.- LE BON EMPLOI DES FONDS PUBLICS EN CE QUI CONCERNE LES AIDES À L'EMPLOI
A.- LA CRÉATION NETTE D'EMPLOIS PEUT NE PAS ÊTRE L'UNIQUE OBJECTIF DES AIDES À L'EMPLOI
La Mission a repris la grille d'analyse mise à sa disposition par les évaluations déjà réalisées. Sa formulation la plus récente a été donnée, en ce qui concerne les aides ciblées, par l'étude de la DARES intitulée « Les entreprises et les aides à l'emploi en quatre mesures », publiée au mois de novembre 1998 (5). Cette étude distingue :
· l'effet emploi net d'un dispositif : en l'absence du dispositif, l'employeur interrogé déclare qu'il n'aurait pas embauché, ni sans aide, ni sous un autre dispositif ;
· l'effet emploi-substitution : en l'absence du dispositif, l'employeur interrogé déclare qu'il en aurait utilisé un autre, mais qu'il n'aurait pas embauché sans aide ;
· l'effet d'aubaine : en l'absence du dispositif, l'employeur interrogé déclare qu'il aurait de toute façon embauché. On peut même distinguer une « aubaine nette », le recours à un autre dispositif étant exclu, et une « aubaine-substitution », le recours à un autre dispositif étant possible.
Le graphique de la page suivante (non représenté), tiré de cette étude, présente les résultats des différents dispositifs étudiés (exonération du premier salarié, contrat initiative emploi, contrat de qualification et apprentissage) au regard de ces différents effets tels qu'ils sont déclarés par les employeurs ayant répondu aux enquêtes. La DARES a en effet décidé de conduire parallèlement des enquêtes sur plusieurs dispositifs d'aides avec un questionnaire identique quant à l'effet de ces dispositifs sur l'emploi. Une telle harmonisation apparaît de nature à améliorer la comparaison entre les différentes aides.
La DARES a résumé l'appréciation d'ensemble qui ressort de cette étude dans les termes suivants : « Ces aides contribuent, en premier lieu, à réduire la sélectivité du marché du travail au profit des moins qualifiés et des chômeurs de longue durée. L'effet net sur l'emploi est beaucoup plus variable : relativement important pour les contrats d'apprentissage et de qualification, il est modeste s'agissant du CIE et de l'exonération 1er salarié. »
COMPARAISON DES DISPOSITIFS ET DES ENQUÊTES
Graphique non représenté
La mention « d'enquêtes antérieures » vise des résultats antérieurs aux enquêtes harmonisées.
Source : DARES, Premières synthèses, novembre 1998, n° 46-1.
La création nette d'emplois peut donc ne pas constituer l'unique critère d'évaluation d'une aide à l'emploi. Pour les aides ciblées, la modification de l'ordre dans la file d'attente des demandeurs d'emploi, au bénéfice de ceux qui sont les plus éloignés du marché du travail, doit être le premier élément à prendre en compte. En raison de l'extrême sélectivité du marché du travail et de la médiocre « employabilité » de certaines personnes en état durable de chômage, il existe donc un volet incompressible de mesures ciblées.
Lors de son audition par la Mission, M. Christian Lhote, directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de l'Orne, évoquant le CIE, a indiqué : « je crois que l'on a absolument besoin d'instruments de ce type pour permettre l'accès du public exclu au marché du travail et à l'entreprise.(...) Il faut relativiser le terme d'effet d'aubaine. C'est peut-être une aubaine pour le chômeur de longue durée d'être recruté.»
Le débat sur ce type d'aide se présente donc moins en termes de suppression ou de maintien qu'en termes de définition stricte des publics cibles.
Par exemple, le CIE a été recentré sur les publics prioritaires. Dans l'attente des résultats des contrôles effectués par la Cour des comptes, on peut relever les résultats de l'étude précitée de la DARES indiquant que :
· interrogés pour savoir s'ils se seraient reportés sur un autre dispositif en l'absence de celui utilisé, 78 % des établissements répondent positivement pour le CIE ;
· le recours au CIE modifie six fois sur dix le profil des salariés recrutés en matière d'âge, de formation ou d'expérience, au profit de personnes moins expérimentées ou moins formées ;
· 41 % des établissements interrogés déclarent que, sans aide, ils auraient embauché de préférence une personne inscrite depuis moins de 12 mois à l'ANPE.
Et la DARES observe : « Le recours au CIE a modifié au total trois fois sur quatre le profil de la personne embauchée. L'atténuation de la sélectivité à l'embauche est bien le principal apport de ce contrat, notamment chez les utilisateurs intensifs. »
AVANTAGES FINANCIERS ET EFFET EMPLOI :
UN LIEN PARFOIS DÉLICAT À ÉTABLIR
En abaissant le coût du travail, les aides à l'emploi incitent certaines entreprises à procéder à des embauches qu'elles n'auraient pas effectuées autrement. On peut raisonnablement supposer que cet effet emploi est d'autant plus important que l'abaissement du coût du travail est conséquent. Dans 40 ans de politique de l'emploi, la DARES a calculé des coefficients de création nette d'emploi à partir de l'allégement du coût du travail de chaque dispositif et en essayant de tenir compte des caractéristiques propres aux contrats en alternance qui permettent de payer le salarié en dessous du salaire minimum. Avec cette approche, le coefficient emploi du CIE est plus fort que celui du contrat de qualification.
