C.- TROUVER LE BON COMPROMIS ENTRE LA COMPLEXITÉ ET L'EFFICACITÉ
La tentation de tout évaluateur est sans doute de voir partout de l'excessive complexité, ce qui lui permet d'y apporter ses clartés. Il est vrai que les dispositifs d'aide à l'emploi sont complexes. Les chefs d'entreprise que la Mission a entendus l'ont déclaré. Mais la complexité ne signifie pas nécessairement l'absence de toute lisibilité. La « sédimentation » des aides, le cheminement progressif des politiques d'aide à l'emploi expliquent beaucoup de l'état de choses actuel.
Le danger d'une approche trop exclusivement « de terrain » est de ne voir que l'aide qui convient ou manque dans un cas donné et, par conséquent, la tentation est grande de considérer comme inutiles les aides répondant à d'autres situations. Le représentant du MEDEF a ainsi estimé, à la lumière de son expérience de dirigeant d'industrie « autant on peut supprimer certaines aides ciblées, autant celles concernant la formation me paraissent tout à fait utiles ». Au cours de la même table ronde, M. Jean Lardin a déclaré : « Pour l'Union professionnelle artisanale, les aides ciblées sont contestables. Elles ont un effet pervers sur les entreprises. Elles peuvent créer des effets d'aubaine et troubler le jeu de ce que doit être une véritable embauche ». Cette déclaration ne s'accorde d'ailleurs pas avec le constat fait par le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de l'Orne, lors de son audition, d'où il ressort que ce sont surtout les petites entreprises qui accèdent aux aides ponctuelles aux embauches comme l'apprentissage, le contrat de qualification ou le contrat initiative emploi. En revanche, les aides collectives et les aides à la formation (dispositifs de formation du FNE, aide à la formation ou à l'adaptation du personnel) sont, selon lui, davantage utilisées par les entreprises de taille importante.
À l'inverse, le danger d'une approche trop bureaucratique est de vouloir atteindre une trop forte spécialisation des aides pour tenter de répondre à toutes les situations envisageables, ce qui ne peut qu'aboutir à des conditions de mise en oeuvre trop complexes finissant par dissuader les éventuels bénéficiaires. S'y ajoute la crainte des « chasseur de primes » qui conduit à fixer des conditions d'attribution tatillonnes, sources de contentieux inévitables.
Il est difficile de trouver un compromis entre ces approches, M. Liêm Hoang Ngoc ayant même souligné l'existence d'un « double paradoxe » : les entreprises qui déclarent connaître un problème de coût salarial ont peu recours aux dispositifs de politique de l'emploi ; les entreprises qui utilisent ces dispositifs sont essentiellement celles qui en sont informées, sans nécessairement rencontrer un problème de compétitivité et de coût salarial.
Il convient donc de rechercher la stabilité des dispositifs qui permet une plus large connaissance de leur existence et garantit, de ce fait, une plus grande égalité d'accès. Cette stabilité n'est possible qu'au prix d'une simplification des aides, c'est-à-dire en distinguant des grandes catégories d'objectifs, et en laissant « au terrain » une certaine latitude de mise en oeuvre.
Cela conduit donc à recommander de privilégier les dispositifs anciens, même au prix d'adaptations plutôt que les dispositifs nouveaux, sauf à procéder par substitution. Il faut bien reconnaître qu'il est plus facile d'aboutir à ce type de préconisation, directement issue d'une approche en termes d'évaluation a posteriori, en ayant le recul de vingt-six ans d'application des aides à l'emploi que dans l'urgence politique à laquelle les différents gouvernements ont dû faire face.
Enfin, et une fois encore, l'évaluation se doit d'être complète, en particulier pour les dispositifs ciblés ou constituant des « dépenses passives », qui sont fortement mis en cause au stade atteint par les politiques de l'emploi. S'il ne doit y avoir aucun « tabou » quant à l'évaluation des dispositifs existants, toute évaluation est incomplète si elle ne prend pas en compte les conséquences des suppressions proposées pour les publics appelés à bénéficier de ces aides. Une mesure de retrait d'activité ou une mesure de traitement social ne doit pas être condamnée par principe. Mais elle doit être supprimée si un autre dispositif permet de mieux atteindre l'objectif poursuivi de maintien du lien social ou du lien avec le marché du travail.
Une étude récente de la DARES a montré qu'à côté des régimes d'assurance chômage ou de solidarité, le RMI joue le rôle de dernier volet d'indemnisation du chômage, les chômeurs inscrits au RMI étant surtout soit des chômeurs de très longue durée ayant épuisé leurs droits, soit de jeunes actifs exposés à un « chômage récurrent » leur interdisant de se constituer des droits.
Le politique ne peut, lui, se contenter d'évaluer a posteriori les dispositifs, séparément les uns des autres, et de suggérer des réformes partielles. C'est sa responsabilité, et sa dignité, d'assumer les conséquences sociales « en chaîne » des réformes qu'il a décidées.
