MM. Alain Gubian, chef de la mission « Analyse économique » (DARES) au ministère du travail, de l'emploi et de la solidarité ;
Liêm Hoang Ngoc, coordonnateur de l'étude du METIS (Mutation Espace Travail Industrie et Services Stratégies) et du LEST (Laboratoire d'Économie et de Sociologie du Travail) publiée en annexe du rapport de M. Gérard Bapt, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques ;
Jean Lardin, président de la commission des relations du travail de l'Union professionnelle artisanale ;
Christian Lhote, directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de l'Orne ;
Jean-Luc Tavernier, sous-directeur chargé de l'emploi à la direction de la prévision au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Arnaud Leenhart, représentant du MEDEF.
A l'invitation du Président, les participants à la table ronde sont introduits. Le Président leur rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses.
Le Président Augustin Bonrepaux : Je remercie les différents intervenants qui ont bien voulu répondre à notre invitation pour apporter des réponses aux questions que les membres de la mission voudront bien leur poser et je remercie une nouvelle fois la Cour des comptes de participer à nos travaux, de nous avoir éclairés et apporté des suggestions sur la façon dont nous pouvions conduire cette réunion.
Je donne tout d'abord la parole au rapporteur spécial, en demandant à chacun de poser des questions courtes et aux différents intervenants de répondre brièvement, afin que nous puissions, au cours de ces deux heures, balayer l'ensemble des problèmes qui se posent.
M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : Je salue les deux chefs d'entreprises, MM. Leenhart et Lardin, ainsi que les directeurs d'administration qui sont ici à notre invitation pour traiter du sujet que la MEC a choisi d'évoquer aujourd'hui. En effet, l'effort public pour l'emploi étant supérieur à 300 milliards de francs et apparaissant dans le budget de l'État pour quelque 160 milliards de francs, il était naturel que l'efficacité de cet engagement budgétaire en matière de créations d'emplois soit examinée sur une période très longue puisque nous traiterons des aides à l'emploi, mais aussi de la formation professionnelle.
Il a été décidé que la réunion de ce jour donnerait lieu à une confrontation d'idées à partir du rapport présenté par M. Liêm Hoang Ngoc sur la base d'un travail réalisé pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, confrontation entre la façon dont les chefs d'entreprise, les fonctionnaires sur le terrain - malheureusement, nous n'aurons pas de directeur départemental du travail avec nous ce matin - et les administrations des ministères de l'économie et des finances et du travail et de l'emploi peuvent réfléchir ensemble sur les mesures en faveur de l'emploi, sur la manière dont ces dernières sont perçues et reçues sur le terrain et sur leur efficacité en matière de création effective d'emplois ou d'élévation du niveau de qualification des salariés dans les entreprises.
Deux types d'aides à l'emploi retiennent particulièrement mon attention, sur lesquelles nous souhaiterions entendre réagir les personnes réunies ici. Ce sont, d'une part, les aides à l'emploi ciblées, qu'il s'agisse d'aides destinées à des publics à privilégier ou de mesures territorialisées, et d'autre part, les aides à l'emploi générales.
En fait, deux décisions portant sur les bas salaires venant d'être prises en matière d'allégement de charges sociales par le Gouvernement, le débat sur ce point n'est plus tout à fait d'actualité.
En revanche, la façon dont la loi Robien et la première loi d'incitation et d'orientation à la réduction du temps de travail avec création d'emplois de Martine Aubry ont pu être mises en place et reçues sur le terrain me semble essentielle à évoquer ici.
Donc, sur les aides ciblées et sur les allégements de charge liés à la réduction du temps de travail, nous souhaiterions que MM. les représentants du MEDEF et de l'UPA puissent intervenir.
Le Président Augustin Bonrepaux : Encore faudrait-il poser une question précise, monsieur le rapporteur spécial.
M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : La MEC a longuement réfléchi, d'une part, en ce qui concerne les aides ciblées, au contrat initiative emploi, qui fait suite au contrat de retour à l'emploi, et d'autre part, aux aides concernant les contrats de qualification, d'orientation et d'apprentissage, qui se situent entre l'aide à la création d'emplois et la formation professionnelle.
M. Arnaud Leenhart : Concernant les aides ciblées que vous venez d'évoquer, contrats initiative emploi et contrats de qualification et d'apprentissage, je répondrai plus en tant que dirigeant d'entreprise qu'en tant que représentant du MEDEF. Je n'ai, pour ma part, jamais beaucoup pris de décisions en fonction de la fiscalité liée à telle ou telle aide. En tant que chef d'entreprise, je considérais que je devais favoriser mon entreprise et, éventuellement, favoriser tout ce qui avait trait à la formation.
Mais je n'ai jamais tellement pris de décisions en pensant, par exemple, qu'il fallait attendre que telle ou telle personne soit dans le cadre d'un contrat d'initiative emploi pour pouvoir tirer un bénéfice fiscal de son embauche. Je n'ai jamais embauché que les gens que j'avais envie d'embaucher, rarement avec l'idée d'avoir telle ou telle prime. J'ai toujours considéré qu'une direction d'entreprise ne se faisait pas en fonction d'une fiscalité assise sur tel ou tel emploi.
Je me positionne là comme le chef d'entreprise que j'ai été pendant trente ans.
Ce commentaire est également valable pour les contrats initiative emploi, qui ont été extrêmement coûteux, que nous avions, en tant que CNPF à l'époque, jugés comme tels. Ils ont été modifiés par la suite pour l'être moins, et qui n'ont pas donné les résultats attendus.
Par contre, les aides à la qualification, l'apprentissage et la formation, sont extrêmement importantes. Autant on peut supprimer certaines aides ciblées, autant celles concernant la formation me paraissent tout à fait utiles. Le leitmotiv dans la métallurgie est de prendre 1 % de nos effectifs en apprentissage ou qualification, avec l'idée d'aller plus loin plus tard.
Si nous prenons des apprentis, c'est que nous considérons que l'entreprise est réellement formatrice et qu'il serait bon d'entrer de plus en plus tôt dans l'entreprise. La formation par alternance est une excellente occasion pour rentrer tôt dans l'entreprise. A une époque où il va peut-être falloir cotiser plus longtemps, il faut mettre les pieds dans l'entreprise le plus tôt possible.
Nous faisons donc des contrats formation. Il faut continuer à aider ces contrats d'apprentissage. Nous ne le faisons d'ailleurs pas uniquement en disant que nous prendrons ces apprentis chez nous après. Nous pensons que, même si nous n'avons pas forcément d'emplois à offrir chez nous, il est de notre devoir de les former. C'est un rôle que nous jugeons extrêmement important.
M. Jean Lardin : Pour l'Union professionnelle artisanale, les aides ciblées sont contestables. Elles ont des effets pervers sur les entreprises. Elles peuvent créer des effets d'aubaine et troubler le jeu de ce que doit être une véritable embauche. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, nous contestons le bien-fondé de ces aides et ne sommes très enclins à vous demander de continuer dans cette voie.
Pour ce qui est des contrats de formation, plus particulièrement des contrats d'apprentissage, je me permettrai de faire une réflexion : dans ce cas, ne parlons pas d'aides, mais plutôt d'indemnité compensatrice. En effet, s'agissant des contrats d'apprentissage, ce que nous appelons communément des aides n'est, en fait, qu'une compensation pour le temps que le chef d'entreprise ou le tuteur-formateur consacre à la formation du jeune. Dans l'artisanat, nous l'évaluons à 30 % du temps qui est généralement consacré à la production.
Dans ce cas, l'aide apportée n'en est pas vraiment une, il s'agit bien plus d'une indemnité qui compense une dépense réalisée par le chef d'entreprise. C'est la raison pour laquelle, j'aimerais que le distinguo soit clairement fait. Nous essayons, pour notre part, de le faire, parce que cela nous permet de lever un peu la tête.
Ce sont des réponses très rapides à des questions précises. Mais si le temps nous le permet, et au moment où le président le souhaitera, nous pourrons développer.
M. Claude Seibel : Je n'ai pas, en tant que directeur de la DARES, à porter des jugements de valeur, comme peuvent l'être les appréciations que portent les chefs d'entreprise responsables de l'action. Je rappellerai néanmoins puisque, semble-t-il, le contrat initiative emploi est considéré comme étant coûteux, qu'il répond à un objectif qui est certes celui de créer des emplois, mais surtout celui de permettre à des personnes qui sont en situation difficile par rapport au marché du travail, notamment aux chômeurs de longue durée, de se réinsérer.
Il est important de noter qu'aussi bien le contrat de retour à l'emploi, devenu, en 1995, le CIE et, ensuite, rendu moins coûteux pour les finances de l'État dans sa troisième version, est un succès sur deux plans.
D'une part, son taux de création nette d'emplois est parmi les plus élevés des politiques ciblées et, d'autre part, et c'est important à mes yeux, il se conclut par une insertion définitive dans l'entreprise, qui est un élément très important si on le compare à d'autres dispositifs. C'est le seul dispositif qui soit vraiment orienté sur le retour des populations fragiles et en difficulté vers le secteur marchand.
Ce sont des éléments qu'il faut absolument prendre en compte pour conserver une vision globale des politiques d'emploi.
M. Didier Migaud, rapporteur général : Monsieur le directeur, pourriez-vous nous préciser quelques chiffres. Vous nous dites que le taux de création nette est important, qu'il y a une insertion définitive dans l'entreprise, pourrions-nous avoir une idée de l'évaluation que vous avez faite de ces dispositifs ?
M. Claude Seibel : M. Alain Gubian et moi-même allons nous efforcer de répondre à toutes vos questions, mais je précise que je suis personnellement intéressé à ce que s'établisse un dialogue avec votre mission, c'est-à-dire que nous puissions préparer ce type de questions. Nous répondrons, bien sûr, mais j'aurais préféré que nous nous mettions d'accord sur les thèmes que vous souhaitiez aborder.
M. Didier Migaud, rapporteur général : L'un des intérêts de cette mission de contrôle, c'est qu'effectivement, les choses ne soient pas obligatoirement préparées. Même si vous avez des fonctions très horizontales, il est intéressant que vous puissiez réagir et rendre compte du travail qui est fait, notamment au niveau de l'évaluation. Le caractère spontané, même s'il doit s'appuyer sur des réalités concrètes, peut être intéressant pour notre mission.
M. Alain Gubian : J'insiste bien sur le fait que ce dont on parle avec le contrat initiative emploi, c'est d'une aide ciblée sur un public particulier, dont on pense qu'il est le plus éloigné du retour à l'emploi. Il ne faut donc pas le confondre avec les aides générales, dont la vocation, plus large, est de créer des emplois et qui s'adressent à une population par définition moins ciblée.
Cela ne veut pas dire pour autant que ces aides n'ont pas un effet net sur l'emploi parce que, d'une certaine manière, elles utilisent les mêmes instruments que les aides générales, c'est-à-dire la baisse du coût du travail.
Se pose alors, concernant la baisse du coût du travail, la question de savoir si l'on croit ou non que celle-ci a un effet sur l'emploi. Pour ma part, en raison de travaux qui ont été faits sur le sujet et sur lesquels j'imagine que nous reviendrons au cours de la discussion, je m'inscris dans la position qu'abaisser le coût du travail a un effet net sur l'emploi et enrichi la croissance en emplois, qu'on le fasse par une aide générale ou par une aide ciblée. C'est particulièrement vrai du CIE, puisque, dans ce cas, la baisse du coût du travail peut être particulièrement forte. Elle atteint 40 % lorsque l'on cumule l'exonération et la prime maximale, c'est-à-dire pour les publics les plus en difficulté. Elle est évidemment bien inférieure si le public est en difficulté moindre, c'est-à-dire s'il s'agit d'un chômeur de longue durée entre un et deux ans.
Sur la base de cet effet net constaté sur l'emploi, il faudrait démystifier le thème de l'effet d'aubaine. On entend parler d'effet d'aubaine comme si toute aide à l'emploi devait donner un emploi supplémentaire, comme si un chef d'entreprise qui utilise une aide n'aurait pas créé l'emploi sans elle et le créerait avec. Cela paraît un peu curieux quand on fait le simple calcul que dix salariés au SMIC coûtent le même prix que dix-sept salariés en CIE. Ce petit calcul démontre bien que si une entreprise voulait utiliser massivement le CIE et remplacer dix salariés par dix-sept CIE, il n'y aurait que sept créations d'emplois par rapport à ce qu'elle aurait fait.
De toute façon, toute aide à l'emploi, vu que l'on n'abaisse pas le coût du travail de 100 %, génère nécessairement des effets d'aubaine, en ce sens que des emplois auraient de toute façon été créés sans la mesure par un certain nombre de chefs d'entreprise. En moyenne, la proportion est relativement forte, mais il faut bien s'entendre sur l'ampleur d'emplois créés nette. Le chiffre utilisé actuellement dans les estimations de la DARES, et ceci depuis la mise en oeuvre du CIE, est de l'ordre de 20 %. Lorsque je dis que dix CIE égalent dix-sept salariés, cela veut dire que sur dix-sept salariés, on en a sept créés, soit 40 %, sur lequel nous retenons un taux de moitié, soit un taux de 20 % de création d'emplois. Donc, pour cent CIE, vingt emplois nets supplémentaires.
Ces taux sont issus de calculs de type macro-économiques, qui utilisent les travaux portant sur le lien entre l'emploi et le coût du travail, mais qui sont aussi confortés par des enquêtes faites auprès des entreprises qui répondent sur le fait qu'elles auraient ou non créé l'emploi.
Les mécanismes qui font que les emplois sont créés ne sont pas forcément, ne sont pas seulement, que l'entreprise aurait au même moment pensé embaucher ou ne pas embaucher. Cela peut être aussi qu'elle abaisse ses prix, que son coût est moindre et que, très rapidement, un supplément de demandes lui est adressé et que de ce fait, elle est amenée à embaucher.
