emploi /PIB, un modèle germanique caractérisé par de fortes dépenses de formation et d'aides à l'embauche et un modèle sud-européen, qui recouvre les situations de la France et de l'Italie, caractérisé par une importante dépense de préretraites et un montant de plus en plus important d'aides à la création d'emplois.

Le tableau suivant, issu de l'étude précitée, met en évidence la structure des politiques de l'emploi dans quelques pays européens en 1996-1997.

STRUCTURE DES POLITIQUES DE L'EMPLOI DANS QUELQUES PAYS EUROPÉENS EN 1996-1997 (en %)

 

Allemagne

France

Italie

R-U

Suède

Administration, service public de l'emploi

5,5

5,1

2

12,2

6,1

Formation professionnelle

9,5

11,5

0,5

6,1

10,1

Mesures en faveur des jeunes

1,9

7,7

21,4

8,8

0,5

Aides à l'embauche

9

15,3

31,1

-

16,5

Mesures en faveur des handicapés

7,4

2,6

-

1,4

15,8

Indemnisation du chômage

65,7

46

34,7

71,4

50,8

Retraite anticipée

1,3

11,5

10,2

-

-

Source : OCDE, Perspectives de l'Emploi, 1998*.

* Structures en % calculées sur la base des données en pourcentage du PIB. Les totaux sont légèrement différents de 100 en raison des approximations.

Ces différences ont aussi un contenu politique, que M. Claude Seibel, directeur de la DARES a souligné, lors de sa participation à la table ronde du 17 mai dernier, comme le fait que certains modèles, complaisamment mis en avant, reposaient sur une part importante de travailleurs découragés de se porter candidats à la reprise d'un emploi.

En deuxième lieu, il a existé une hausse tendancielle du niveau de la dépense pour l'emploi en France. L'étude réalisée pour l'Office parlementaire des politiques publiques, à partir de données de la DARES, rappelle qu'avec un point de départ fixé en 1973 à 0,90 % du PIB, on était arrivé à des niveaux de 2,83 % en 1981, 3,62 % en 1986, 3,51 % en 1988, 4,16 % en 1993, 3,78 % en 1995. Le niveau demeure aujourd'hui de l'ordre de 4% du PIB.

 En troisième lieu, cette hausse même de la dépense publique ne pouvait que donner naissance à une critique des approches purement quantitatives et justifier la recherche de redéploiements. Les étapes successives de la politique de l'emploi en France trouvent ici leur explication. Cette recherche d'une plus grande efficacité a visé la répartition entre les dépenses actives et les dépenses passives, et celle entre les mesures ciblées et les mesures générales.

Il apparaît ainsi que la terminologie des évaluateurs a déjà été reprise par les politiques.

sommaire_aides_a_l'emploi_

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