Tel qu'il se dégage des enquêtes, l'effet emploi du CIE, relativement à celui des autres dispositifs, apparaît plus faible que ce que laisserait envisager la comparaison des seuls avantages financiers. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différences.
D'abord, les contraintes associées à l'embauche sont fort différentes. Le CIE est sans doute le dispositif pour lequel les contreparties en termes de caractéristiques de la personne embauchée sont le plus fortement ressenties par les employeurs. Probablement moins à cause d'une éventuelle productivité plus faible des personnes embauchées - l'enquête montre que le temps d'adaptation des bénéficiaires du CIE n'est pas plus long que celui des autres salariés pour un même poste - qu'à cause des réticences que peut provoquer le parcours antérieur des personnes concernées. Les employeurs semblent considérer qu'au risque lié au poste (dont la rentabilité est jugée insuffisante pour qu'il soit créé en l'absence d'aide), l'embauche dans le cadre d'un CIE ajoute un risque lié au salarié qui réduit le caractère incitatif de la baisse du coût du travail.
Ensuite, des effets liés au type d'embauche ou des biais liés au statut de la personne répondant à l'enquête permettent d'expliquer l'absence apparente d'écart entre le CIE et l'exonération pour l'embauche d'un premier salarié. En premier lieu, pour chaque dispositif hors apprentissage, l'effet emploi déclaré est de 7 à 8 points supérieur quand la personne qui répond à l'enquête est le chef d'entreprise. En second lieu, toutes choses égales par ailleurs, l'effet emploi est plus fort lorsque l'embauche correspond à une création de poste et non pas à un remplacement sur un poste existant. Or, pour l'exonération pour l'embauche d'un premier salarié, en dehors du cas rare du remplacement d'une personne non comptée comme salarié, il s'agit toujours d'une création d'emploi et le répondant est chef d'entreprise. En se limitant au cas des réponses faites par les chefs d'entreprise au sujet d'une création d'emploi, l'effet déclaré sur l'emploi du CIE s'élèverait alors à 29 %.
Source : DARES, Les entreprises et les aides à l'emploi en quatre mesures, Premières informations et Premières synthèses, novembre 1998, n° 46-1
En ce qui concerne, les aides au secteur non marchand, une même préoccupation de recentrage sur les publics prioritaires est apparue. S'agissant du contrat emploi solidarité (CES), la Cour des comptes avait critiqué le fait que des publics relativement les moins défavorisés tendaient à concurrencer efficacement les plus éloignés de l'emploi dans l'accès aux CES. Dans la partie du rapport public de la Cour des comptes pour 1998 consacrée aux suites données à ses observations antérieures, la ministre de l'emploi et de la solidarité a indiqué les mesures prises pour garantir le recentrage au bénéfice des publics prioritaires :
· la répartition des crédits du CES s'effectue désormais en « mois-CES » et non plus en nombre de conventions ;
· depuis 1997, les critères de répartition des crédits prennent en compte non seulement l'état de consommation des années précédentes, mais aussi des critères objectifs liés à la situation du chômage et de l'emploi au niveau régional ;
· en 1998, a été mis en place le programme de globalisation et de déconcentration des mesures de lutte contre le chômage de longue durée permettant d'adapter le niveau des enveloppes de mesures (CES, contrats emploi-consolidé (CEC), stage d'insertion et de formation à l'emploi, contrat initiative-emploi, stage d'accès à l'entreprise) aux besoins des demandeurs d'emploi sur le plan local ; la répartition du nombre d'entrées par mesure s'effectue au niveau local sur la base de diagnostics locaux élaborés en liaison avec les partenaires du service public de l'emploi, dans le cadre d'un volume annuel financier impératif.
· Avec la généralisation de cette globalisation territoriale, il s'agit, selon les termes d'une circulaire du 15 juin 1998, « d'atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement en matière d'emploi à travers l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique locale d'accès à l'emploi ».
En outre, la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions a fait des CES et des CEC des moyens presque entièrement réservés à l'accès à l'emploi des personnes en voie d'exclusion. L'objectif que les bénéficiaires du RMI et les chômeurs de longue durée représentent, en 1999, au moins 75 % des personnes recrutées en CES et en CEC est en voie d'être atteint, comme l'a indiqué la ministre de l'emploi et de la solidarité lors de son audition par la Mission. A ce titre, l'Agence nationale pour l'emploi joue un rôle central en effectuant un « diagnostic individualisé » pour orienter et sélectionner les personnes relevant de ces dispositifs de dernier recours.