Pour l'aspect création nette, c'est donc le chiffre de 20 % que l'on retient. Sur un stock de 400 000 CIE au niveau maximum, vers le milieu de l'année 1997, cela nous fait en gros 80 000 emplois supplémentaires.
Mais le point qui me paraît encore beaucoup plus important, c'est que cette aide s'adresse à un public particulier et des travaux en cours, en partie déjà réalisés, laissent entrevoir que la substitution entre un chômeur de longue durée et une embauche de salarié normal est loin d'être négligeable, certes pas de 100 % mais de l'ordre de 50 %. Ce résultat nous paraît fort intéressant à prendre en compte, dans la mesure où il indique une modification de la structure du chômage.
Quand on regarde la montée du chômage de longue durée sur la période de 1990 à maintenant, pour prendre à la fois le creux qui a précédé le CIE et le CIE, on remarque bien, dans les périodes de montée en charge du CIE, un infléchissement significatif de la courbe du chômage de longue durée par rapport à l'évolution du chômage lui-même.
Il y a donc à la fois un effet de création net et un effet de substitution, évalué dans les enquêtes autour de 50 %. Cela mériterait sans doute des travaux supplémentaires d'évaluation de la structure du chômage de longue durée.
Sur une aide de ce type se pose évidemment toujours la question de savoir si le calibrage était le bon : n'a-t-on pas trop ou pas assez donné en termes d'aides ? Ce problème de calibrage s'est d'ailleurs posé dans le cas du CIE, puisque l'aide a été révisée de manière à être progressive en fonction de la difficulté d'insertion sur le marché du travail, selon la durée du chômage de longue durée. Mais il est vrai, en règle générale, qu'il n'est pas toujours simple de calibrer une mesure au bon niveau. Quoi qu'il en soit, personne n'imaginait que cette aide puisse créer des emplois nets à hauteur de 100 %.
M. Jean-Philippe Cotis : Quelques commentaires proches de ce que vient de dire Alain Gubian.
Nous considérons que les dispositifs d'apprentissage et de formation, sont de bons dispositifs, efficaces, et les pays qui réussissent bien dans ce domaine, comme l'Allemagne, montrent bien ce que peuvent apporter des formations en alternance.
Sur le CIE, l'objectif est bien sûr de créer des emplois, mais surtout de lutter contre la marginalisation et contre ce que nous appelons dans notre jargon « les effets d'hystérèse ». Quand on sombre dans le chômage de longue durée, il y a un risque de rupture totale avec le marché du travail ; il s'ensuit une catégorie de chômeurs extrêmement difficiles à réintégrer en phase de reprise économique.
Cela coûte évidemment beaucoup plus cher qu'une création d'emploi classique. Viser ces publics est un objectif extrêmement important des politiques de l'emploi, et de justice sociale aussi.
M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : Ces premiers échanges ont fait surgir deux problématiques.
Les chefs d'entreprise nous disent que les aides ciblées ne les intéressent pas et qu'ils embauchent sur d'autres critères mais qu'en revanche, les aides à l'apprentissage ou à la qualification les intéressent. Je suis tenté de poursuivre le débat en répondant aux chefs d'entreprise que, du point de vue politique et de l'État, l'aspect social de l'accès à l'emploi, le fait de rapprocher de l'emploi les demandeurs d'emploi d'un niveau d'employabilité moindre, est aussi à prendre en compte.
Quand on cherche à analyser l'efficacité de l'engagement budgétaire public, il est sûr que la notion d'effet d'aubaine doit être nuancée par la notion d'efficacité sociale, d'intérêt social.
Concernant le CIE, le rapport de M. Hoang Ngoc faisait état de chiffres comparables, 20 à 25 % de créations, qui permettaient néanmoins d'anticiper la création d'emplois qui auraient été créés plus tard et l'ont été plus tôt, et 50 % qui sont soit de l'effet d'aubaine, soit de l'effet social.
Le second aspect touche à la complexité de ces mesures en faveur de l'emploi. Avez-vous, par exemple, entendu parler d'une mesure d'aide à l'embauche des fils de harkis ? Elle se traduit par une prime de 20 000 francs. Il s'agit là d'une mesure ciblée sur un public très restreint. Pensez-vous que de telles mesures présentent un intérêt ?
Souvent, en tant qu'élus locaux, dans le cadre de comités de bassin pour l'emploi ou de plans locaux d'insertion par l'économique, nous envoyons des missi dominici dans les entreprises pour tenter de placer des personnes en difficulté, qui présentent quand même de l'intérêt, en disant que l'on va les suivre et que l'entreprise bénéficiera de tel et tel avantage si elle les prend. Ces démarches vous paraissent-elles intéressantes ? Sont-elles licites ?
Pourriez-vous approfondir ces deux aspects d'un point de vue opérationnel et porter un jugement sur l'efficacité sur le terrain de ces mesures ?
M. Arnaud Leenhart : Il existe tellement de mesures que je ne connaissais pas celle concernant les fils de harkis. Nous ne sommes pas des chasseurs de primes. Mais il est certain que lorsqu'une proposition nous est soumise, nous l'examinons.
M. Jean Lardin : A mon accent, vous avez bien compris que je suis plutôt du Sud de la France. Il y a une concentration de Harkis près de Villeneuve-sur-Lot. Etant d'un département voisin, l'Aveyron, je connaissais la mesure, par curiosité. Mais je ne peux pas vous dire comment mes collègues artisans du département du Lot-et-Garonne, puisque c'est ma référence la plus proche, accueillent cette mesure.
En tant qu'individu, je peux comprendre qu'un gouvernement prenne de telles mesures, mais nous n'avons pas conduit de véritable réflexion sur ce point qui me permette de donner un avis au nom de l'UPA.
En revanche, je vais quand même citer un exemple. Nous avons connu les exonérations de cotisation d'allocations familiales accordées à des entreprises situées dans les zones de revitalisation rurale. Cette mesure a fait l'objet d'une première annonce, puis d'une loi.
Aujourd'hui, les tribunaux de sécurité sociale sont en train de juger parce que certaines entreprises pensaient y avoir droit, et que les URSSAF ont continué à appeler les contributions. Les jugements sont en cours.
En fait, toutes ces mesures ponctuelles sont très difficiles à connaître parce qu'elles s'appliquent à des confettis du territoire, portent sur telle ou telle catégorie d'individus, et, finalement, sont assez méconnues - la preuve, nous avons bien dû, l'un et l'autre, avouer notre méconnaissance sur l'une d'entre elles. Ce sont des mesures difficiles à analyser et à faire vivre et, enfin, elles sont interprétables.
Dès lors, on met dans l'embarras l'artisan peintre de Laguiole qui, en toute bonne foi, n'a pas payé les cotisations d'allocations familiales et le directeur de l'URSSAF qui lui a appliqué les 10 % de pénalités de retard. L'artisan est allé voir son syndicat, nous l'avons accompagné et nous sommes maintenant au tribunal. L'objectif initial n'était pas celui-là !
Il faut donc veiller à apporter toute la clarté, l'explication, l'information nécessaires pour bien expliquer aux gens pour quoi c'est fait.
M. Jacques Barrot : Je me permettrai de faire une remarque avant de poser ma question.
En fait, le vrai problème, c'est le coût du travail. La notion de primes n'a de sens que si elle abaisse le coût du travail de manière durable. La grande critique que l'on peut faire à ces systèmes mis en place dans la loi Pasqua, c'était de créer - et je fais droit à ce que dit Jean Lardin - des primes temporaires. Je ne vois pas pourquoi l'on baisserait le coût du travail dans une région difficile pendant deux ans. Il faut le baisser durablement.
Par contre, je répondrai au président Leenhart, que je respecte pour sa compétence, que le CIE est autre chose : c'est une baisse momentanée du coût du travail pour laisser à l'entreprise le temps de remettre à niveau le chômeur de longue durée qui n'a plus, malheureusement, les bons réflexes. Ce n'est pas un service à l'entreprise. A la limite, c'est la société qui demande à l'entreprise de bien vouloir prendre un chômeur de longue durée pour le hisser justement à un niveau où, ensuite, il n'aura plus besoin de bénéficier d'un traitement spécifique.
Il faut bien distinguer les deux. Il me semble que l'on peut se mettre assez d'accord avec des remarques de bon sens.
Je crois personnellement à l'efficacité de la baisse du coût du travail durable. La baisse du coût du travail momentanée peut être justifiée quand on a affaire soit à un apprenti, soit à un titulaire de contrat de qualification, qui ne peut pas produire ce que produit quelqu'un qui est de plain-pied dans le métier.
Elle se justifie également pour un chômeur de longue durée. Il est vrai, président Leenhart, que ce n'est pas la demande de l'entreprise mais, comme le disait M. Cotis, c'est la demande de la société, car on évite à ce chômeur de longue durée de glisser peu à peu vers le RMI et l'assistance
Les auditions auxquelles nous avons procédé ont laissé, semble-t-il, aux commissaires - je parle sous le contrôle du président Bonrepaux et de notre rapporteur général - une inquiétude quant à la manière dont les fonds de la formation professionnelle sont utilisés, avec toujours des stocks de fonds qui ne sont pas employés aussi efficacement et rapidement que souhaitable. Nous avons le sentiment qu'il faudrait, dans la collecte et dans l'utilisation de ces fonds qui sont alimentés par des cotisations obligatoires des entreprises, parvenir à plus d'efficacité.
Pourrions-nous avoir votre réaction sur cette question qui a beaucoup agité notre mission ? Je sais que c'est un sujet difficile, mais nous avons le sentiment que les collectes sont diverses et multiples - et je sais bien qu'il faut provisionner le risque formation, que certaines formations ne sont pas suivies jusqu'au bout, etc. - mais qu'il faudrait néanmoins une dynamisation plus forte de ces fonds pour permettre à un plus grand nombre de jeunes Français d'entrer plus vite dans ces contrats qui ne sont pas des contrats d'emploi, de travail, mais de travail-formation.
M. Arnaud Leenhart : Des réformes importantes ont tout de même été opérées il y a quelques années, avec la suppression de pas mal d'organismes de collecte, puisque les OPCA ont maintenant une existence plus concrète. Qu'il y ait encore à faire, je le pense aussi, mais des réformes sont en cours et d'autres sont discutées. Je n'ai pas de réponse immédiate à vous apporter, mais nous nous employons à ce que cette formation soit dispensée correctement. Personnellement, je ne dispose pas de données très nouvelles sur ce point dont je pourrais vous faire part.
M. Jean Lardin : Deux types de réponse.
Tout d'abord, j'ai bien entendu M. Barrot nous dire que la nation demandait, à un moment donné, aux entreprises de faire un effort sur tel ou tel type de public. Je voudrais rappeler l'effort constant de l'artisanat pour donner des perspectives aux jeunes de notre pays, notamment au travers de l'apprentissage, apprentissage que nous avons porté à bout de bras pendant des décennies et qu'aujourd'hui, tout le monde reprend sous le vocable d'alternance, en élargissant le dispositif.
J'aimerais que vous appréciez l'effort qui a été le nôtre, qui ne fut pas toujours pris en compte, du moins financièrement.
Aujourd'hui encore, nous nous trouvons dans une situation délicate, car le soutien qu'apportent les conseils régionaux sur l'effort pédagogique, puisque ce sont eux qui aujourd'hui ont en charge ce type de problème, est très variable avec des efforts à hauteur de 10 000 francs par apprenti dans certaines régions et de 23 000 francs dans d'autres. Cela pose donc le problème des disparités de traitement, mais aussi de la difficulté à assumer nos fonctions.
Prenons l'exemple des métiers du bâtiment. Voilà une profession dans laquelle la situation est aujourd'hui bien meilleure, mais durant les dix dernières années, nous avons vécu des périodes plus difficiles. Néanmoins, chaque année, il sortait environ entre 70 et 80 000 salariés de nos professions. Tous les appareils de formation confondus n'en formaient que 40 000 à peine.
Vous rendez-vous compte du déficit et de la marge de progression possible ? Voilà un outil sur lequel nous pourrions éventuellement peser pour donner des perspectives encore plus larges aux jeunes. Or, l'orientation des jeunes vers les métiers manuels de l'artisanat se fait souvent par défaut. J'aimerais qu'au niveau de l'orientation, vous soyez persuadés des efforts qui restent à faire pour que ces orientations soient de véritables choix professionnels, de véritables choix de société et non une succession de carences avec, au bout, une seule alternative : ne rien faire ou aller vers les métiers manuels.
Les métiers manuels ont aussi besoin de faire entrer de l'intelligence dans la profession. Je vous invite à réfléchir à ceci : vous confiez la réparation de vos véhicules à des artisans et à des salariés mécaniciens, j'aimerais pour vous que ce soient des gens compétents ; vous logez dans des bâtiments construits par des artisans et leurs salariés, j'espère que vous avez le sentiment d'y être en sécurité ; lorsque ce matin pour déjeuner, vous avez mangé un croissant, un collègue pâtissier l'avait certainement préparé, j'aimerais pour votre santé que ce soient des gens compétents.
En ce qui concerne la formation professionnelle, je rappelle, s'agissant de l'artisanat, la situation dans laquelle vous nous avez mis, lorsque la loi de 1971 a été votée et que les entreprises de moins de dix salariés ont été exclues du bénéfice des moyens de formation professionnelle. Nous avons dû " ramer " et attendre 1982 pour que la loi accorde la possibilité aux chefs d'entreprises artisanales de se former, de se perfectionner. Et nous avons dû attendre l'accord UPA de 1985 avec les partenaires sociaux pour pouvoir mettre en place ce qui était au début les fonds d'assurance formation des salariés des entreprises artisanales et ce qui est aujourd'hui les OPCA.