II.- DES INSTRUMENTS D'ÉVALUATION PERFECTIBLES
A.- LA DIFFICULTÉ D'APPRÉCIER LA DÉPENSE POUR L'EMPLOI
La notion de dépense pour l'emploi n'est simple qu'en apparence. S'il est logique d'y inclure les dépenses se rapportant à l'emploi engagées par l'Etat, les collectivités territoriales, les entreprises au titre d'une obligation légale ou conventionnelle et l'UNEDIC, on peut en relever pourtant deux définitions distinctes.
La première est celle retenue par l'OCDE. Elle inclut les dépenses des administrations centrales ou décentralisées et celles des régimes d'assurance chômage financées par des contributions obligatoires des employeurs. La typologie de l'OCDE distingue sept catégories de dépenses :
· les dépenses d'administration et des services publics de l'emploi ;
· les dépenses de formation professionnelle (formation des chômeurs adultes et des travailleurs menacés de perdre leur emploi ; formation des adultes occupés). Mais, dans le cas de la France, cette catégorie n'inclut pas les dépenses des employeurs au titre de la participation obligatoire à la formation professionnelle ;
· les mesures en faveur des jeunes (jeunes chômeurs et jeunes défavorisés ; aide à l'apprentissage et aux autres types de formation des jeunes à caractère général) ;
· les mesures d'aide à l'embauche (subventions à l'emploi dans le secteur privé ; aides aux chômeurs créateurs d'entreprises, créations directes d'emploi dans le secteur public ou dans les organismes sans but lucratif) ;
· les mesures en faveur des handicapés (réadaptation professionnelle et emplois destinés aux handicapés) ;
· l'indemnisation du chômage ;
· la retraite anticipée pour motifs liés au marché du travail.
Le tableau suivant, tiré de l'étude réalisée pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, met en évidence le niveau de la dépense pour l'emploi au sens de l'OCDE pour différents pays.
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Allemagne
|
Canada
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Espagne
|
Etats-Unis
|
France |
Dépenses totales (% du PIB) |
3,79 |
1,65 |
2,37 |
0,43 |
3,13 |
Dépenses actives (en % DPE) |
33 |
29 |
21 |
40 |
42 |
Taux de chômage en 1997 |
9,7 |
9,2 |
20,8 |
4,9 |
12,4 |
|
Italie |
Japon |
Pays-Bas |
Royaume-Uni |
Suède |
Dépenses totales (% du PIB) |
1,96 |
0,5 |
4,86 |
1,47 |
4,25 |
Dépenses actives (en % DPE) |
55 |
20 |
31 |
29 |
49 |
Taux de chômage en 1997 |
12,0* * en 1996.
|
3,4 |
5,2 |
7,1 |
10,2 |
Source : OCDE, Perspectives de l'emploi, 1988 et rapport commandé par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.
Lors de la table ronde organisée par la Mission le 27 mai dernier, M. Claude Seibel, directeur de la DARES, a indiqué que l'OCDE retient une définition « relativement ramassée » de la dépense pour l'emploi, car cette organisation « insiste beaucoup sur le thème des dépenses d'activation vers la recherche d'emploi ». On peut souhaiter, avec lui, que la Communauté européenne, avec la mise en place de la procédure de surveillance multilatérale des plans nationaux pour l'emploi, contribue à l'amélioration des instruments statistiques permettant les comparaisons entre Etats membres de l'Union européenne, d'autant plus que la plupart d'entre eux se sont dotés d'une même monnaie.
La seconde définition est celle retenue par la DARES. Elle est plus large que celle de l'OCDE. Outre les dépenses des administrations publiques (Etat, établissements publics et collectivités locales), de l'UNEDIC et de l'Association pour la structure financière (ASF) destinée à financer les conséquences de l'abaissement de l'âge de la retraite, elle recouvre les dépenses des employeurs au titre de la participation obligatoire à la formation professionnelle. En revanche, cette notion n'inclut pas les compensations des exonérations générales de charges sociales. Dans sa typologie, la DARES distingue huit catégories de dépenses :
· Deux catégories sont qualifiées de « dépenses passives » : l'indemnisation du chômage et l'incitation au retrait d'activité ;
· Six catégories sont qualifiées de « dépenses actives » :
- la formation professionnelle. Il convient de relever que la notion de dépenses de formation professionnelle au sens de la dépense pour l'emploi diffère de celle de dépenses de formation professionnelle au sens du compte économique de la formation professionnelle. Cette seconde notion recouvre la totalité de l'effort de formation professionnelle consenti par la collectivité, sans que le lien avec l'emploi soit directement recherché ;
- la promotion de l'emploi (contrats emploi-solidarité et contrats emplois consolidés ; exonérations de cotisations sociales faisant l'objet d'une compensation : jeunes en apprentissage, contrat de qualification ou chômeurs de longue durée en contrat de retour à l'emploi ou contrat initiative emploi ; primes à l'embauche : primes du CIE, des formations en alternance, d'apprentissage ; aides aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprises ; actions de l'AGEFIPH en faveur de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés ; subventions pour l'insertion par l'économique) ;
- les exonérations non compensées (exonération à l'embauche du premier salarié, abattement en faveur des emplois à temps partiel, exonérations accompagnant le contrat emploi-solidarité ou le contrat emploi-consolidé) ;
- le maintien de l'emploi (indemnités spéciales de montagne ; indemnisation du chômage partiel ; dépenses d'accompagnement des restructurations comme les congés de conversion, l'aide au passage à temps partiel, les cellules de reclassement) ;
- l'incitation à l'activité (garanties de ressources des travailleurs handicapés ; aides à l'installation des jeunes agriculteurs) ;
- le fonctionnement du marché du travail (subvention à l'ANPE).
