1.- Audition de M. Liêm Hoang Ngoc, coordonnateur de l'étude réalisée pour l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques

 (Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 6 mai 1999)

 Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

 A l'invitation du Président, M. Liêm Hoang Ngoc est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Après la politique autoroutière, la gestion des effectifs et des moyens de la Police nationale, la formation professionnelle, nous entamons aujourd'hui un nouveau cycle d'auditions publiques consacré aux aides à l'emploi. Nous allons le faire, et c'est là l'originalité de cette démarche, en partant d'une étude effectuée pour le compte de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, sur saisine de notre commission des Finances en mars dernier. Cette étude, confiée au METIS et au LEST et coordonnée par M. Liêm Hoang Ngoc, avait pour objet d'évaluer le rôle des flux financiers entre les collectivités publiques et les entreprises en matière d'emploi. Le Bureau de la Commission a décidé de la rendre publique la semaine dernière.

 Je vous propose, dans un premier temps, de procéder à l'audition de M. Liêm Hoang Ngoc selon la formule traditionnelle des questions, qui seront d'abord posées par le rapporteur spécial, M. Gérard Bapt, rapporteur de l'étude devant l'Office d'évaluation des politiques publiques, et ensuite, par les membres de la mission.

 Dans un deuxième temps, nous entendrons M. Christian Lhote, directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de l'Orne, que nous avons convié pour nous faire part, en tant qu'homme de terrain, de ses jugements sur cette étude et de la manière dont il pouvait apprécier, dans les différentes entreprises de son département, les aides publiques à l'emploi.

 Je souhaite que ces auditions nous permettent de connaître un peu mieux l'efficacité des aides qui sont actuellement en vigueur pour l'emploi et de nous éclairer aussi sur ce qu'il y aurait à faire pour améliorer encore leur efficacité.

 M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger sur l'étude du METIS et du LEST. La méthode que je proposerai pour l'audition de M. Liêm Hoang Ngoc est inspirée par les deux orientations de la démarche générale de notre mission d'évaluation et de contrôle : faire le bilan de l'efficacité des engagements budgétaires pour une politique donnée, aujourd'hui la politique publique de l'emploi ; rechercher les moyens de donner le maximum d'efficacité à ces engagements budgétaires.

 La justification de l'inscription des politiques d'aide à l'emploi à l'ordre du jour de la mission d'évaluation et de contrôle apparaît à l'évidence dans les pages introductives du rapport où figure l'évolution de la dépense publique en faveur de l'emploi : de 0,9 % du PIB, en 1973, à 4,37 % du PIB en 1996. Les mêmes pages amènent, tout de suite après, à se poser, à l'évidence, la question de l'efficacité de cet engagement budgétaire. En effet, selon la DARES, l'évolution des flux d'aides à l'emploi et du nombre des chômeurs suit, depuis 1973, une pente ascendante totalement coïncidante.

 Je propose de distinguer deux phases dans l'audition de M. Liêm Hoang Ngoc. La première serait centrée sur les politiques publiques de l'emploi et leur évolution, en France, par comparaison avec ce qui se passe dans les autres pays de l'Union européenne : il s'agirait de faire un premier bilan de l'efficacité des aides à la création d'entreprises avec aide à l'embauche, laissant de côté la dimension formation professionnelle traitée par ailleurs avec le rapporteur spécial, Jacques Barrot. Je suggère d'interroger M. Liêm Hoang Ngoc sur l'efficacité des mesures ciblées, leurs effets pervers et la possibilité de réaliser, après le recentrage du CES, du CIE, des préretraites, de nouvelles économies pour redéployer les crédits sur des mesures plus efficaces.

 La deuxième partie concernerait les allégements généraux de charges qui ont considérablement augmenté dans le budget du ministère du Travail et de l'Emploi, qu'ils soient sans contrepartie, c'est la ristourne unique dégressive, ou avec contrepartie, ce sont les mesures en relation avec la réduction du temps de travail.

 M. Liêm Hoang Ngoc pourrait, par deux introductions courtes, alimenter les deux phases de notre audition.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Les deux parties que vous me proposez de développer correspondent aux deux parties du rapport. Je commencerai par exposer un très bref résumé de la première partie.