Si je me suis permis de revenir ainsi sur l'histoire, c'est pour vous inviter à faire attention à ne pas mettre la gestion du dispositif de formation professionnelle dans un seul outil parce que, dans ce cas, ce seraient les intérêts des plus grands qui seraient pris en compte. Ceux des artisans, malheureusement, n'ont pas été dans l'histoire de notre pays toujours pris en compte. Aujourd'hui, nous avons su créer une brèche, conquérir notre place, je vous invite à regarder de près le retour vers la formation de l'artisanat. Vous verrez que cela valait le peine de permettre à ces OPCA de l'artisanat de voir le jour.
M. Didier Migaud, rapporteur général : Je voudrais profiter de nos interlocuteurs, qui représentent à la fois l'administration et le monde de l'entreprise, pour qu'ils puissent nous apporter quelques précisions sur le coût du travail.
M. Jacques Barrot en a dit un mot ainsi que Gérard Bapt. Chacun y pense. Tout tourne autour de ça : le coût du travail est-il élevé, trop élevé ?
Un chef d'entreprise aura peut-être toujours tendance à le considérer comme trop élevé mais, la DARES, la direction de la prévision, M. Liêm Hoang Ngoc, peuvent sans doute nous apporter quelques brèves précisions sur le coût du travail en France par rapport à celui de nos partenaires et concurrents étrangers. Pourriez-vous également, puisque cela entre dans le cadre de notre mission, situer ce que peut représenter la taxe professionnelle dans les charges de l'entreprise ?
A cet égard, nous aimerions notamment demander aux chefs d'entreprises si les taux de la taxe professionnelle sont, pour eux, des critères de choix quand ils décident d'implanter une entreprise ou de créer des activités à un endroit. Font-ils référence à ce type de charge ?
M. Claude Seibel : Sur le coût du travail en France, les investigations que nous avons conduites avec la direction de la prévision et l'INSEE en vue de la Conférence nationale du 10 octobre 1997, nous semblent être des sources encore d'actualité, qui permettent de répondre à votre question.
On constate qu'actuellement, au niveau du coût global du travail, en moyenne, la France ne se trouve pas dans une situation pénalisée par rapport aux autres pays européens, ce qui est un point très important. Mais quand on rentre à l'intérieur de ce coût du travail, nous avons deux problèmes, l'un est dans le partage entre coût salaire direct et charges, partage déséquilibré pour la France au détriment du salaire direct pour un coût global identique, l'autre est que nous avons, par rapport à certains pays européens mais surtout par rapport aux États-Unis, une difficulté assez grave concernant le coût du travail du salarié non qualifié. Nous partageons cette difficulté avec d'autres pays européens, dont l'Allemagne.
C'est ce que l'on peut dire succinctement.
M. Liêm Hoang Ngoc : Monsieur le rapporteur, vous avez raison de dire que la question cruciale est celle du coût du travail.
Mais je reviens sur ce qu'Alain Gubian disait tout à l'heure concernant les créations nettes à propos du contrat initiative emploi. Il est vrai que l'objectif du contrat initiative emploi est avant tout un objectif dit « de discrimination positive ». Nous avons distingué dans notre rapport l'ensemble des objectifs de la politique de l'emploi et avons mis l'accent sur le fait que c'était un objectif de modification de l'ordre de la file d'attente.
Évidemment, on ne peut pas attendre d'une mesure comme celle du CIE de créer des emplois, mais le CIE atteint tout à fait cet objectif de modification de la file d'attente. Je ne reviens pas sur le chiffre donné par M. Gubian, mais il est vrai que dans un cas sur deux, il modifie le comportement d'embauche des employeurs qui n'auraient pas embauché de chômeur de longue durée.
Quant à l'effet net sur la création d'emploi, il est en effet celui qui a été donné.
Mais je tenais, à cet égard, à préciser que pour obtenir cet effet net sur l'emploi, la baisse du coût du travail a dû être extrêmement importante, de l'ordre de 40 %. Cela a donc coûté très cher. Ce chiffre signifie, tout simplement, que l'élasticité pour les non qualifiés est très faible dans notre pays lorsqu'elle est significative statistiquement. C'est ce que fait ressortir l'ensemble des travaux économétriques. Si l'élasticité est faible, si l'emploi est très peu sensible au coût du travail, c'est donc que l'emploi dépend d'autre chose que du coût du travail et que si vous voulez provoquer des créations d'emploi par la baisse du coût du travail, cela coûte extrêmement cher.
Il faut provoquer une baisse de 40 % du coût du travail pour obtenir l'effet net de 20 % en ce qui concerne le CIE. C'est un élément qui mérite d'être pris en compte si l'on veut rationaliser la dépense publique pour l'emploi.
Le problème central est-il véritablement un problème de coût du travail ? Dans notre rapport, nous avons attiré l'attention sur le fait que ce problème pouvait exister dans certains secteurs soumis aux délocalisations, tels que le textile. Ce problème pouvait être constaté économétriquement dans des secteurs tels que le commerce et les services marchands. Dans ces cas - mais peut-être une autre partie de la réunion sera-t-elle consacrée à cela -, d'autres mesures que celles d'abaissement du coût du travail semblent appropriées pour traiter ce problème. Il s'agit de prendre en compte la pluralité des situations des entreprises qui ne souffrent pas toutes d'un problème de coût du travail.
Quant à la hiérarchie des coûts salariaux, nous en dressons un état des lieux dans la synthèse qui se situe chapitre 4 du rapport, où l'on peut voir, comme le constate l'ensemble des institutions, que le problème du coût du travail global en France n'est pas véritablement le plus élevé de l'Union européenne.
Quant au débat sur le problème du coût du travail des personnes non-qualifiées, nous avons également les chiffres et vous serez étonnés de constater que la France se place seulement en sixième position parmi ses partenaires européens, derrière l'Italie, les Pays-Bas, et derrière l'Allemagne évidemment. Mais on ne peut pas vraiment dire que la France soit pénalisée en matière de coût du travail non qualifié. Qu'il faille cibler un certain nombre de mesures, je veux bien en convenir, dans l'objectif de rendre plus employables des personnes en difficulté, mais centrer toute la politique de l'emploi sur la réduction du coût du travail me semble bien peu rationnel pour " rationaliser " la dépense pour l'emploi.
M. Jean-Philippe Cotis : Globalement, le coût du travail dans l'économie française n'est pas trop élevé. Nous avons une bonne compétitivité internationale et une bonne profitabilité de l'investissement.
En revanche, le coût du travail peu qualifié était beaucoup trop élevé, notamment dans les années 80. Il a été rééquilibré depuis par des baisses de charges, mais il demeure encore légèrement élevé, même par rapport à la moyenne européenne.
M. Hoang Ngoc donne dans son rapport des chiffres qui datent de 1988 ...
M. Liêm Hoang Ngoc : De 1998.
M. Jean-Philippe Cotis : Le tableau 25 donne le coût du travail par catégorie en Europe en 1988, mais peut-être s'agit-il d'une faute de frappe. Un rapport du CSERC, très intéressant et très soigneux, donne des chiffres de 1997 sur le sujet. Il compare le coût relatif du salaire minimum par rapport au salaire moyen, on constate que la France est le grand pays européen qui a le coût relatif le plus élevé. J'ai ici avec moi le graphique tiré du rapport du CSERC sur ce sujet en 1997, que je puis vous laisser.
Nos propres analyses font donc ressortir un coût du travail peu qualifié très élevé en France ainsi que dans d'autres pays européens, ce qui expliquerait peut-être assez largement le handicap de création d'emplois que nous connaissions par rapport à d'autres grands pays du G7, notamment dans le secteur des services, alors que notre taux de croissance sur longue période n'est pas beaucoup plus faible que la moyenne du G7. Il est assez proche. A croissance donnée, nous avions un déficit de création d'emplois très net, notamment dans le secteurs des services. Il nous semble donc que c'était un point important.
Le fait que l'on a sans doute créé 500 000 emplois de plus, sur les cinq dernières années, que ce que l'on aurait pu escompter si les comportements sur le marché du travail étaient restés les mêmes, nous semble indiquer qu'il y a un faisceau de présomptions qui montre que la baisse du coût du travail peu qualifiée a joué un rôle important. Ce n'était pas la seule mesure, mais elle n'est pas négligeable.
Notre autre sentiment est que cette bonne surprise en matière de création d'emplois s'explique pour moitié par la baisse des charges sur le travail peu qualifié. Mais cinq ans, c'est une période un peu courte pour les statisticiens et les économètres pour être totalement sûrs de ce qui s'est passé, mais plus le temps passe et plus le faisceau de présomptions semble concordant.
Sur la notion d'effet d'aubaine dans le cas du travail peu qualifié qui a été assez mal traitée en France, à la fois en termes de prélèvement, de système de prélèvement, de prestations et de coût du travail lui-même puisque tous ces éléments sont très défavorables au travail peu qualifié, nous avons pris un peu de retard dans le traitement de ces problèmes. Ce sujet a été négligé. Le fait d'avoir eu un coût du travail peu qualifié extrêmement élevé par rapport à la moyenne et le fait de le ramener à des niveaux plus normaux n'est pas vraiment une aide à l'emploi. C'est plus la correction d'une erreur, malheureusement collective, qui remonte à longtemps mais ce sont des politiques que partagent beaucoup de nos partenaires européens et d'autres pays industriels. Ce n'est pas tant une aide à l'emploi que le retour à des fondamentaux plus sains.
Il s'est passé quelque chose sur le travail peu qualifié, notamment sous l'effet des nouvelles technologies de l'information et de la concurrence Nord-Sud, qui fait que la demande de travail peu qualifié a chuté brutalement. Aux États-Unis, la solution qui a été retenue et qui ne nous convient pas du tout, c'est que le salaire des moins rémunérés s'est effondré de 20 ou 30 % dans l'absolu en vingt ans aux États-Unis. C'est une mauvaise réponse à apporter.
En revanche, une baisse de charges, donc une solidarité nationale, pour réduire le travail tout en maintenant la rémunération nette reçue par le salarié est une solution qui conjugue l'efficacité économique et la justice sociale. C'est ainsi que nous le voyons.
L'objet de ces politiques n'est pas de créer plus d'emplois peu qualifiés, mais d'endiguer l'érosion du stock d'emplois peu qualifiés que nous avons subie depuis vingt ans. Aux États-Unis, par exemple, il n'y a pas eu d'explosion de petits boulots, le stock d'emplois peu qualifiés est resté ce qu'il était. Cela s'est fait au prix de baisses de salaire insupportables. La voie européenne qui semble se dégager dans les grandes orientations de politique économique ou de politique pour l'emploi à Bruxelles, est celle qui consiste à faire baisser le travail tout en préservant la rémunération afin que le retour à l'emploi soit rémunérateur pour un salarié et que nous n'ayons pas de working poors à l'américaine.
M. Arnaud Leenhart : Je citerai quelques faits précis.
Je suis entouré d'entreprises qui, sans parler de délocalisation, parlent de relocalisation. J'ai en tête des exemples d'entreprises sous-traitantes de l'automobile auxquelles le fabricant assemblier dit : « Je veux votre technique, vos produits, mais vous ne les ferez pas en France parce que vous n'y arriverez pas. »
Ce phénomène ne touche donc pas seulement le textile. Il y a manifestement dans le coût du travail des choses qui font que telle ou telle usine a été implantée au Portugal ou en Tchéquie parce que cela ne collait pas en France. Nous en avons des exemples très précis. C'est la raison pour laquelle je pense que le coût du travail a beaucoup d'importance.
M. Didier Migaud, rapporteur général : La taxe professionnelle ?
M. Arnaud Leenhart : En ce qui concerne la taxe professionnelle, j'avais l'habitude de regarder combien cela coûtait chaque fois qu'un ouvrier rentrait dans mon usine. Et cela coûtait beaucoup plus cher que d'aller à un match de football ! Tous les matins quand un ouvrier pointe, cela me coûte 200 francs dans certaines usines, 100 francs dans d'autres, 250 francs ailleurs ; les disparités sont extrêmement fortes. C'est le prix d'entrée de l'ouvrier dans l'usine parce que c'est sa participation à la taxe professionnelle.
J'ai donc l'habitude de regarder combien coûte le fait qu'un ouvrier vienne travailler dans mon usine. Je constate qu'il existe de grandes disparités et que dans « l'attractibilité » de notre pays, certains étrangers incluent la taxe professionnelle dans le coût du travail parce que, finalement, elle est imputée sur chaque personne qui vient travailler. En raison des taxes importantes qui sont les nôtres, une telle analyse nous défavorise par rapport à d'autres pays qui n'ont pas de taxes du type de notre taxe professionnelle. C'est en cela qu'il convient de la comprendre dans le coût du travail.
Le Président Augustin Bonrepaux : La suppression de la part des salaires va simplifier votre travail.
M. Arnaud Leenhart : Elle simplifie certainement le travail, mais il faut aller un peu plus loin, il ne faut pas que la partie investissement vienne compenser. Mais, j'admets tout à fait que c'est un premier pas.
M. Jean Lardin : UPA est attaché à ce que l'on réduise le coût du travail. Aussi nous employons-nous à le faire réduire par tous les moyens disponibles, y compris par la baisse du taux de la TVA, qui contribue également au coût du travail.
Mais si nous voulons abaisser le coût du travail, c'est pour qu'un maximum de personnes puissent consommer nos prestations, c'est pour élargir notre marché. Ce qui nous permettra d'accueillir des jeunes supplémentaires dans nos entreprises.
S'agissant de la taxe professionnelle, nous sommes enracinés dans les territoires et nous sommes donc très vigilants sur ce qui est fait en la matière. En tout cas, la première initiative qui consiste à baisser le taux de la part salariale nous semble aller dans le bon sens. Nous en sommes d'accord.
Vous nous suggériez de dire ce qui détermine la localisation de nos activités et de nos entreprises. Pour nous dans l'artisanat, c'est le marché ; l'existence d'un marché, sans lequel on ne peut créer l'activité.
Je rappelle que nos activités ne sont pas délocalisables. C'est la particularité des entreprises artisanales.
