2.- Audition de M. Christian Lhote, directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de l'Orne

 (Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 6 mai 1999)

 Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

 A l'invitation du Président, M. Christian Lhote est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Gérard Bapt, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du plan sur les crédits du travail et de l'emploi.

 M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : Monsieur le Directeur, vous avez compris, en assistant à l'ensemble du débat de ce matin, l'esprit qui nous anime. Nous nous tournons aujourd'hui vers vous pour vous poser la question suivante : existe-t-il encore des aides inutiles, c'est-à-dire des aides qui, sans inconvénient sur le plan économique ou sur le plan de l'impératif social, pourraient être supprimées pour faire des économies de dépenses publiques ?

 Il y a d'une part l'indemnisation du chômage et, d'autre part, le financement des retraits d'activités considérés comme des dépenses passives concernant la politique de l'emploi. Avez-vous, sur le terrain, une opinion sur de nouvelles avancées d'activation de ces dépenses ?

 La troisième question concerne l'accès des entreprises du secteur marchand aux différentes aides, dans la mesure les entreprises qui bénéficiaient le plus de ces aides étaient souvent de grandes entreprises, et trop souvent des entreprises qui n'en avaient pas réellement besoin alors que, les PME-PMI ou les entreprises qui avaient réellement besoin de ces aides étaient les moins utilisatrices. Y a-t-il un problème d'information ? De complexité des mesures ? Comment, sur le plan administratif, sur le terrain, vit-on cette problématique ?

 M. Christian Lhote : Je vais essayer de répondre à ces questions mais avec l'éclairage d'un homme de terrain et pas celui d'un universitaire.

 A propos des aides inutiles, votre première question, je ne pense pas que toutes les aides puissent être modifiées, à un moment ou un autre, pour que l'État puisse mieux répondre aux besoins d'entreprises ou de populations spécifiques. Que des aides s'usent parce qu'on s'en sert, que leur efficacité dans le temps se réduise, cela paraît effectivement possible. L'ensemble des gouvernements sous lesquels j'ai eu à travailler ont toujours fait évoluer ces aides, parfois en oubliant de supprimer celles qui existaient précédemment. Le procès fondé sur la multiplication d'aides subsistant les unes à côté des autres est maintenant un débat dépassé. Depuis une dizaine d'années, les aides mises en place se substituent à d'autres qui sont supprimées.

 Sur l'activation des dépenses passives, en matière d'indemnisation du chômage, je ne pense pas qu'il soit possible, que ce soit au niveau de l'allocation spécifique de solidarité pour ce qui est des aides d'État, ou au niveau des aides d'assurances - mais il reviendrait aux partenaires sociaux d'en décider - de réduire le taux d'indemnisation des demandeurs d'emplois. Or, c'est seulement en réduisant les taux que l'on pourrait aujourd'hui éventuellement retrouver une capacité de réactiver de la dépense.

 Sur le retrait d'activité, j'ai entendu tout à l'heure votre réaction par rapport aux allocations spéciales du fonds national de l'emploi. Leur montant global, en 1999, est d'environ 4,85 milliards de francs. Elles se sont considérablement réduites au cours des 5 dernières années, atteignant 10 milliards de francs en 1995. Les bénéficiaires étaient 152.000 en 1995 et sont moins de 100.000 en 1999. Il y a eu une baisse importante de ces dépenses passives.

 Ceci dit, même si, dans un certain nombre de cas, où des grands groupes mettent en avant cette possibilité d'utiliser du FNE pour réduire leur pyramide des âges, la majorité des aides du FNE consenties sur le terrain tiennent à des plans sociaux et à des réels licenciements.

 Il est difficile de faire comprendre à des salariés de 40 ans que l'on garderait dans l'entreprise des gens âgés de plus de 57 ans et qu'eux-mêmes, on les remettrait sur le marché du travail. Vous êtes élus locaux, vous savez qu'il est des explications que les salariés, et les chefs d'entreprise même, ne comprennent pas.

 On ne peut parler d'un recours massif aux allocations spéciales du FNE et les chiffres de votre budget montrent bien que ce recours a été réduit dans une période où, l'activité économique étant plus satisfaisante, le nombre de licenciements économiques a été réduit. Les ASFNE ont suivi la réduction du nombre de licenciements économiques et n'ont pas été utilisés au-delà du raisonnable.