 Notre souci, dans cette partie, a été un souci pédagogique de répertorier l'ensemble des flux financiers entre les collectivités publiques et les entreprises en matière d'emploi. Il nous semblait que les catégories habituellement utilisées par l'OCDE et la DARES étaient insuffisantes pour bien sérier l'ensemble des mécanismes en jeu à chaque fois que se prend une décision de politique publique.

 Nous avons considéré, parmi les flux financiers consacrés à l'emploi, quatre catégories : les dépenses traditionnellement dites « passives » par l'OCDE, qui sont les dépenses d'indemnisation du chômage ; les dépenses inhérentes à la formation destinée à améliorer le capital humain des chômeurs, et également à améliorer la qualité de la main-d'oeuvre à la disposition des entreprises ; les mesures d'ordre général qui visent à rendre la croissance plus riche en emplois, et enfin, les mesures dites « ciblées » ou « spécifiques » cherchant à mettre en oeuvre un principe de discrimination positive, c'est-à-dire de modifier la file d'attente des chômeurs. Nous nous sommes surtout centrés sur les deux dernières catégories.

 Dans la comparaison des politiques de l'emploi mises en oeuvre dans les différents pays, on peut, à la serpe, distinguer trois grands modèles.

 Le premier est le modèle anglo-saxon, caractérisé pas un effort faible de dépenses pour l'emploi en proportion du PIB. Les dépenses, dans ce cas, sont essentiellement centrées sur l'indemnisation des chômeurs et sur la formation.

 A l'opposé, on a un pôle où l'engagement des pouvoirs publics en matière d'emploi est très fort. Il s'agit du pôle suédois et allemand, essentiellement, où les dépenses sont consacrées à la formation et aux aides à l'embauche.

 Entre ces deux pôles, on trouve les pays du sud de l'Europe comme la France et l'Italie. La France, par exemple, est caractérisée d'une façon qualitative par l'importance croissante des dépenses correspondant aux préretraites et des aides à la création d'emplois.

 La répartition de ces dépenses s'est sensiblement modifiée depuis 1973. Jusqu'en 1985, en France, ce sont essentiellement des dépenses passives qui sont importantes, notamment des dépenses d'indemnisation de chômage et de mise en préretraite. Ce n'est qu'à partir de 1985 que les pouvoirs publics posent le problème de l'activation systématique des dépenses publiques, dont le but est de stimuler la création d'emplois plutôt que de procéder au traitement social du chômage.

 Mais la catégorie des politiques actives est elle-même trop large pour évaluer l'efficacité de chaque mécanisme mis en jeu par les différents dispositifs.

 Nous avons, dans ce rapport, distingué les mesures d'ordre général et les mesures spécifiques.

 La période récente voit une montée en puissance des mesures d'ordre général visant à rendre la croissance plus riche en emplois. En 1993, les mesures d'ordre général ne représentaient que 7,1 milliards, alors que les mesures spécifiques représentaient 34,8 milliards. En 1997, le rapport s'est complètement inversé puisque les mesures d'ordre général sont devenues majoritaires avec 54,5 milliards, alors que les mesures spécifiques recouvrent seulement 50,9 milliards de francs.

 Parmi les mesures d'ordre général, les mesures d'abaissement du coût du travail constituent le principal volet. Dans ces mesures, nous avons inclu les exonérations d'ordre général sur les bas salaires telles que la ristourne dégressive, qui n'est pas intégrée dans les catégories de la dépense publique de l'emploi selon la DARES.

 Pour les mesures d'ordre général, la période récente a introduit une innovation, puisque, depuis la loi Robien, les pouvoirs publics s'interrogent sur la portée des politiques de réduction de la durée collective du travail. Jusqu'alors, en matière de temps de travail, c'était l'approche de temps partiel qui, depuis 1990 et l'abattement de 40, puis de 30 %, était prédominante. Les réflexions autour de l'abaissement de la durée collective du travail commencent à poindre avec la loi Robien, puis avec la loi Aubry d'orientation et d'incitation sur laquelle nous reviendrons dans la deuxième partie.

 Parmi les mesures spécifiques, là aussi, les mesures privilégiant l'abaissement du coût du travail sont majoritaires. Les mesures phares sont sans doute le CIE, l'aide pour l'emploi des jeunes et, dans le secteur non-marchand, le CES.

 Après avoir établi cette typologie des aides à l'emploi, nous avons essayé d'établir une synthèse la plus exhaustive possible des études existantes d'évaluation.

 Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les conclusions des études sont très réservées et très partagées. Les modèles d'évaluation ne sont absolument pas complètement affirmés et sûrs d'eux-mêmes parce qu'il y a un écart entre la représentation théorique et les faits, tels qu'on peut les constater.

 Que nous disent les évaluations établies à partir des simulations, des modèles économiques utilisés pour préparer les mesures de politiques de l'emploi ?

 Les évaluations sont très partagées quant aux effets de la réduction du coût du travail. Il y a peu d'études qui concluent de façon ferme et définitive que le chômage est dû essentiellement à un coût du travail excessif en France.

 Là où il y a véritablement débat, c'est sur le problème du travail non qualifié. Là encore, les économistes sont partagés quant aux effets potentiels d'une réduction du coût relatif du travail non qualifié sur l'emploi.

 Les études plus qualitatives contiennent un élément intéressant qui explique peut-être la prudence des conclusions des études macro-économiques établies à partir de modèles. En effet, les études macro-économiques considèrent qu'il existe une entreprise représentative de toutes les entreprises qui réagissent de la même façon aux diverses politiques de l'emploi. Dans les études qualitatives, on constate que cette hypothèse d'une entreprise représentative mérite relativisation car il y a une pluralité de logiques d'entreprises décelables quand on établit des monographies. Cela explique vraisemblablement que l'ensemble des entreprises ne réagit pas de la même façon à des mesures, notamment d'ordre général, de politiques de l'emploi.

 On peut, dans cette perspective, relever ce qu'une étude précédente du METIS a appelé le double paradoxe de la politique d'aide à l'emploi. On peut le résumer de la façon suivante.

 Tout d'abord, les entreprises qui déclarent avoir un problème de coût salarial ont peu recours aux dispositifs de la politique de l'emploi. A contrario, les entreprises qui recourent aux dispositifs de politiques de l'emploi sont essentiellement des entreprises qui sont informées de ces dispositifs mais n'ont pas nécessairement un problème de compétitivité de prix et de coût salarial et sont positionnées sur des créneaux plutôt hors prix.

 En guise de conclusion et pour introduire la discussion, je dirai que la principale limite que rencontrent les évaluations des politiques de l'emploi est de considérer que les entreprises réagissent toutes de la même façon à la politique de l'emploi. Ces études considèrent ce que les économistes appellent l'existence d'une demande de travail agrégé, c'est-à-dire une demande de travail donné par une entreprise représentative type réagissant à la baisse du coût salarial. La philosophie des politiques de l'emploi a été, durant les vingt dernières années, d'adapter l'offre de travail à cette entreprise représentative, soit par la formation pour mettre le capital humain en état de répondre à la demande de travail, soit en adaptant le coût de l'offre de travail par des politiques d'abaissement du coût salarial. Reste à savoir si cette approche a une efficacité « technique ». C'est un premier débat.

 Si l'on considère que la pluralité règne dans les entreprises, tant en matière de situation financière qu'en matière de stratégie vis-à-vis de l'emploi, est-ce que des mesures d'ordre général trouvent leur efficacité technique ?

 Le deuxième débat est un débat de société, sur lequel nous reviendrons dans la deuxième partie, et qui consiste à savoir si, aujourd'hui, la priorité du pays est de développer l'emploi non qualifié ou l'emploi qualifié.

 M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : Deux questions se posent. La première naît du propos de M. Liêm Hoang Ngoc selon lequel ce seraient les entreprises qui en auraient le moins besoin qui utilisent le plus les aides à l'emploi. Nous sommes directement interpellés en termes d'efficacité de l'engagement budgétaire.

 La deuxième question est de savoir s'il a discerné des mesures qui, à l'heure actuelle, pourraient faire l'objet d'économies en fonction de cette constatation. Je pense là avant tout aux mesures ciblées, qu'elles soient générales ou territorialisées.

 M. Liêm Hoang Ngoc : En ce qui concerne les mesures ciblées, j'ai indiqué que leur part relative avait décru au profit des mesures d'ordre général. La question est de savoir quelle est la priorité. Certains experts estiment que les politiques ciblées sont nécessaires pour modifier l'ordre de la file d'attente, et mettre en place une discrimination positive rendant plus employables les publics défavorisés.

 Le CIE est une mesure phare en matière de politique ciblée. On peut en tirer les premiers bilans, comme la DARES l'a fait dans de nombreuses études.