A vrai dire, je ne sais si tout ce travail statistique auquel on fait référence vous permet de voir la réalité de l'emploi dans le secteur de l'artisanat. Je vous rappelle que l'INSEE ne s'est intéressée à ce qui se passait dans les entreprises de moins de vingt salariés que depuis peu. Aujourd'hui encore, il n'existe pas de véritable statistique pour notre secteur d'activité. Au cours des dix dernières années, c'est pourtant dans nos activités qu'ont été créés le plus d'emplois. Avez-vous des chiffres qui vous permettent d'évaluer ce qui s'y passe ? En dehors du répertoire informatisé des métiers que tient l'INSEE, pour le reste, il n'y a pas de chiffres. Chacun produit les siens.
M. Liêm Hoang Ngoc : J'apporterai deux éléments de réponse à cette question.
Je reviens sur les propos de M. Cotis : les 350 000 emplois créés cette année sont-ils le fait de l'abaissement du coût du travail ou d'une reprise de la croissance ?
On peut mettre cela en parallèle avec l'évolution de l'emploi aux États-Unis. Alors que la structure du marché du travail n'a pas tellement évolué depuis dix ans, comment expliquer l'explosion de l'emploi, notamment dans les secteurs qualifiés à forte valeur ajoutée, si ce n'est parce que la croissance américaine est dynamique et qu'elle est accompagnée par des politiques macro-économiques appropriées ?
Ma deuxième remarque, je ne souhaite pas que l'on se méprenne sur le sens de mon propos, je n'ai jamais dit qu'il n'y avait pas de problème de coût du travail, notamment dans l'artisanat. Je pense qu'il existe en effet des secteurs dans lesquels se pose un problème de coût du travail, mais ce n'est pas l'ensemble de l'économie française qui souffre de ce problème. Établir une théorie générale à partir de cas exceptionnels me paraît être un contresens, tout au moins pour quelqu'un qui fait un peu de théorie économique.
A ce propos, je pense que ce que nous avons développé dans la dernière partie du rapport peut être utilisé à bon escient par les décideurs de la politique publique pour fonder un nouveau principe d'aides à l'emploi et de politique de l'emploi qui consisterait non seulement à adapter l'offre à la demande de travail, mais à prendre en considération la pluralité des situations d'entreprises. Par exemple, l'extension de l'assiette de financement de la sécurité sociale à quelque chose comme l'excédent brut d'exploitation ou, selon une variante étudiée par Bercy en ce moment, à l'assiette de l'impôt sur les sociétés est intéressante parce qu'elle met plus à contribution, pour le financement de la sécurité sociale, les entreprises qui n'ont pas de problème financier et qui ont détruit des emplois. Par contre, les entreprises comme celles de l'artisanat qui sont particulièrement dynamiques en matière de création d'emplois bénéficieraient, dans ce cas, d'une baisse des charges sociales.
L'effet d'un transfert vers des assiettes de ce type revient à alléger la charge sociale des entreprises qui créent de l'emploi. C'est, à mon avis, un principe qui mérite d'être fouillé et développé dans l'avenir.
M. Jean-Philippe Cotis : En ce qui concerne les statistiques sur l'artisanat, nos collègues de l'INSEE ne sont pas présents, aussi je me permets de dire pour eux que leur problème est leur difficulté à obtenir des réponses des petites entreprises. Sans réponses, on a du mal à produire des statistiques.
A propos de ce que vient de dire M. Hoang Ngoc, bien entendu, il y a en France du chômage par insuffisance de débouchés des entreprises, que nous évaluons à deux ou trois points de taux du chômage, soit près de 500.000 à 700 000 chômeurs. Donc une bonne politique macro-économique qui crée de la croissance crée des emplois.
Depuis cinq ans, à croissance macro-économique donnée, nous avons 400 à 500 000 emplois de plus que ce que nous observions dans le passé. Je vous laisserai également deux graphiques avec ce que nous aurions eu avec les comportements anciens sur le marché du travail et ce que nous observons dans nos simulations. Il ne s'agit pas de dire qu'en 1998, les créations d'emplois ne sont pas massivement liées à une forte croissance. Il est évident que oui.
M. Jean-Jacques Jégou : Monsieur le président, je sais qu'il est difficile de gérer les files d'attente des questions des commissaires, mais il n'est pas toujours facile pour nous de nous replacer dans la discussion. Je voulais réagir déjà sur les premiers échanges qui ont eu lieu, en revenant sur des aspects qui nous préoccupent.
Nous sommes ici la mission d'évaluation et de contrôle. Je pense qu'il faudra encore quelque temps avant que l'on puisse se mettre d'accord sur le coût du travail réel dans ce pays ; il y a un monde entre les estimations et ce que disent les chefs d'entreprise, et M. Leenhart a parfaitement dit les risques et la connaissance qu'il avait de relocalisations ou délocalisations. Aussi, je voudrais poser des questions à M. Seibel et aux chefs d'entreprises sur deux points.
Premièrement, il s'agit de l'importance des différentes aides.
Nous avons parlé des CIE, il en existe bien d'autres, dont certaines sont même inconnues des chefs d'entreprise. Quant à l'importance de cette aide, des dizaines, voire des centaines de milliards sont mis pour réduire le chômage. Existe-t-il des comparaisons européennes qui prennent en compte la masse globale, c'est-à-dire le coût de l'argent mis dans le budget de l'État, y compris dans le coût du travail, de l'aide accordée aux entreprises mais aussi, par exemple, la participation de l'État à la réduction de la part salariale pour la taxe professionnelle et d'autres aides encore ? Cette comparaison pourrait être faite avec nos partenaires de la Communauté européenne, et éventuellement les États-Unis. On glose depuis longtemps, mais j'aimerais connaître l'importance de cette aide par rapport aux emplois créés et au taux de chômage dans les pays avec lesquels on peut faire une comparaison.
Au passage, il est peut être intéressant de connaître la réaction de l'État vis-à-vis de l'inemployabilité des salariés. On a évoqué tout à l'heure les Pays-Bas où des mesures particulières ont été prises à cet égard.
Deuxièmement, concernant la formation professionnelle ou ce que l'on appelle maintenant la formation en alternance, j'ai noté que M. Leenhart est resté très discret sur la question que lui a posée Jacques Barrot. Je voudrais insister en demandant aussi bien à M. Leenhart qu'à M. Lardin s'ils estiment que d'une part, les 130 milliards de budget de la formation professionnelle sont bien utilisés, au vu des dysfonctionnements que nous avons vus, pas seulement sur la collecte mais aussi sur l'utilisation des fonds, plus particulièrement d'une association comme l'AFPA, et d'autre part ce qu'ils pensent de la qualité des formations, c'est-à-dire, en fait, du rapport qualité-prix entre des dépenses importantes et leur résultat sur la qualité des formations mises en oeuvre pour accompagner les aides de l'État en matière de CIE, de formation ou de certains apprentissages. Etes-vous satisfaits de la formation de vos futurs salariés par rapport à ce que vous payez ?
M. Arnaud Leenhart : Je connais surtout la formation-apprentissage-alternance dans la métallurgie. Nous avons un certain nombre de centres de formation et la qualité des apprentis de l'industrie me paraît assez satisfaisante. Peut-être avez-vous des données allant en sens contraire, mais, pour notre part, nous avons réellement de grosses satisfactions et nous constatons une augmentation assez sensible de notre taux d'activité ces dernières années.
M. Jean Lardin : J'ai déjà dit ce que je pense de cette question.
Les moyens de la formation professionnelle aujourd'hui sont-ils bien utilisés ? Globalement, je pense que oui. Il n'empêche qu'ici ou là, j'ai bien encore quelques idées pour améliorer le dispositif et faire en sorte que tout franc destiné à la formation professionnelle se traduise effectivement en heure de formation ou, du moins, que le maximum de l'argent se traduise en heure de formation. Mais sans doute reste-t-il ici ou là quelque nettoyage ou élagage à faire.
Sur l'adéquation entre la contribution des entreprises de l'artisanat à l'effort de formation et le retour qu'elles en ont, je dirais qu'il est relativement correct. Nous souhaiterions néanmoins que l'effort de l'État puisse venir compléter l'effort des entreprises.
En tant que chef d'entreprise, je veux bien investir, parce que la formation, ce n'est pas un coût, mais un investissement. C'est du moins l'idée que nous avons réussi à faire vivre dans l'artisanat. Nous sommes prêts à investir, nous aimerions que l'on nous accompagne dans notre investissement et qu'une une aide vienne consolider le dispositif.
Je vous rappelle qu'en dehors de l'apprentissage, pour certains métiers de l'artisanat, notamment les métiers d'alimentation, il n'existe pas d'autre appareil de formation dans notre pays. Le dispositif Education nationale ne touche pas ces métiers-là. M. le ministre Jacques Barrot, qui accueille dans son fief l'école de la pâtisserie, peut en témoigner. C'est uniquement l'effort des entreprises qui permet d'investir et de former ceux qui, demain, vont occuper ces métiers.
M. Claude Seibel : Sur les premières questions de M. Jégou, nous pouvons mobiliser, à ce stade, deux sources d'information : d'une part, l'OCDE, mais sa représentation des dépenses publiques pour l'emploi est relativement ramassée, sommaire, car, en fait, l'OCDE insiste beaucoup sur le thème des dépenses d'activation vers la recherche d'emploi. Nous constatons en France une baisse de la part des dépenses passives et, au contraire, une stimulation des dépenses actives qui représentent aujourd'hui 52 % du total des dépenses pour l'emploi au sens strict.
D'autre part, les Communautés européennes, avec lesquelles nous voudrions aller plus loin. Nous espérons, avec les autres pays, dans le cadre des plans nationaux pour l'emploi et des lignes directrices, pouvoir faire apparaître la situation et surtout l'évolution de la situation dans chacun des pays. C'est assez délicat mais, malgré tout, en termes de dépense publique pour l'emploi global, on constate que la France se trouve en position moyenne par rapport aux quinze autres pays.
Un pays qui m'a beaucoup étonné par son taux de chômage relativement bas, c'est le Danemark, dont le taux de dépenses publiques pour l'emploi est de 6 % du PIB. Nous sommes sensiblement au-dessous. C'est tout à fait étonnant.
Par ailleurs, il est des dépenses dont on se demande si elles doivent figurer dans les dépenses pour l'emploi ou, au contraire, s'il s'agit de politiques visant à gommer le problème.
Les cas les plus intéressants de ce point de vue sont les Pays-Bas et l'Angleterre.
En ce qui concerne les Pays-Bas, nos honorables collègues se sont embarqués dans une politique dite de handicap social. Nous avons actuellement aux Pays-Bas 900 000 personnes dont un nombre non négligeable est dans une situation relevant d'un nouveau statut, qui a pignon sur rue, mais qui consiste en fait à être retiré du marché du travail. C'est une politique tout à fait malthusienne. Evidemment, une fraction d'entre eux sont vraiment des gens inaptes au travail, mais on n'a pas 900 000 handicapés sociaux dans un pays comme les Pays-Bas. Le problème est budgétaire parce que les Pays-Bas n'arrivent pas à assurer ce volant.
Autre exemple assez différent : celui de l'Angleterre, où les restrictions sont très fortes au niveau des familles en ce qui concerne l'indemnisation liée à la non-reprise d'un travail. Nous avions, avec l'INSEE, essayé de regarder ce que pouvaient représenter ces politiques quasiment forcées de retrait du marché du travail de travailleurs découragés au sens qu'ils ne se portent même pas candidats parce qu'il n'y a pas d'emplois et qu'ils perdraient un certain nombre d'avantages sociaux. Nous étions arrivés, pour les hommes entre vingt-cinq et soixante ans, à 3 millions d'hommes qui étaient dans une position de retrait.
Faut-il comprendre de telles politiques dans les politiques pour l'emploi ? J'en doute. De ce point de vue, il existe un ensemble de préretraites qui est en train de diminuer progressivement, il existe des dispenses de recherche d'emplois. On peut penser qu'une part du RMI peut correspondre à ce type de population mais, en proportion de notre population active, c'est quelque chose de beaucoup plus bas. Nous n'avons pas véritablement cet ensemble très important de personnes que l'on pourrait appeler des travailleurs découragés.
M. Daniel Feurtet : Ces situations sont terribles, on peut arriver à une situation où les gens ne participent plus à rien et souhaitent bénéficier de tout. C'est une organisation de société assez redoutable. Ce sont des choix. C'est pour cela que le jeu de comparaison d'un pays à un autre est souvent à manier avec une extrême précaution.
Sur la notion du coût du travail, faisons attention au confort politique et peut-être intellectuel autour de cette notion. Cela ne veut pas dire dans mon esprit que cela n'existe pas. Cela existe sur le territoire national entre des entreprises qui, du point de vue de la structure de production, utilisent plus ou moins de main-d'oeuvre. Cela existe aussi sur le terrain de la concurrence du fait de l'internationalisation des processus de production, des échanges et autres sur le territoire européen et dans des pays dont la situation sociale n'est pas forcément identique, mais elle existe de toute façon. Donc, dans le jeu de la concurrence saine, ce n'est pas une question que nous pouvons écarter.
Je dis attention au confort puisque d'autres coûts pèsent aussi sur les entreprises et nous savons bien les uns et les autres que l'économie et les entreprises fonctionnent avec toute une série d'autres mécanismes. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut faire attention aux arguments parfois trop confortables que l'on peut éventuellement échanger rapidement sur des estrades lors de campagnes électorales ; après, c'est un peu plus compliqué que cela.
La question que je voudrais poser concrètement aux chefs d'entreprise est la suivante : la dépense publique, les dispositifs publics mis à la disposition des chefs d'entreprises pour pouvoir faire fonctionner l'entreprise et répondre à la fois aux enjeux économiques et aux enjeux sociaux vous semblent-ils aujourd'hui bien adaptés ? Vous avez donné une partie de la réponse. J'ai tendance à penser qu'ils paraissent parfois s'empiler, se complexifier et qu'ils sont peu saisissables en fonction des moyens dont dispose telle ou telle entreprise. Peut-être que de ce point de vue, dans les remarques que nous aurons à faire sur l'évaluation, il faudra insister sur le fait que ces dispositions soient moins complexifiées et plus efficaces ? N'avez-vous pas le sentiment que sans avoir éliminé un dispositif, on en rajoute tout de suite un autre sans en l'avoir complètement évalué ?