A l'occasion de la table ronde du 27 mai dernier, M. Alain Gubian, chef de la mission « Analyse économique » de la DARES, a insisté sur la nécessité s'imposant à elle d'avoir présentes à l'esprit les exigences de la comparaison internationale. C'est la raison pour laquelle la DARES ne prend pas en compte la ristourne dégressive dans son agrégat, mais la fait apparaître par ailleurs.
Une difficulté particulière tient enfin au traitement des aides des collectivités décentralisées. Comme l'avait déjà relevé la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les aides à l'emploi de 1996, l'effort des collectivités locales est imparfaitement appréhendé. Elle relevait que ne sont prises en compte que les dépenses de formation des régions, les primes régionales à l'emploi et à la création d'emploi, les exonérations de taxe professionnelle accordées de plein droit et sur agrément aux entreprises s'engageant à maintenir ou créer des emplois au titre de l'aménagement du territoire, et l'action sociale des départements pour les chômeurs.
Il serait souhaitable que la Cour et les chambres régionales des comptes puissent contribuer à une amélioration des connaissances à cet égard.
B.- L'INCERTITUDE DES RÉSULTATS DES ÉVALUATIONS DES DIFFÉRENTS DISPOSITIFS D'AIDE À L'EMPLOI
A partir de l'étude réalisée pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, la Mission a mis en évidence l'existence d'évaluations macro-économiques et micro-économiques. La synthèse réalisée, dans le rapport précité, des différentes études tendant à évaluer les dispositifs d'aide à l'emploi, fait apparaître des conclusions marquées d'une extrême prudence. Les différents modèles d'évaluation souffrent d'un trop grand écart entre la représentation théorique de l'entreprise qui les sous-tend et les faits constatés. Les simulations au moyen des modèles économétriques reposent sur une entreprise représentative de toutes les entreprises, c'est-à-dire sur le postulat d'une uniformité de réactions aux mesures de politique de l'emploi (raisonnement à partir d'une demande de travail agrégée).
La table ronde du 27 mai dernier a d'ailleurs montré qu'il existait « des nuances d'appréciation », entre les économistes qui y ont pris part, sur la validité des résultats des évaluations macro-économiques...
Les évaluations micro-économiques consistent, pour leur part, à comparer la trajectoire de retour à l'emploi d'un groupe de demandeurs d'emploi bénéficiaires des aides publiques et celle d'un groupe témoin de demandeurs d'emploi non bénéficiaires. L'étude réalisée pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques indique que l'incertitude affectant les résultats de telles études tient à la difficulté méthodologique de mettre en évidence des caractéristiques inobservées de chaque groupe qui ont une influence sur les variables du résultat. La comparaison des trajectoires de retour à l'emploi des chômeurs selon qu'ils ont ou non bénéficié d'un emploi aidé paraît mieux correspondre aux conditions de la prise de décision politique.
Dans quelle mesure, les travaux d'évaluation peuvent-ils fonder, à eux seuls, une décision de suppression ou d'aménagement des dispositifs d'aides à l'emploi ? Votre Rapporteur reconnaît qu'il est difficile, pour lui, de répondre à cette question, même après les travaux de la Mission auxquels il a participé. Si l'on prend l'exemple de l'exonération pour l'embauche d'un premier salarié :
· les représentants patronaux à la table ronde organisée par la Mission ont pu donner à penser qu'ils doutaient de son efficacité ;
· lors de son audition, la ministre de l'emploi et de la solidarité a, elle, souligné la complexité de la question et le fait que l'embauche d'un premier salarié était toujours très difficile pour des raisons tant psychologiques que pratiques ;
· une enquête sur l'exonération pour l'embauche d'un premier salarié réalisée, à un an d'intervalle, auprès des mêmes entreprises au sujet de la même embauche, a montré que 40 % des entreprises bénéficiaires déclarant avoir procédé à l'embauche grâce à la mesure à la première interrogation avaient répondu un an plus tard, qu'elles auraient de toute façon recruté la même personne sans la mesure (4).
S'il faut souhaiter une amélioration qui soit de l'ordre du possible, votre Rapporteur s'attachera plus particulièrement à suivre les programmes annuels d'études micro-économiques des dispositifs d'aides à l'emploi réalisés par la DARES ou financés sur les crédits d'études statistiques du budget dont il assume le suivi.