 Vous avez évoqué le problème de l'accès des entreprises aux aides et la différence entre les grandes et les petites entreprises. Je ne sais pas si cela tient à la ruralité de l'Orne et à l'absence de grandes entreprises, mais d'après les constats que je peux faire sur le terrain ce sont, plutôt que les grosses entreprises, les petites entreprises qui accèdent aux aides à l'emploi citées dans le rapport : l'apprentissage, le contrat de qualification, le CIE ; ce sont d'abord les entreprises commerciales, les entreprises de services dans l'hôtellerie et la restauration qui accèdent au CIE, beaucoup plus que les entreprises industrielles. Les entreprises industrielles recherchent souvent un personnel plus qualifié et plus capable de suivre une formation qu'elles envisagent tout à fait de mettre en place. Les grandes entreprises que je vois agir dans le département ont recours à des contrats de qualification avec des groupes de jeunes en formation beaucoup plus qu'à des recrutements sous forme de CIE.

 Les petites entreprises sont, quant à elles, un peu moins aujourd'hui que l'intérêt du CIE a été réduit, intéressées par le gain immédiat en termes de réduction de charges sociales et d'aides d'accompagnement au recrutement dont elles peuvent bénéficier. C'est au moins le constat de terrain.

 Pour ce qui est des aides collectives et des aides à la formation, les entreprises de taille importante qui ont des directions de ressources humaines performantes et des services de formation ont tendance à mobiliser beaucoup plus que les PME les dispositifs de formation du FNE, les aides à la formation et à l'adaptation du personnel. Pour tout ce qui est aides individualisées, aides ponctuelles aux embauches, c'est beaucoup plus, dans un département de la taille de l'Orne, des entreprises de taille très modeste, les TPE, qui y ont recours.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Merci, Monsieur le Directeur, de votre témoignage que je trouve personnellement très conforme à ce que je crois.

 Sur la formation en alternance, pensez-vous que notre contrat de qualification est assez bien calibré ? Ne rêvez-vous pas parfois d'un contrat de qualification plus efficace ?

 Est-ce que le CIE, recentré comme il l'a été sur les chômeurs de très longue durée, vous paraît avoir une efficacité ? Les derniers chiffres montrent une baisse significative du chômage de longue durée. Est-ce que le CIE reste pour vous un outil précieux, notamment pour aller repêcher les salariés qui, passé un certain âge, auraient les pires difficultés à trouver une nouvelle insertion ?

 M. Christian Lhote : Pour ce qui est des formations en alternance, le contrat de qualification répond bien aux besoins des entreprises. Il est aujourd'hui, à mon sens, utilisé peut-être trop massivement pour la formation de techniciens ou de techniciens supérieurs, c'est-à-dire pour des formations de niveau 4 et 3, et pas suffisamment au bénéfice des formations de niveau 5. Ceci dit, les niveaux 5 peuvent encore suivre massivement la voie de l'apprentissage, 90 % des contrats d'apprentissage conclus dans un département comme l'Orne bénéficient à des niveaux 5.

 Il me semble que le contrat de qualification devrait pouvoir être recalibré vers des préparations de métiers beaucoup plus que pour des préparations de diplômes. On y est déjà parvenu dans certaines branches. Mais des branches importantes, comme le bâtiment, prévoient toujours la préparation par la voie du contrat de qualification des diplômes ou titres classiques de l'Éducation nationale.

 Vous demandez si le CIE recentré a une efficacité. Je crois que l'on a absolument besoin d'instruments de ce type pour permettre l'accès du public exclu au marché du travail et à l'entreprise.

 J'ai, en la matière, un regret, c'est que les acteurs de terrain sont, pour l'octroi de certaines aides à l'emploi, parfois confrontés à des situations où il est impossible par exemple de refuser à un employeur de recruter un salarié par la voie du CIE alors que, si ce salarié remplit les conditions administratives d'accès à ce contrat, il n'en est pas obligatoirement justiciable. Il faut savoir que les demandeurs d'emplois qui ont une activité quasiment à temps plein dans le travail temporaire, dans l'intérim, continuent à être inscrits comme demandeurs d'emplois, voient leur ancienneté de chômage continuer à s'accroître et peuvent, à l'arrivée, bénéficier d'un CIE. Des corrections ont été apportées sur 1999 pour nous permettre, ainsi qu'à l'ANPE, de prendre en compte ces éléments.

 Comme le rapport de la mission le montre, les aides ciblées ont pour objectif de corriger les files d'attente du chômage. Les files d'attente du chômage sont éminemment fluctuantes. Quand on aide plus particulièrement la création d'emplois ou l'emploi des jeunes, on voit les chômeurs de longue durée monter en flèche. Quand on donne une aide plus ciblée à des chômeurs de longue durée, c'est le chômage des jeunes qui s'accroît. L'offre de postes d'insertion ou de postes aidés reste toujours insuffisante par rapport au public prioritaire qu'il nous faut traiter.