M. Arnaud Leenhart : Permettez-moi d'élargir la question. J'avais dit, monsieur le président, que j'étais obligé de partir à 11 heures, et il est 11 heures 15.
Effectivement, tout ce qui va vers des simplifications plutôt que vers des empilages est une bonne mesure. Nous avons parlé de formation et je crois qu'effectivement la contribution des entreprises à la formation est quelque chose d'indispensable.
Il y a un autre type d'aides qui nous met dans un environnement favorable des entreprises, c'est tout ce qui a trait à l'aide à la recherche. Cela n'a pas été évoqué mais il est vrai que chaque pays a des procédés différents en la matière : aux États-Unis, ce sont des contrats d'étude ; ici, des aides à la recherche, des facilités concertant des amortissements, etc. Tout cela est très utile. Tout ce qui nous met dans des conditions favorables pour l'entreprise - formation et recherche - est bon, il faut aller vers la simplification des mesures.
Permettez-moi d'aborder le sujet lié aux décisions qui sont en train de se prendre concernant les cotisations sur les salaires, qui vont évoluer dans les temps qui viennent. Nous considérons que sont empilées des mesures qui seront difficiles, délicates, théoriques, pénalisantes. Il y a là quelque chose qui va venir changer la concurrence entre les entreprises parce qu'il y aura des transferts d'une entreprise à d'autres, de main-d'oeuvre, ou non de main-d'oeuvre. Il y a là un grand travail de simplification à faire.
Pour évoquer les questions qui sont présentes dans le rapport tel que je l'ai lu et répondre à quelques-unes des questions qui s'y posaient, nous avons dit que cette loi des 35 heures avait amené une dynamique dans les négociations. Une comparaison a même été établie par rapport à ce qui s'était passé avec la loi Robien. La dynamique dans les négociations est venue du côté des branches. On ne s'y attendait pas tellement. Il n'y a pas eu de négociation au niveau des branches dans la loi Robien parce que celle-ci accordait des aides ponctuelles pour des entreprises qui voulaient entrer dans le jeu, augmenter l'effectif et diminuer le temps de travail. Elle n'appelait pas d'accords de branche. La loi Robien est même venue interrompre certains accords de branche qui étaient en train de se négocier par rapport à ce qu'était l'accord des partenaires du 31 octobre 1995. Il y a donc eu, au contraire, interruption de la négociation de branche. La loi Robien n'a porté que sur des entreprises. C'est la raison pour laquelle vous voyez une assez grande différence entre ce que vous pensez être la dynamique des négociations dans le cadre actuel parce que énormément de branches ont négocié pour essayer d'encadrer le problème des 35 heures.
Je ne veux pas faire de polémiques sur les résultats qui sont relativement insignifiants au niveau des accords d'entreprise. Il y a des accords de branche qui sont importants, des accords d'entreprise très peu nombreux - vous savez qu'il y a eu, selon les chiffres du ministère, 4076 accords début mai, soit 0,34 % des entreprises qui ont du personnel qui ont négocié. Je n'insiste pas là-dessus, il y a effectivement extrêmement peu d'accords d'entreprise. Ce que je crains énormément à travers ce qui va se passer, c'est que l'on confonde ce qui vient d'être dit concernant le coût du travail et le fait qu'il est nécessaire d'abaisser le coût du travail dans des proportions souvent importantes. C'était la démarche qui avait démarré avec la mesure de 1,3 SMIC, 1,33 qui est devenu 1,3. On s'est arrêté là et maintenant on veut amplifier. Il y a là nécessité d'abaisser le coût du travail. Des mesures sont prises dans ce sens. Et se cache derrière la partie qui est nécessaire, celle de compenser la décision au niveau du SMIC, de mettre dans ce ramassage de recettes ce qui sera la compensation, qui doit être de l'ordre de 10 à 12 milliards, concernant le SMIC à 35 heures.
Les nouvelles telles qu'elles sont annoncées ne sont pas très claires. Nous sommes préoccupés parce que l'on nous avait dit que les 35 heures s'autofinanceraient, or, on voit que ce n'est pas le cas. Donc, arrive maintenant ce que nous pensions voir arriver, c'est-à-dire des impôts, l'écotaxe, l'impôt sur les bénéfices. Nous sommes relativement heureux que l'on n'ait pas touché la valeur ajoutée. Celle-ci était un transfert d'entreprises vers d'autres entreprises, cela changeait assez le paysage des entreprises et, par ailleurs, la taxe sur les valeur ajoutée était une taxe sur les investissements, parce qu'il y avait une taxe sur les amortissements à travers cela. Nous nous plaignons suffisamment que les investissements n'ont pas repris dans les entreprises pour ne pas ajouter cette difficulté. Au fond, le fait de mettre cela à travers des impôts est la moins préjudiciables des mesures qui pouvaient être prises s'il fallait compenser.
Nous continuons à penser qu'il fallait que ce soit pris sur des économies faites par la dépense publique, mais les charges telles qu'elles sont prévues sont un peu moins pires que ce qu'aurait été la valeur ajoutée...
Mme Nicole Bricq : Alors, tout va bien !
M. Arnaud Leenhart : Non, tout ne va pas bien !
A propos de l'impôt sur les bénéfices, je voudrais dire simplement que l'impôt sur les bénéfices des sociétés qui sont souvent des sociétés industrielles qui font les trois quarts des exportations en France est assez pénalisant. L'écotaxe, comme l'impôt sur les bénéfices, aura forcément une charge qui nous met en difficulté par rapport à nos concurrents.
L'aide pérenne qui va rester est une aide qui va s'autofinancer. Compte tenu de ce que nous voyons au niveau de l'emploi, j'en suis moins sûr.
Mon message est qu'il faut du temps pour négocier. A l'heure actuelle, on ne voit pas très bien la possibilité qu'il y aurait s'il n'y a pas un certain temps pour négocier. Il faut qu'il y ait également de l'espace dans la négociation, c'est-à-dire que les accords de branche soient reconnus.
Je voulais vous livrer ces réflexions avant de m'en aller.
Le Président Augustin Bonrepaux : Nous vous remercions d'être resté si longtemps.
M. Jean Lardin : Il est dommage que M. Leenhart doive partir, mais je ferai d'abord deux réflexions sur le problème du coût du travail et du transfert de charge, notamment au travers de l'impôt sur les sociétés. Cela me paraît extrêmement dangereux parce qu'il est bien évident que les grands groupes industriels vont s'arranger pour faire leurs bénéfices dans les pays où ils auront moins d'impôt sur les sociétés. C'est ce qui se dessine déjà. On va donc diminuer l'assiette de paiement de ces charges.
Monsieur Seibel, quel est en Europe le pays qui crée le plus d'emplois par pourcentage de croissance ?
M. Claude Seibel : Actuellement, ce sont les Pays-Bas.
M. Jean Lardin : Je suis d'accord avec M. Feurtet sur les trois observations qu'il a faites concernant l'empilage, la complexification et le manque de visibilité. C'est la raison pour laquelle je considère que la dépense publique aujourd'hui n'est pas bien adaptée.
S'agissant de ce que disait M. Leenhart, j'ai, en tant que représentant d'entreprises différentes, une autre vision des choses. Tout d'abord, nos entreprises sont fortement utilisatrices de main d'oeuvre et n'ont pas, par rapport au coût du travail, la même approche que les entreprises au nom desquelles M. Leenhart s'est exprimé.
Dans ce contexte, nous sommes d'accord sur le principe de la réduction des charges patronales. En revanche, nous sommes pour l'instant très réservés sur la mise en oeuvre. Du moins, nous considérons que la communication qui en a été faite est plutôt trouble et ne nous permet pas de dire qu'en dehors du principe, nous sommes d'accord sur le dispositif arrêté. Sur le principe nous sommes d'accord, mais il faut clarifier la mise en oeuvre du dispositif parce que lorsque l'on regarde de près, la communication faite par le ministère du travail donne matière à plusieurs interprétations. Voilà ce que je pouvais dire à ce sujet.
En revanche, certaines mesures nous paraissent intéressantes. Pour créer de l'emploi dans notre pays, par ricochet, il faut s'intéresser au dispositif de transmission d'entreprises, notamment dans les milieux ruraux. Si l'on fait vivre de véritables dispositifs de transmission-reprise d'entreprises, nous aurons au bout des emplois maintenus, voire créés. Ce qui se fait naturellement dans les concentrations urbaines ne se fait pas naturellement dans les milieux ruraux. Dans le milieu rural profond, il existe de petites unités qui répondent au besoin des populations et lorsque le chef d'entreprise arrive à l'âge de la retraite, parce que tout repose sur lui, il n'y a plus de possibilité de création d'activité. Un jeune ne peut pas reprendre la clientèle. C'est condamné pour toujours. Il y a peut-être là de véritables mesures à prendre qui seront créatrices d'emplois. Certes les milieux ruraux ne sont pas toujours considérés dans le cadre des grandes mesures pour la création d'entreprises ; je vous rappelle que la notion de milieu rural est une agglomération de moins de 2 000 habitants et que 80 % de notre territoire est concerné par cette question.
Le Président Augustin Bonrepaux : M. Lardin vient de dire que la dépense publique lui paraissait mal adaptée et manquait de lisibilité. Peut-être M. Seibel pourrait-il indiquer comment la rendre plus lisible ?
M. Claude Seibel : L'indicateur que j'ai utilisé pour vous répondre un peu au tac au tac est la croissance annuelle par tête. Ce sont donc actuellement les Pays-Bas, sur une période d'une quinzaine d'année, qui, avec une croissance de productivité par tête de 1 %, ont la productivité la plus faible, donc un retour en termes de croissance de l'emploi. Mais je précise tout de suite qu'il s'agit d'emplois à temps plein et à temps partiel.
Donc, si nous avions un indicateur comme celui de la productivité horaire, ou si nous essayions de regarder l'équivalent temps plein des emplois, nous aurions un résultat sans doute assez différent dans la mesure où les Pays-Bas doivent avoir un taux de temps partiel de 36 % environ.
M. Jean-Philippe Cotis : On n'est pas forcément très loin actuellement, mais je pense que ces tableaux très synthétiques peuvent intéresser les membres de votre commission.
Sur la question que vous posez, il est évident que nous nous efforçons de rendre la plus précise possible la description de tous les flux financiers d'une part et, d'autre part, des personnes bénéficiaires des grandes politiques d'emploi a travers plusieurs outils : la dépense publique pour l'emploi qui est publiée tous les ans, le compte de la formation professionnelle. Des travaux extrêmement importants sont faits par la Cour des comptes et nous permettent de repérer les éléments où il faut que nous progressions sur la connaissance de ces fonds publics consacrés aux politiques d'emploi.
Un des points sur lesquels nous sommes en train d'essayer avec les conseils régionaux d'améliorer la connaissance de l'information, ce sont les dépenses consacrées par les régions à la formation professionnelle, en particulier la formation professionnelle des jeunes.
Nous avons bien prévu dans la loi quinquennale qu'il y ait des remontés d'information suite à la décentralisation, en 1994, mais nous nous rendons compte que ce n'est pas suffisant pour avoir une vision complète et précise de toutes les modalités de prise en charge de la formation professionnelle au niveau régional. C'est un travail sur lequel nous sommes heureux d'avoir l'aide de la Cour des comptes.
Sur ce sujet de la dépense publique en matière d'emploi, l'idéal est de pouvoir s'inscrire dans une stratégie globale la plus cohérente possible, non d'avoir des aides ciblées, mais de viser plutôt de grandes cibles, par exemple ce que l'on fait pour le CIE, pour les publics en difficulté ou pour les bas salaires. Ensuite, avoir quelques dispositifs éventuellement de nature générale et supprimer toute une myriade de dispositifs très pointus dont on n'est pas sûr qu'ils soient efficaces. Il y en a un certain nombre. Je ne sais pas, par exemple, si l'aide à l'embauche au premier salarié est très efficace.
M. Jacques Barrot : Quand on parle de la dépense publique et de l'emploi, ne faut-il pas affiner les choses, parce qu'il y a la création d'emploi, d'un côté, et de l'autre, la lutte contre l'exclusion et il y a constamment un chevauchement entre les deux.
Il y a des aides qui, évidemment, aboutissent à la création d'emplois, encore que je ne croie pas beaucoup à des aides directes à la création d'emploi. Il y a quelques variables générales. Le coût du travail en est une, ce n'est pas la seule - je rassure M. Hoang Ngoc - mais c'est quand même une variable importante, notamment dans les services.
Puis, il y a la lutte contre l'exclusion. Le modèle hollandais me semble ici efficace. Vous dites qu'il y a une productivité qui n'augmente pas beaucoup parce qu'en réalité, avec la même croissance, on met beaucoup plus de gens en situation d'activité, c'est-à-dire que l'on réduit le phénomène d'exclusion.
Pour vraiment éclairer ces politiques, il faudrait arriver à avoir un double regard. Ce qui relève de dispositifs généraux qui permettent de créer de l'emploi, puis tous les mécanismes qui visent tout simplement à maintenir en état d'activité un certain nombre de gens pour leur éviter l'exclusion. Il me semble que ce serait plus éclairant.
Cependant, je persiste à penser, à la suite de l'échange qui vient d'avoir lieu, que nous avons, mes prédécesseurs et moi, et le gouvernement actuel, commencé à tailler dans les dispositifs qui étaient jugés les moins efficaces.