La démarche de globalisation et l'individualisation doit donc permettre d'améliorer l'efficacité des dispositifs d'aide qu'elle concerne, étant entendu qu'une évaluation approfondie devra tenir compte du parcours ultérieur des bénéficiaires, compte tenu même d'un taux de retour à l'emploi propre à un contexte de réinsertion et parfois de « resocialisation ».
B.- LA CONFIRMATION DE LA STRATÉGIE D'ABAISSEMENT DU COÛT DU TRAVAIL
La réduction du coût du travail, en laissant de côté la question de la modération salariale, est-elle créatrice d'emplois ? Cette question a fait l'objet de débats importants, au cours des réunions de la Mission, à propos des allégements de charges sociales sur les bas salaires, élément central de la « révolution silencieuse » des politiques de l'emploi menées en France.
Le point de départ de la « controverse » qui a marqué les travaux de la Mission a été la position exprimée par M. Liêm Hoang Ngoc, coordonnateur de l'étude réalisée pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques. Il a douté que l'exonération générale de cotisations sociales sur les bas salaires soit la meilleure solution possible, car si elle bénéficie aux entreprises de main d'oeuvre, elle allège aussi les charges des autres entreprises, ce qui n'est pas satisfaisant en termes de rationalité de la dépense pour l'emploi. Il a insisté sur la diversité des situations des entreprises, en termes de situation financière et de stratégie d'emploi, et souligné qu'il n'est pas possible de tirer de la situation d'un secteur donné une préconisation pour l'ensemble des secteurs d'activité. Dans certains secteurs, il peut effectivement exister des problèmes de coût du travail, mais les mesures vont pourtant bénéficier à tous les secteurs et à toutes les entreprises. Il a souligné que ce débat recouvre également un débat de société sur le point de savoir quelle priorité la France doit se donner, entre le développement de l'emploi qualifié ou celui de l'emploi non qualifié. Selon lui, une politique d'abaissement du coût du travail n'est justifiée que si deux conditions sont réunies : la première tenant à l'existence d'une pénurie de main d'oeuvre qualifiée, et la seconde, à l'existence d'une forte élasticité emploi/salaire (effets en termes de création d'emplois de la diminution du niveau de salaire). Or, encore selon lui, les travaux économétriques n'ont pas mis en évidence une élasticité de cette nature qui soit globalement significative. En outre, en France, le coût global du travail se situe dans la moyenne européenne et a évolué à un rythme inférieur aux gains de productivité et à l'inflation. Pour le coût du travail non qualifié, les résultats ne sont, toujours selon lui, pas apparus statistiquement significatifs.
Lors de la table ronde du 27 mai 1999, il a résumé cette analyse en disant : « centrer toute la politique de l'emploi sur la réduction du coût du travail me semble bien peu rationnel pour rationaliser la dépense pour l'emploi ».
Cette position a été critiquée par la DARES et la direction de la prévision. Lors de la table ronde précitée, leurs représentants ont remis aux membres de la Mission le résumé d'une étude faite par l'INSEE, la direction de la prévision et la DARES sur les enseignements pouvant être tirés de sources statistiques disponibles quant aux effets sur l'emploi des allégements de charges sur les bas salaires. Il ressort de ce document, présenté en annexe au présent rapport, que « selon les évaluations macro-économiques, environ 150 000 emplois auraient été créés grâce aux allégements de charge sur les bas salaires entre fin 1995 et fin 1998, ce qui peut être rapproché de la stabilisation de la part des emplois peu qualifiés dans l'emploi privé. Dans le même temps, la proportion de salariés rémunérés en deçà de 1,3 SMIC mensuel a augmenté nettement entre mars 1994 et mars 1998 : + 6 points pour l'ensemble des salariés, + 8 points pour les seuls salariés non qualifiés. Cette croissance s'observe surtout au cours des deux dernières années » . Le directeur de la prévision a fait état des analyses du CSERC faisant ressortir, comme le montre le graphique suivant, « un coût du travail peu qualifié très élevé en France » si l'on compare le coût relatif du salaire minimum par rapport au salaire moyen.
COÛT RELATIF DU SALAIRE MINIMUM PAR RAPPORT AU SALAIRE MOYEN
(graphique non représenté)
Au cours de cette table ronde, les représentants du patronat ont, pour leur part, attaché « beaucoup d'importance » à la réduction du coût du travail.
Lors de son audition, la Ministre a d'une certaine manière clos le débat sur le plan de l'évaluation politique, telle qu'elle est réalisée par la Mission, lorsqu'elle a indiqué que « l'accord est donc général sur le diagnostic » du problème du coût du travail non qualifié. La baisse du coût du travail est donc confirmée comme élément structurel de la politique de l'emploi, le directeur de la Prévision ayant même considéré que : « le fait d'avoir eu un coût du travail peu qualifié extrêmement élevé par rapport à la moyenne et le fait de le ramener à des niveaux plus normaux n'est pas vraiment une aide à l'emploi. C'est plus la correction d'une erreur, malheureusement collective (...). Ce n'est pas tant une aide à l'emploi que le retour à des fondamentaux plus sains. »