 Les modifications des publics cibles ou des publics que nous traiterions dans les files d'attente pourraient être vues de manière plus simple en listant l'ensemble des publics prioritaires : travailleurs handicapés, chômeurs âgés de plus de 50 ans, bénéficiaires du RMI, etc.

 La correction devrait à mon sens pouvoir être apportée et la priorité donnée de manière plus rapide, ne serait-ce que par un arrêté du Ministre en début d'exercice, après le débat parlementaire sur la loi de finances. Cela permettrait de corriger plus vite qu'aujourd'hui, où nous sommes obligés d'attendre un décret ou la modification d'une loi pour tel ou tel instrument.

M. Philippe Auberger, co-Président : Monsieur le Directeur, trois brèves questions.

 Première question. Vous avez estimé que les conventions de conversion ont été à peu près inéluctables pour atténuer les effets du licenciement économique. Je partage assez largement votre point de vue.

 Cela dit, on constate, au niveau local, que ces conventions de conversion ont dans l'ensemble une efficacité très faible et que le coût qui en résulte pour les finances publiques n'est pas vraiment en relation avec l'efficacité. N'y aurait-il pas quelques mesures de recalibrage à envisager dans ce domaine ?

 Deuxième question. Pouvez-vous nous dire quels sont, à votre avis, les effets sectoriels, s'il y en a eu, de la baisse généralisée des charges, notamment celle pratiquée en 1995 ? Est-ce que cette baisse des charges très conséquente sur les salaires les plus faibles a conduit des entreprises à externaliser un certain nombre de fonctions ?

 Troisième question. Pensez-vous qu'il serait justifié de mettre en oeuvre une nouvelle mesure assez forte sur l'emploi des jeunes dans les entreprises ? Si oui, quel type de mesure faut-il envisager ?

 M. Christian Lhote : Pour ce qui concerne les conventions de conversion, il y en a effectivement peu actuellement, puisque les licenciements économiques sont à un niveau particulièrement faible, et nous nous trouvons aujourd'hui plutôt confrontés au resserrement des équipes de l'ANPE travaillant avec l'Assédic sur les parcours de conversion, et à quelques craintes quant à la dissolution, à la perte de savoir-faire en matière d'accompagnement.

 Ceci dit, des accompagnements se développent par ailleurs, au sein de l'ANPE, pour les chômeurs de longue durée, dans le cadre du plan national.

 Pour les effets sectoriels de réduction des charges, je vous avouerai n'avoir pas constaté, dans l'Orne, que des secteurs professionnels auraient accéléré l'externalisation d'un certain nombre de missions.

 Il est vrai que, par restructuration des entreprises à taux de salaire moyen plus fort que dans d'autres secteurs, je pense aux entreprises de la métallurgie, de la chimie, de la transformation des matières plastiques, le transfert des charges peut amener les chefs d'entreprises à être tentés d'externaliser une part de leur activité pour bénéficier de prestations équivalentes à celles qu'assurent des salariés en interne, mais qui ne soient pas couvertes par la même convention collective.

 Je n'ai pas l'impression que 1995 ait amené des changements de ce type. Ils avaient eu lieu avant, non pas dans le cadre de l'économie de charges sociales, mais dans le cadre de l'économie globale sur la masse. Il est plus facile, en effet, de négocier un coût de prestation avec un prestataire de services qu'une réduction de salaire avec un salarié ne pouvant plus effectuer son activité professionnelle et qui, sur un poste de nettoyage ou de gardiennage, serait conservé dans la même unité. On a vu ce mouvement se mettre en place depuis les années 1980.

 Pour ce qui est de la mise en oeuvre d'une mesure forte envers les jeunes pour l'accès à l'entreprise, je ne suis pas certain que nous n'ayons pas aujourd'hui, dans l'ensemble de nos instruments, d'instruments suffisants. L'accès des jeunes à travers le contrat d'orientation pour une première expérience, au contrat d'adaptation qui permet déjà un accès facile à l'entreprise, et au contrat de qualification pour des jeunes dont la qualification serait insuffisante, m'apparaît déjà satisfaisant.

 Ce qui est le plus en cause est effectivement la timidité de l'entreprise, aujourd'hui, devant l'acte de recrutement, cette attitude amène à un recours important au travail temporaire et, dans le cadre du travail temporaire, à une exigence de savoir-faire, d'adaptabilité immédiate et de qualification qui, parfois, ne peut pas être satisfaite par un jeune.