C'est vrai que les aides, les primes à une première embauche, à une deuxième embauche ne semblaient pas d'une efficacité particulière. Tout doucement la toilette a commencé. Reste à savoir si la toilette peut être poursuivie et achevée, le président Bonrepaux a raison.
Personnellement, je considère qu'elle l'est assez parce qu'il ne faut non plus faire disparaître des mécanismes qui servent à lutter contre l'exclusion. Le problème ne sera pas d'avoir des emplois parce que nous aurons de la peine à pourvoir les emplois à partir des années 2005. Le véritable problème est celui de l'inemployabilité d'un certain nombre de gens.
M. Philippe Auberger, co-Président : Monsieur le président, on a fait allusion au sujet sans vraiment l'aborder, il y a parmi les dépenses actuelles dans le domaine de l'emploi, un secteur qu'il faudrait, à mon avis, regarder de près et dont les effets à la fois économiques et sociaux devraient être regardés de près, c'est le système du financement public des préretraites. Là-dessus, certains de nos interlocuteurs pourraient-ils nous donner quelques éléments parce que nous paraissons dans une situation totalement contradictoire avec la politique générale en ce qui concerne l'équilibre des systèmes de retraite. On s'aperçoit que la préretraite est un système extrêmement coûteux.
M. Claude Seibel :Je crois pour répondre à M. Barrot qu'il faut en effet avoir parfois une double lecture, et même un triple lecture, d'un certain nombre de dispositifs. Le débat sur le CIE l'a montré. Ce n'est pas un dispositif dont le seul objectif est de créer de l'emploi. C'est aussi un dispositif qui s'efforce de lutter contre la marginalisation sur le marché du travail. On peut en effet, c'est un objectif que l'on retrouve dans la loi de lutte contre les exclusions, retrouver un certain nombre de dispositifs à l'intérieur de la trentaine de mesures principales qui sont en train d'être mises en place, dont l'objectif principal consiste à essayer de restaurer l'employabilité de personnes qui, malheureusement, sont passées dans une situation de chômage. La difficulté est que, dans le cas français, le lien « emploi vers emploi » est sans doute préférable pour maintenir l'employabilité que le passage emploi-chômage-emploi. On a, par rapport à d'autres pays, une pénalisation sans doute plus forte du fait que l'on se retrouve avec des phases qui s'allongent pour certaines personnes, comme on dit pudiquement, « hors du marché du travail ». C'est le premier point. Je suis totalement d'accord pour dire qu'il faut avoir la capacité de qualifier tel type de mesure en lui donnant son aspect principal.
Deuxième élément, je ne crois pas que le cas des Pays-Bas, que j'admire pour de nombreuses autres raisons, soit un cas transposable dans notre pays. D'abord parce que les Pays-Bas ont tout de même mis en place une politique malthusienne de retrait très actif du marché du travail. Ensuite, le passage aux Pays-Bas vers une productivité par tête assez faible vient d'un développement massif du travail à temps partiel qui correspond à un modèle culturel, qui n'est pas forcément là encore transposable dans le cas français. Dans l'équilibre des rôles homme-femme, il y a certainement des différences importantes entre les pays d'Europe. Ce que nous constatons malgré tout, c'est que parmi les 19 % de salariés à temps partiel, la part de ceux qui voudraient travailler davantage est particulièrement forte en France. C'est donc une situation qui est davantage contrainte en France qu'elle ne l'est, par exemple, aux Pays-Bas. En Angleterre, c'est pire encore parce qu'il y a des temps partiels de quelques heures avec une rotation extrêmement rapide. Il faut donc faire très attention aux transpositions de modèle.
Sur les préretraites, je n'ai pas à porter de jugement de valeur. Je constate simplement qu'il y a eu une période dans notre honorable société où l'on a cru qu'il fallait secouer le cocotier, préretraite et insertion des jeunes, et que l'on s'en tirerait. A la fin des années 70, au début des années 80, il y a alors eu une période où le montant des préretraites dans notre pays est passé de 200 000 entrées en préretraite par an à 700 000. Cela a eu un effet mécanique, une baisse du chômage, mais aussi des conséquences très importantes sur les dépenses publiques lestées par l'obligation de financer ces préretraites et des effets à moyen et long termes qui sont moins positifs qu'on ne le croit sur l'emploi et le chômage.
Il me semble que cette époque est révolue parce qu'il y a une prise de conscience que ces politiques sont coûteuses, fondamentalement malthusiennes.
Cela ne veut pas dire que nous soyons sortis de l'auberge. Nous avons devant nous, à un rythme sans doute mal perçu par la société, un vieillissement de la population active. Ce vieillissement peut se concrétiser dans un certain nombre de branches par des situations analogues à ce que l'on a observé au début des années 80, dans les chantiers navals, la sidérurgie, les charbonnages. On repart vers ce type de politique croyant que l'on est gagnant.
Il y a sans doute eu dans notre société française une sorte d'accord assez profond entre l'État, les gouvernements, les partenaires sociaux et les salariés eux-mêmes pour accepter ou rechercher ce type de situation. Je pense donc que la clarification du rôle des préretraites est quelque chose de tout à fait fondamental. Je me situe là en dehors du problème du financement des retraites, mais dans le cadre de la population active pour lequel, en effet, à partir d'un certain âge, pour des gens ayant des niveaux de formation initiale relativement faibles, vous avez en France, sur une population active dans le privé d'environ 14 millions de personnes, 5 à 6 millions qui sont actuellement de niveau de formation initiale inférieure au niveau 4. Lorsque l'on se trouve à devoir utiliser de nouveaux dispositifs techniques de l'informatique un peu pointue, il y a des gens qui disent qu'ils préfèrent se retrouver dans une situation peut-être moins intéressante financièrement, mais, en tout cas, plus calme. C'est une caractéristique très importante dans la société française.
M. Liêm Hoang Ngoc : Je voulais revenir sur le problème de la lisibilité de la politique de l'emploi. Il est vrai que lorsque l'on regarde la myriade de dispositifs qui existent, on a du mal à s'y retrouver. Néanmoins, quand on essaie de cerner la logique des politiques de l'emploi menées depuis vingt ans, on peut distinguer trois grandes périodes : tout d'abord, dans les années 70 et au début des années 80, la part des politiques passives est importante, parmi lesquelles les préretraites occupent une place prépondérante ; puis, au début des années 90, apparaît le thème de l'activation des dépenses passives avec la découverte des politiques ciblées ; arrivent, enfin, en puissance, à la fin des années 90, les mesures d'ordre général, qui dépassent les mesures ciblées depuis deux ans.
Si on lit tout cela à la loupe, on peut dire que, dans les deux dernières années, le choix fait par les pouvoirs publics est plutôt celui d'enrichir le contenu en emplois de la croissance. Si l'on considère que parmi les politiques actives, les deux priorités sont le ciblage des politiques pour modifier l'ordre de la file d'attente et la modification du contenu en emplois de la croissance, la montée du deuxième type d'objectif peut être relevé dans les années récentes.
Quand on parle de contenu en emplois de la croissance, il y a plusieurs manières d'atteindre cet objectif et le projet d'extension de l'assiette des cotisations patronales pourrait être l'occasion pour les pouvoirs publics d'annoncer clairement la couleur en matière de principe de politique de l'emploi. C'est une chose qui pour le moment est présentée comme une mesure technique, la baisse des charges financées par l'impôt sur les sociétés.
Or, si vous réfléchissez bien, ce scénario correspond au scénario n°3 simulé dans le rapport. Mais dans le modèle très simple que nous avons fait, il n'y a pas d'amortissement et de dotation. Donc, l'assiette prise en compte est le chiffre d'affaires moins la masse salariale. C'est une partie de l'assiette de l'impôt sur les sociétés qui, elle-même, est en partie dérivée de l'assiette valeur ajoutée. Mais dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés, vous ajoutez les résultats financiers.
Grosso modo, on peut dire que cette assiette est en partie dérivée de la valeur ajoutée. Elle est plus restreinte puisqu'il y a l'inconvénient de devoir appliquer un taux d'imposition plus élevé puisque l'on ne taxe pas le travail, mais il est possible de présenter ce type de réforme comme un nouveau principe de politique de l'emploi, où les grosses entreprises qui font des profits financent les baisses de charges sociales des entreprises de main-d'oeuvre qui ont besoin de développer l'emploi. Le principe est simple, c'est un peu la philosophie du basculement progressif vers une assiette dérivée de la valeur ajoutée.
La deuxième chose que je voulais dire à propos de la question sur le contenu en emplois de la croissance, c'est que lorsque l'on regarde les modèles européens et, plus généralement, les modèles de politique de l'emploi, vous avez trois façons d'enrichir le contenu en emploi de la croissance. La première façon, c'est de stimuler l'emploi à faible productivité, c'est la voie britannique ; c'est stimuler l'emploi dans les services ou les gains de productivité sont faibles, de sorte que le niveau de productivité dans l'économie s'abaisse et que vous ayez un contenu en emplois de la croissance. Si vous choisissez cette voie, vous choisissez évidemment la voie de la trappe à bas salaires et à basse qualification. C'est un choix. Pourquoi pas ?
La deuxième voie pour enrichir le contenu en emplois de la croissance, c'est l'une des variantes de la réduction du temps de travail, qui est le temps partiel. C'est la voie hollandaise, c'est également la voie britannique. On peut supposer que si vous généralisez le temps partiel, et il n'y a pas besoin d'établir un équivalent entre temps plein et temps partiel, il suffit de généraliser le temps partiel en passant par exemple à 30 heures payées 30. Dans ce cas, vous enrichissez également le contenu en emplois de la croissance. C'est ce que font les Hollandais et les Britanniques. C'est la philosophie, par exemple, de l'abattement pour l'embauche d'un temps partiel.
La troisième et dernière voie, c'est ce que j'appellerais « la voie 2RT », c'est la philosophie des lois Robien et Aubry. C'est le scénario de la réduction et réorganisation du temps de travail, qui est la voie actuellement explorée.
Voilà pour clarifier en termes typologiques la logique des politiques de l'emploi telles que l'analyste peut les répertorier.
M. Jean-Philippe Cotis : Je ferai quelques remarques disparates.
Concernant les exemples de nos voisins, sans vouloir mésestimer les performances anglaises, qui sont certainement intéressantes, lorsque l'on additionne le taux de chômage et le taux des « handicapés », on a du mal à voir une baisse de cet indicateur depuis le début des années 90. Il y a une part de traitement statistique qui n'est pas à négliger.
En termes de polarisation d'exclusion sociale, lorsque l'on calcule en Grande-Bretagne un taux de chômage des couples, c'est-à-dire un couple où personne ne travaille et un couple où l'un des deux travaille, c'est le taux de chômage le plus élevé d'Europe, de 20 %. Il faut donc bien regarder les expériences nationales. Il est vrai que tout n'est pas non plus transposable dans l'expérience britannique, loin de là.
En ce qui concerne la stratégie générale en matière de lutte contre le chômage en France, quelques axes sont clairs. D'une part, il y a l'idée de résorber ce chômage keynésien par une politique macro-économique plus adaptée que celle que nous avions eue au début des années 90 : budget desserré et conditions monétaires très restrictives qui était aussi une politique reganienne qui n'a pas fonctionné. L'idée que nous avons beaucoup à gagner est importante.
Le deuxième élément est d'accroître le contenu en emplois de la croissance. Cela ne veut pas dire que l'efficacité de l'économie baisse. La productivité globale des facteurs de production ne ralentit pas. Ce qui se passe, c'est que l'on utilise mieux la ressource abondante du facteur travail et que l'on utilise de façon plus efficace et parcimonieuse le facteur plus rare qu'est le capital.
Autrement dit, ce que l'on observe en France depuis le début des années 90, c'est à la fois un ralentissement de la productivité apparente du travail parce que l'on fait entrer sur le marché, notamment dans le secteur des services, des gens qui n'y arrivaient pas, mais en contrepartie on observe une très forte remontée de la productivité apparente du capital qui s'était continuellement détériorée depuis le début des années 80, voire le milieu des années 70.
Il ne faut pas penser qu'enrichir le contenu en emplois de la croissance, c'est réduire l'efficacité économique ; c'est simplement allouer correctement les facteurs de production disponibles. De ce point de vue, la France a beaucoup progressé, puisque l'on est passé d'un point mort de croissance à partir duquel on pouvait créer des emplois qui étaient de plus de 2 % dans les années 80, à quelque chose qui est compris entre 1,3 et 1,5 %. Nous nous sommes beaucoup rapprochés des mieux-disants. Nous partons de très loin. Le stock de chômeurs est extrêmement important, mais nous avons progressé.
Le troisième élément, c'est de lutter contre les effets d'hystérésis. L'hystérèse en physique est un phénomène dans lequel l'effet persiste alors que la cause a disparu. Clairement, un chômeur qui perd un emploi en basse conjoncture parce que son entreprise n'a plus de débouché peut se retrouver deux ans après chômeur de longue durée, peu employable, découragé et faire partie de ce que dans notre jargon nous appelons le chômage structurel. Il est alors plus difficile de le réintégrer. Donc des dispositifs comme le CIE, qui sont coûteux, cherchent à contrecarrer ce type d'effet qui est manifeste dans les pays européens. Nous avons vu le taux de chômage monter après les deux chocs pétroliers, lorsque, ensuite le prix du pétrole est retombé en 1986, nous n'avons pas vu le taux de chômage redescendre.
Cet élément de contenu en emplois de la croissance beaucoup plus élevé nous a beaucoup aidé en France à résister au ralentissement conjoncturel européen et à maintenir un climat de confiance élevé des ménages, à la différence d'autres pays, parce que les inquiétudes sur le marché du travail étaient beaucoup plus faibles.
Sur le temps partiel, il est vrai que le temps partiel en France est contraint dans une part croissante. Cela reflète en partie un déséquilibre du système d'incitation français. Il y a des aides importantes, voire généreuses du côté des employeurs. En revanche, on a peu réfléchi à ce qui se passait du côté des salariés, des personnes qui essaient de revenir en prenant un travail à temps partiel. Il y a des situations où l'on est à la limite de perdre de l'argent quand on veut reprendre un travail à temps partiel faiblement rémunéré.