 M. Daniel Feurtet : Compte tenu de l'ensemble des dispositifs et des intervenants possibles à la fois pour l'entreprise et pour la personne qui cherche un emploi, n'avez-vous pas le sentiment d'une assez grande dispersion ? Au niveau d'un département, n'y aurait-il pas besoin d'une plus grande coordination à la fois des services de l'État, directement compétents de ce domaine, et des services qui en dépendent pour une part, compte tenu de l'investissement public ? D'un département à un autre, les effets sont plus ou moins importants. Si je prends le département de la Seine-Saint-Denis, l'effet de la dispersion est assez redoutable.

 L'échelon du département est-il pertinent ? quelle coordination pour rendre plus efficace la dépense publique dans ce domaine ?

 M. Christian Lhote : Entre la Seine-Saint-Denis et l'Orne, l'échelle est totalement différente. 300.000 habitants dans l'Orne, cela n'a rien à voir.

 Les agents publics qui ont mené des actions diverses - car il n'y a pas que l'État qui intervient maintenant mais aussi le conseil régional en matière de formation, le conseil général en matière de dispositifs d'insertion - les partenaires prestataires pour le compte de l'État, établissements publics type ANPE, AFPA, etc., ont tous senti depuis plusieurs années la nécessité de coordonner leur action.

 Vous avez entendu parler du service public de l'emploi. Un noyau dur, dans ce service public de l'emploi, regroupe autour du préfet la direction départementale du travail, l'agence nationale pour l'emploi, l'AFPA, la déléguée aux droits des femmes, un représentant des systèmes de formation publique pour les adultes, et, depuis peu, un représentant de la DDASS.

 L'ensemble des départements que je connais associent au service public de l'emploi les représentants des régions des départements et des villes à travers les missions locales. C'est une question d'échelle : la pratique conduit à réunir 25 personnes dans le département de l'Orne. Je ne sais pas si le nombre de missions locales pourrait permettre, en Seine-Saint-Denis, d'avoir une réunion de ce type. C'est dans ce cadre que la coordination peut se faire.

 Les cinq dernières années ont été à peu près partout l'exemple d'une meilleure coordination entre les actions de lutte contre l'exclusion, les actions d'insertion, entre les conseils généraux et l'État, et les actions de formation entre les conseils régionaux eux-mêmes. Les conseils régionaux ont, depuis le 1er janvier 1999, la compétence complète en matière d'insertion des jeunes, y compris sur des actions non qualifiantes. La collaboration qui s'était engagée dans le passé entre l'État et le conseil régional, en Basse Normandie, se poursuit de la même façon. On ne peut pas travailler les uns sans les autres.

 Est-ce que le service public de l'emploi est la seule instance de régulation ou la meilleure ? Je n'en sais rien. En tout cas, je la pratique, et je la trouve relativement efficace.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Une dernière question. Comment effectuez-vous le contrôle de l'utilisation réelle, effective des aides attribuées ? Avez-vous des exemples d'effets d'aubaine qu'on pourrait corriger et comment ?

 M. Christian Lhote : Pour ce qui est des aides à la formation, je pense aux jeunes avec le contrat d'apprentissage, le contrat de qualification, on est effectivement un certain nombre de partenaires à vérifier que l'aide est utilisée dans le cadre réglementaire prévu. Les services d'inspection de l'apprentissage vérifient l'assiduité des jeunes dans les CFA pour ce qui est de l'apprentissage. Les organismes mutualisateurs vérifient, avant de payer à l'entreprise les aides, que les jeunes ont été effectivement présents dans les organismes de formation, et ne rémunèrent à l'entreprise la prestation de formation qu'en contrepartie du certificat de présence.

 Sur d'autres actions de type CIE, aide au recrutement, sur l'effet d'aubaine, la règle, actuellement, ne nous permet pas de nous opposer au recrutement d'un salarié sous le statut CIE par une entreprise qui envisageait de procéder à un recrutement. L'objectif est bien de lutter contre une exclusion, contre un chômage de longue durée. Supposons que l'entreprise qui recrutera ait prévu de procéder à un recrutement : oui, l'aide CIE est seulement destinée à permettre que l'on substitue à un salarié qui n'est pas en difficulté une personne chômeur de longue durée, bénéficiaire du RMI, qui serait restée autrement demandeur d'emploi.

 En cela, il faut relativiser le terme d'effet d'aubaine. C'est peut-être une aubaine pour le chômeur de longue durée d'être recruté.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur le Directeur, je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

 

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