Quand on fait les deux en même temps, il n'est pas étonnant que la dynamique soit surtout impulsée du côté des entreprises et que l'on ait un déséquilibre. C'est un reproche que nous font l'OCDE et d'autres institutions, nous avons un problème d'équilibre des incitations : on donne beaucoup aux entreprises et l'on ne donne pas beaucoup aux salariés.
Cela renvoie à un problème qui nous tient beaucoup à coeur, celui des trappes, soit pauvreté soit chômage, c'est-à-dire une situation dans laquelle on perd des prestations sociales sous condition de ressources très brutalement lorsque l'on revient sur le marché du travail et dans laquelle on perd aussi des exonérations fiscales ; par exemple pour la taxe d'habitation, il y a un abattement important, une exonération, quand on est hors du marché du travail. Lorsque l'on reprend un travail, on perd le bénéfice de l'exonération. En France, pendant des années, on a négligé ce problème des travailleurs peu qualifiés à qui l'on met beaucoup de boulets. C'est un parcours du combattant. Il y a là aussi un élément de politique de l'emploi qui relève de la justice sociale ; il faut faire quelque chose de plus systématique pour aider cette partie de la population.
Sur le changement d'assiette, le plus important, c'est ce que l'on finance une baisse du coût du travail peu qualifié qui nous semble avoir un potentiel de création d'emplois important. Notre sentiment après avoir réfléchi sur les prélèvements eux-mêmes, c'est qu'il n'y a pas de changement d'assiette miracle et que le redéploiement des prélèvements à long terme ne modifie pas tellement le niveau de l'emploi. Ce sont un peu des vases communiquants, entre la TVA, la cotisation à la valeur ajoutée, la taxation du capital productif, voire des opérations générales sur le coût du travail ; l'effet net d'un ripage d'un financement à l'autre est sans doute de deuxième ordre par rapport à l'ampleur du problème.
En revanche, la cotisation à la valeur ajoutée pose d'autres problèmes de mise en oeuvre administrative. C'est une assiette qui est très malléable, difficile à cerner en pratique. Si on la gère comme l'impôt sur les sociétés, nous allons nous trouver dans un système d'acomptes compliqué à gérer. Il y a des problèmes de gestion très importants dans ce domaine. Il faut vraiment être sûr d'avoir un gain d'emplois très important pour se lancer dans une opération qui peut être par ailleurs très complexe du point de vue de sa mise en oeuvre.
Sur les préretraites, j'avais un dernier point. C'est une mesure sociale qui concerne des travailleurs peu qualifiés âgés qui ont souvent plus cotisés que la moyenne des retraités. Cela est certainement justifié. Son effet sur l'emploi est clairement faible et l'extension de dispositifs de ce type à d'autres publics serait sans doute problématique. Cela pose notamment un problème à long terme. Si l'on a systématiquement des préretraites pour toutes les catégories de salariés, on crée des anticipations particulières au sein des entreprises. Qui investira dans la formation des quadra s'il sait que dix ans plus tard, il existe un système public qui crée une forme de subvention au retrait ?
Il est très paradoxal, dans un monde où l'espérance de vie s'accroît continuellement, de considérer que dans les professions normales et celles de l'avenir, on est âgé à partir du milieu de la cinquantaine. C'est très inquiétant d'avoir ce type de référence culturelle. On n'est plus jeune beaucoup plus longtemps.
M. Alain Gubian : Je voudrais redire la difficulté d'apprécier la dépense pour l'emploi, notamment la dépense publique. Plusieurs préoccupations doivent rester présentes à l'esprit des statisticiens et des économistes, notamment de ceux de la DARES. L'une d'elles est effectivement la comparaison internationale. Nous devons nous inscrire dans ce souci de comparer nos dépenses pour l'emploi avec celles des autres pays. Cela se fait déjà dans le cadre de l'OCDE, mais Eurostat lance aussi un grand programme pour cela.
Cela signifie que l'on ne peut pas traiter de la même manière une partie de la politique pour l'emploi aujourd'hui mise en oeuvre, qui a été largement commentée, qui est la politique d'enrichissement de la croissance en emplois, et la ristourne dégressive ou les prolongements des exonérations-famille. Si l'on voulait avoir une dépense pour l'emploi maximum, on mettrait toutes les actions publiques qui ont un effet sur l'emploi.
Nous essayons donc d'avoir un concept large, qui couvre l'ensemble des moyens de la collectivité qui visent l'emploi ou le traitement du chômage, y compris ceux des entreprises pour la partie formation professionnelle. Cela s'appelle la dépense pour l'emploi, elle est de l'ordre de 320 milliards de francs, soit 4 % du PIB.
Mais pour pouvoir la comparer avec celle des autres pays, on ne prend pas en compte la ristourne de 40 milliards de francs, que l'on ne masque pas, mais que l'on fait apparaître ailleurs parce qu'elle peut être analysée, d'un point de vue économique, comme la poursuite de politiques antérieures de déplafonnement des cotisations sociales.
Nous avions d'abord un prélèvement dégressif. Il est devenu progressivement proportionnel. Aujourd'hui, il commence à devenir progressif sur une plage de salaire. Si nous avions financé cette ristourne dégressive ou l'exonération familiale par une hausse des cotisations sur les plus hauts salaires, nous aurions opéré un reprofilage, et nous aurions également eu des effets emplois, un coût net apparent nul.
Il est donc difficile de savoir si l'on doit ou pas mettre 40 milliards d'allégement bas salaires dans un agrégat. Nous avons fait le choix de ne pas le faire. Néanmoins, dans nos publications, nous le faisons apparaître à côté, pour bien montrer qu'il peut y avoir des restructurations. Mais l'OCDE reste préoccupée et Eurostat, dans sa nouvelle nomenclature, nous demande également de ne pas inclure ces politiques. Nous avons donc un agrégat qui concerne plutôt des politiques concernant des personnes repérables par des contrats de travail ou, si ce sont des chômeurs, parce qu'ils reçoivent une indemnité.
Pour ce qui est de la politique plus ciblée sur les aides à l'emploi marchand ou à l'emploi non marchand - nous en avons peu parlé -, les préretraites et les stages de formation professionnelle, nous avons un agrégat plus restreint de l'ordre de 120 milliards de francs, comprenant quatre grandes catégories.
Premièrement, les aides à l'emploi principalement ciblées sur des publics, comme l'exonération premier salarié, avec pour objectif, la création du premier salarié. On peut discuter sur la mesure, mais elle appartient effectivement à cet agrégat.
Deuxièmement, les aides à l'emploi non marchand, c'est-à-dire l'ensemble des CES, du contrat emploi consolidé, ou des emplois jeunes aujourd'hui.
Troisièmement, les stages de formation professionnelle, avec l'ensemble de la panoplie.
Quatrièmement, ce que nous avons évoqué tout à l'heure, à savoir les préretraites.
Ce sont là les quatre parties de cet ensemble de 120 milliards de francs, toujours à l'exclusion des aides générales.
Je mettrai à votre disposition des documents que nous avons faits parce que la question qui se pose est aussi celle de l'efficacité relative de l'ensemble des dispositifs. Nous avons, en 1996, fait à la DARES un travail d'évaluation comparée de ces quatre grands groupes. L'un crée des emplois marchands, l'autre plutôt des emplois non marchands, les autres retirent progressivement ou durablement de la population active des dispositifs. Tous ont un effet sur le niveau du chômage. Sur la longue période, dans les périodes où l'on a massivement utilisé les stages et les préretraites, nous constatons un effet de court terme très important sur le chômage. Dans les périodes de fort accroissement du chômage, il était certainement pertinent d'en freiner la montée.
Cela étant, en faisant une analyse plus globale et en prenant en compte non seulement l'effet direct sur le chômage, mais aussi l'effet du financement et l'effet de retour macroéconomique de ces mesures - c'est-à-dire entre autres l'effet sur l'équilibre du marché du travail, donc, l'effet sur salaires -, on se rend compte que, dans une perspective de moyen long terme, l'efficacité comparée du dispositif est beaucoup plus similaire à celle que l'on a à court terme.
A court terme, il est clair qu'une préretraite réduit de un pour un le chômage, mais ce n'est vraiment qu'en ayant une vision à très court terme car, très rapidement, le financement d'une telle mesure et l'effet sur les salaires d'un point de vue macroéconomique provoque une déperdition ; l'augmentation du stock de préretraites engendre évidemment un effet en retour négatif, d'autant plus que les préretraites sont des flux qui constituent des stocks et qu'il faudrait toujours augmenter le stock pour avoir un effet durable sur l'évolution du chômage.
Quand on compare ces quatre grands dispositifs, on s'aperçoit qu'à moyen long terme, les effets sur le chômage sont plutôt assez proches.
Pour ce qui est des aides à l'emploi marchand, donc le rôle du coût du travail, il faut garder présent à l'esprit que les coûts affichés dans les budgets publics sont toujours un peu trompeurs. Ce sont des coûts que l'on peut qualifier de type ex ante. Ces coûts que l'on met d'un côté, ont, en retour, des effets positifs sur les comptes sociaux. Les emplois créés paient des cotisations sur d'autres comptes ; cela a, par exemple, des effets sur les comptes de l'UNEDIC.
Mais il faut aussi retenir - et c'est un point de vue qui est traité dans l'étude que j'évoque - le point de vue ex post.
Ce concept s'applique également à la politique d'abaissement du coût du travail, la politique de ristourne. On considère souvent les 40 milliards de francs actuels en les divisant par un nombre d'emplois créés, et l'on parvient ainsi à un chiffre astronomique de coût de la mesure. Mais si l'on tient compte des effets en retour sur la croissance et sur les ressources de cette politique, on obtient un coût ex post bien plus faible. C'est ce qui était mis en avant dans l'étude commune DP-DARES-INSEE de 1997 concernant le bilan de l'économie française.
La vision est toujours un peu étriquée quand on s'arrête au coût ex ante de la mesure. Si la mesure a un effet durable sur le chômage, elle s'autofinance partiellement au bout d'un certain temps. Si elle a un fort effet sur le chômage à court terme et de moins en moins marqué à long terme, son coût ex post est, en fait, beaucoup élevé que celui affiché dans le budget public.
Il faut donc essayer d'avoir aussi ce point de vue ex post pour mesurer l'efficacité relative des dispositifs.
M. Francis Delattre : Si l'on doutait encore que l'on puisse tordre les statistiques dans tous les sens pour parvenir à des conclusions parfaitement contraires, nous venons d'en faire la démonstration.
Mais il est au moins une statistique sur laquelle tout le monde s'accorde - car notre objectif en analysant ces budgets est de savoir si tous ces dispositifs sont bien pertinents, c'est-à-dire s'ils vont dans le sens d'une diminution de l'ensemble de ces aides diverses - c'est qu'à la courbe des pays qui, depuis dix ans, ont engagé sérieusement une diminution globale de leurs prélèvements correspond une courbe semblable de diminution du chômage.
L'un des intervenants nous disait que ces mesures ont des effets assez locaux en fonction des publics et que, finalement, c'est la cohérence des décisions macroéconomiques qui est intéressante. Aussi, j'aimerais savoir si vous avez pu étudier les effets sur l'emploi de la diminution de 1 % de l'ensemble des prélèvements globaux dans notre pays. Nous sommes à 40-45 %, la moyenne européenne est à 40-41%. Pour tendre vers la moyenne européenne, avez-vous étudié diverses hypothèses et leur effet sur l'emploi en France ?
Enfin, concernant les 330 milliards d'aides directes de soutien à l'emploi - en fait, globalement dans le budget de l'État, c'est la moitié - je n'ai pas vu dans les documents que nous avons reçus la façon dont s'opère le « dispatching » sur les autres aides. Pourriez-vous, pour travailler de façon plus globale, nous donner un document ratifiant ces 330 milliards ?
M. Jean-Philippe Cotis : Du point de vue de l'analyse économique, toutes choses égales par ailleurs, il est clair que si l'on réduit le prélèvement, c'est vrai de nombreux prélèvements, on constate des effets positifs en matière d'emplois. C'est incontestable.
La question est ensuite de savoir ce que finançait le prélèvement comme dépenses, car il y a des dépenses publiques efficaces et d'autres qui ne le sont pas. Je paraphrase là mon ministre, mais il est incontestable qu'une baisse des prélèvements réduirait le chômage et améliorerait la situation de l'emploi.
Toute la question est de savoir quelles dépenses réduire. Souvent, évidemment, ces dépenses ont aussi un impact sur l'emploi. La difficulté réside donc dans l'arbitrage. Mais il est vrai qu'une baisse des prélèvements ne fait jamais de mal à la sphère productive. La question est la façon de la financer.
M. Francis Delattre : C'est vague.
M. Jean-Philippe Cotis : Je puis vous donner des chiffres, vous dire, par exemple, si je baisse la TVA, combien cela crée d'emplois, de même pour les baisses de charges.
Selon nos instruments, l'idée est en gros que, pour la plupart des prélèvements, une baisse de 10 milliards crée 20 à 25 000 emplois.
M. Liêm Hoang Ngoc : D'un point de vue purement empirique, il n'y a pas de corrélation entre le niveau des prélèvements obligatoires, le niveau des dépenses publiques et les indicateurs de performances économiques tels que les taux de croissance et les taux de chômage dans les différents pays. On n'en trouve pas. Les chiffres le montrent.
Cela veut tout simplement dire que le poids de ce que vous appelez « l'État » dans l'économie est un choix de société, qui n'influence pas nécessairement des performances économiques. C'est ce que je peux vous dire en termes purement empiriques.
Maintenant, sur le terrain plus théorique, l'objet du rapport qui m'avait été confié était d'évaluer, notamment, les effets d'une baisse des prélèvements type charges sociales sur l'emploi.
J'abonde tout à fait dans le sens d'Alain Gubian. Nous avons, dans le modèle qui a été utilisé, repris la structure du modèle Malinvaud, que nous avons complété en tenant compte précisément des effets sur le long terme du financement de la mesure que constitue une baisse de charges sociales.
Dans cette optique, dans les quatre scénarios que nous avons envisagés - Malinvaud, valeur ajoutée, excédent brut d'exploitation (EBE), et modulation en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée - les différents types de prélèvement, contrairement à ce que Jean-Philippe Cotis semblait dire, ont une influence sur le volume des créations d'emploi.
Nous avons évalué ces quatre scénarios et constaté que celui qui crée le plus d'emplois est celui dans lequel la baisse des charges est financée par l'assiette EBE, c'est-à-dire par les profits des entreprises, et pas le scénario initialement retenu par Malinvaud, puisque lorsque nous évaluons le scénario Malinvaud dans notre modèle, nous constatons que la mesure n'est efficace que si elle s'accompagne d'une baisse des dépenses. Dans le cas contraire, pour financer la mesure, il faut prélever sur les ménages et, donc, sur la consommation.
Donc, la mesure n'est efficace que si vous baissez les dépenses sociales et augmentez les salaires pour compenser le déficit de demandes qui intervient.
Dans l'hypothèse où l'on baisse les charges, les assiettes les plus efficaces consistent soit à étendre la valeur ajoutée, soit à taxer l'EBE, ce qui a un effet plus important puisque l'on alourdit le coût relatif du capital et, donc, on crée plus d'emplois. Ce sont les deux scénarios qui ont été mis en évidence du point de vue du potentiel de création d'emplois.
M. Claude Seibel : Nous mettrons à votre disposition toute la série de documents correspondants à la dépense pour l'emploi, notamment l'année 1997, qui est en cours de finition. Comme je l'ai expliqué, nous avons eu quelques problèmes sur certains types de dépenses. Je rappelle que ces dépenses pour l'emploi ne comportent pas que celles engagées par l'État ou les ministères qui coopèrent à la politique pour l'emploi. Il y a aussi toutes les sommes consacrées à l'indemnisation du chômage, sommes versées par les partenaires sociaux dans le cadre de l'UNEDIC. Je pense également, pour ce qui est de la formation professionnelle, à deux sources de dépenses importantes : celle des conseils régionaux avec les deux étapes de décentralisation - 1983 et 1993 - et celles des entreprises, que l'on retrouve dans les 83 milliards que nous avons.
M. Philippe Auberger, co-Président : A-t-on vraiment raison de se féliciter de l'enrichissement de la croissance par l'emploi ? Ne constate-t-on pas un ralentissement très important de l'effort d'investissement dans notre économie ? N'a-t-on pas, en fait, privilégié le court terme par rapport au long terme, parce que l'effort d'investissement, c'est l'avenir de notre croissance à moyen et long terme ? Peut-on dire, comme cela l'a été, que c'était le signe d'une meilleure utilisation de l'allocation des ressources disponibles, notamment dans le domaine du capital ?
Personnellement, je m'interroge. Évidemment, c'est la mode de dire que nous avons une croissance plus riche en emplois ; en fait, cela veut dire que notre productivité du travail baisse, ce qui n'est pas forcément un bon signe pour notre économie.
M. Jean-Philippe Cotis : A mon avis, la productivité des salariés installés, ceux qui n'étaient pas chômeurs, n'a pas ralenti.
M. Jacques Barrot : Je suis bien d'accord avec vous !
M. Jean-Philippe Cotis : C'est un effet d'addition.
Dans des secteurs comme celui des services à la personne, où le déficit de création d'emplois était manifeste par rapport à d'autres grands pays industriels, nous les avons fait entrer sur le marché du travail. Il n'y a pas de signe de ralentissement de la productivité globale des facteurs.
On se rapproche du régime de croissance équilibré à l'américaine. Nos amis américains, à la différence des Européens, ont eu une productivité du capital qui ne s'est jamais effondrée comme en France, où l'on a manifestement gaspillé le capital, pour des raisons diverses.
Nous assistons depuis 1993 à une très forte remontée de la productivité du capital, qui s'explique sur le terrain. M. Leenhart est parti, mais il vous expliquerait comment cela se passe. Nous avons un redéploiement des facteurs de production, et notre efficacité productive, le progrès technique, n'a pas ralenti.
M. Jacques Barrot : Eh non !
M. Claude Seibel : Si l'on regardait la productivité de l'ensemble chômeurs+salariés, on ne verrait pas signe d'un ralentissement. C'est vraiment le potentiel de production qui augmente, en incluant des gens dont la productivité marginale était la plus basse et qui rencontraient une barrière de coût du travail.
Très longtemps, les Américains ont eu un taux d'investissement plus faible que le nôtre ainsi qu'une productivité du capital bien meilleure. En même temps, par des moyens non extrapolables - nous évoquions tout à l'heure des working poors -, ils ont eu une performance en termes d'emploi bien meilleure.
Le problème européen est d'arriver à corriger la structure du coût du travail, notamment du coût des plus qualifiés, d'améliorer le fonctionnement du marché du travail de manière à obtenir les mêmes résultats macroéconomiques mais sans les problèmes de baisse de salaire des plus pauvres, etc.
Pour revenir sur les aides à l'emploi, sur les prélèvements, un type de baisse de prélèvement a un impact très fort sur l'emploi : il s'agit des baisses de charges sur les bas salaires, parce qu'il y a un problème important à résoudre au départ. Les autres prélèvements ont un effet à peu près équivalent en termes d'efficacité sur l'emploi.
Ce diagnostic est, en gros, partagé par la DARES et est assez consensuel. Le rapport Malinvaud au nom du Conseil d'analyse économique (CAE) dit la même chose : il y a donc une certaine équivalence des prélèvements, sauf dans un secteur où le problème initial à corriger est très important.
Puis, il y a un effet comptable. La création d'un emploi peu qualifié est budgétairement beaucoup moins coûteuse qu'une baisse de charges générale. Cet effet joue aussi.
M. Jacques Barrot : Je reviens sur les propos de M. Hoang Ngoc car je trouve un paradoxe étonnant dans ses positions : il doute beaucoup de l'efficacité de la baisse du coût du travail et, en même temps, il défend l'idée qu'il faut changer la base des cotisations pour, justement, l'asseoir plus facilement sur la valeur ajoutée, telle que vous l'avez définie tout à l'heure, plutôt que sur la masse salariale.
Je trouve là un paradoxe, c'est-à-dire qu'il doute de la réduction du coût du travail sur les emplois moins qualifiés - ce qui me paraît pourtant assez évident dans certains secteurs, notamment le secteur des services - et, en même temps, pour le reste des salaires, il a l'air d'avoir tendance à dire que si l'on prélevait un peu plus sur le capital et un peu moins sur les salaires, cela irait mieux.
J'ai peut-être une vision un peu simpliste, mais j'ai tendance à penser que sur les emplois moins qualifiés, le coût du travail est très déterminant et qu'au contraire, sur les emplois les plus productifs de la nation, c'est l'investissement, matériel et immatériel, qui est déterminant. Je sais bien que dans la masse salariale, il y a l'investissement immatériel, mais je n'arrive pas à comprendre sa position.
M. Liêm Hoang Ngoc : J'attendais cette question.
Nous sommes d'accord pour dire que les entreprises qui utilisent du travail non qualifié en majorité ont un problème de coût, mais il ne s'agit pas de toutes les entreprises. C'est le problème fondamental qui fonde notre désaccord ou notre malentendu. Certaines entreprises ont un problème du coût du travail parce qu'elles utilisent notamment de la main-d'oeuvre non qualifiée. Est-ce pour autant qu'il faut alléger le coût de la main-d'oeuvre qualifiée pour toutes les entreprises qui en utilisent, qui ne sont pas positionnées sur le créneau de compétitivité coût ou qui ne subissent pas un problème de coût ?
C'est une décision budgétaire importante, qui engage quelques milliards de francs. Et c'est exactement le problème que je pose.
Deuxièmement, en alourdissant le coût relatif du capital, allons-nous déprimer l'investissement sur le long terme ?
Je n'ai pas le sentiment que la restauration de la part des profits dans la valeur ajoutée depuis quinze ans soit allée de pair avec une reprise de l'investissement. Les taux d'investissement sont à un niveau relativement bas et la France et l'Europe souffrent sans doute d'une situation d'épargne excessive des entreprises, parce que les profits d'hier ne sont pas les investissements d'aujourd'hui et ne seront pas les emplois de demain.
Tout le problème est donc de stimuler les entreprises qui créent des emplois, quitte à financer l'effort de solidarité en faisant participer les entreprises qui ont eu des profits mais ne les ont pas utilisés pour investir et créer des emplois.
Cela dit, vous avez raison de relever un paradoxe, car ce basculement, qui est une des propositions du rapport, s'accompagne de la baisse du coût du travail.
Comment répondre à ce paradoxe ?
La première réponse, c'est que j'ai été extrêmement conservateur dans la rédaction du modèle. J'ai repris le modèle Malinvaud, en le complétant. J'ai admis qu'il y avait un problème de coût du travail, cela va dans votre sens, et dans les quatre scénarios, on a admis qu'en abaissant le coût relatif du travail par rapport au coût du capital, on pouvait créer des emplois mais à la condition que l'assiette de financement de la mesure soit favorable.
Le cas favorable, c'est précisément le cas « valeur ajoutée » ou le cas « EBE », parce qu'ils permettent de faire peser l'effort de financement de la mesure sur les entreprises qui peuvent le supporter et de ne pas taxer les ménages comme ce serait le cas dans l'hypothèse d'une taxe sur la valeur ajoutée classique, qui pèserait sur la consommation ou déprimerait la demande.
M. Jean-Philippe Cotis : Nous avons quelques nuances d'appréciation sur ce sujet.
La part des profits s'est fortement restaurée. Elle s'était beaucoup dégradée au cours des deux premiers chocs pétroliers parce que ce sont les entreprises qui ont payé la facture énergétique. Donc, la part des profits s'était abaissée dans la valeur ajoutée. Mécaniquement, la part salariale remontait donc. Ensuite, en 1986, les entreprises ont bénéficié de la baisse du prix du pétrole ; cela a fait remonter mécaniquement la part des profits et baisser la part des salaires.
Un second phénomène, dont on peut débattre, a également joué : le coût du capital a changé. Les taux d'intérêt ont été extraordinairement élevés et ont certainement pesé sur la part des salaires dans la valeur ajoutée ; il fallait bien payer les charges financières. Or depuis le début des années 90, nous avons le sentiment que la part des salaires dans la valeur ajoutée s'est relativement stabilisée. Dans cet environnement, le coût du capital a bien baissé et nous pouvons espérer que la part des salaires remonte dans la valeur ajoutée.
La question est de savoir ensuite, compte tenu de cette part des salaires qui va sans doute remonter puisqu'elle était très dynamique sur les années récentes, comment l'on partage cette croissance plus forte de la masse salariale entre création d'emplois et hausse des rémunérations par tête.
Quand on dit que la part des salaires dans la valeur ajouté a augmenté et qu'il n'y a pas eu d'investissement entre-temps, cela veut dire que le coût du capital était beaucoup plus important. Nous sommes maintenant revenus à des niveaux de profitabilité élevés. Il faut attendre, à mon avis, que l'environnement macroéconomique soit plus porteur, qu'apparaisse aussi de la demande avant de porter un jugement sur le fait que l'investissement n'est pas reparti.
Par ailleurs, je pense que les entreprises utilisent aujourd'hui leur capital de manière plus économe et que nous ne reverrons peut-être pas des reprises de l'investissement aussi fortes que dans le passé, parce que, finalement, les besoins et le taux d'utilisation des capacités dans la période de reprise ne se sont pas beaucoup accrus au fil des années récentes. Cela prouve que les entreprises avaient du répondant en termes de productivité.
Donc, attendons d'avoir une reprise avérée et des conditions de demande raisonnables pour juger des effets d'une amélioration de la profitabilité liée à la baisse des taux d'intérêt qui, dans certains pays d'Europe, est encore récente.
Il y a un certain paradoxe à dire que les taux d'intérêt réels ont été très élevés pendant dix ans et que cela a assassiné l'économie française et lorsqu'ils baissent, à se demander si l'on ne pourrait pas faire remonter le taux du capital.
C'est un peu une remarque de café du commerce, mais que l'on peut corroborer par des modèles plus sophistiqués. Cela nous aidera-t-il à faire redémarrer l'investissement ? Peut-on dire sans attendre que ça y est, que l'investissement n'est pas reparti alors même que l'on a eu quelques difficultés conjoncturelles. Cela me paraît un peu paradoxal.
M. Liêm Hoang Ngoc : Pour répondre à cet argument « café du commerce », je dirai que les entreprises sensibles aux taux d'intérêt ne sont pas les grandes entreprises, car ces dernières ne se financent plus auprès des banques, mais auprès des marchés financiers. Celles qui sont sensibles aux taux d'intérêt sont précisément les petites entreprises que la réforme fiscale sur les cotisations patronales veut encourager, en alourdissant justement la taxation des entreprises qui font du profit et qui ne se financent pas auprès des banques.
M. Philippe Auberger, co-Président : Mais les fonds propres ne sont pas gratuits !
Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur Lardin, une conclusion ?
M. Jean Lardin : Je couperai ce dialogue entre économistes distingués pour revenir au niveau de l'artisan que je suis, et dire que depuis une dizaine d'années, les entreprises artisanales ont continué à investir parce qu'en fait, c'est le principe de la bicyclette qui s'applique à elles : si elles arrêtent de pédaler, elles tombent. Nous ne pouvons donc pas nous arrêter d'investir. Voyez les effets sur l'emploi. Je vous laisse juges.
Le Président Augustin Bonrepaux : Je remercie tous les intervenants pour leurs réponse denses et très précises.
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