 D'après les bilans, 50 % des embauches réalisées dans le cadre du CIE n'auraient pas concerné le public intéressé si ce contrat n'avait pas existé. Le CIE peut donc être jugé positif si l'on considère que la moitié des embauches a concerné des chômeurs non employables.

 Cela dit, les mêmes études de la DARES mettent en évidence l'importance de l'effet d'aubaine. Dans les questionnaires envoyés, on relève que 56 % des embauches font l'objet d'un tel effet.

 Il est dès lors très difficile de faire des recommandations. Il est important que le CIE continue d'exister, mais comment neutraliser les effets d'aubaine ? Nous ouvrons le débat sur l'assiette des cotisations patronales qui devrait plus ou moins favoriser tel ou tel type d'entreprise en fonction de sa stratégie de l'emploi et de sa situation comptable.

 Il me semble difficile, aujourd'hui, de pratiquer de nouvelles coupes dans les dispositifs ciblés. Ils se sont, en part relative, réduits par rapport à ce qu'ils étaient il y a un certain temps. Le chômage des jeunes représente une forte proportion ; le taux de chômage des jeunes est de 25 %. Il semble difficile de remettre en cause des dispositifs ciblés de type APEJ ou CES.

 Toute la réflexion devrait s'engager autour de la façon de mieux répartir le financement de la protection sociale en fonction du comportement des entreprises vis-à-vis de l'emploi, ce qui permettrait de neutraliser, à mon sens, les effets d'aubaine.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Je suis un peu étonné, tout de même, de voir que vous laissez entendre qu'il y a encore beaucoup d'hésitations sur l'efficacité de la baisse du coût du travail non qualifié. Hier encore, le CSERC a apporté une preuve supplémentaire de cette efficacité.

 Par ailleurs, je trouve très difficile de porter un jugement sur une politique qui a été hélas pratiquée à faible échelle, et récemment, depuis la loi quinquennale. Le scepticisme des experts m'étonne et je le vois d'ailleurs se réduire d'année en année. Il ne faudra peut-être pas attendre la fin du siècle prochain pour s'apercevoir que le coût du travail moins qualifié joue un rôle majeur.

 Vous avez dit une chose très juste : le problème des politiques est d'adapter l'offre de travail de deux manières, par la formation, c'est pour cela qu'il faut professionnaliser mieux les jeunes, et par le coût, pour le travail moins qualifié.

 Je suis vraiment stupéfait de voir autant d'hésitations, chez les experts, sur des politiques que le bon sens de tous les jours semble vérifier. Pouvez vous m'indiquer les économistes qui contestent cette politique et au nom de quoi ils la contestent ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : J'ai pris connaissance du rapport du CSERC hier. Il n'apporte aucun élément nouveau aux études existantes. C'est une synthèse des études existantes sur l'abaissement du coût du travail. Nous avons une interprétation sensiblement différente.

 D'où vient la divergence ? Pour répondre à cette question, je dirai d'abord que les politiques d'abaissement du coût du travail non qualifié ne se justifient techniquement que sous deux conditions.

 La première est qu'il existe une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait, dans ce pays, une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Beaucoup d'études montrent au contraire qu'il y a un excès d'offre de main-d'oeuvre qualifiée. Faut-il cibler la politique de l'emploi en direction des non-qualifiées alors que se trouve un problème de chômage du côté des qualifiés ?

 Deuxième remarque : l'efficacité des politiques d'abaissement du coût du travail suppose qu'il existe une forte élasticité emploi-salaire chez les travailleurs non qualifiés. L'élasticité est un terme technique désignant tout simplement l'effet, en termes d'emploi, de l'abaissement du salaire. Est-ce que cette élasticité est forte en France ? Je peux vous garantir qu'il y a un véritable débat et des travaux qui s'échinent à mettre en évidence une élasticité emploi-salaire.

 On peut tout d'abord dire que l'élasticité emploi-salaire, à l'échelle macro-économique, n'arrive pas à être mise en évidence. Il n'y a pas de coefficient significatif au niveau global. La plupart des études économiques s'accordent pour dire qu'il n'y a pas de problème global de coût du travail en France. D'ailleurs, le coût du travail, globalement, se situe largement dans la moyenne mondiale et européenne. Surtout, le coût du travail français, charges sociales comprises, continue à évoluer, selon les études de l'INSEE, à un rythme inférieur non seulement aux gains de productivité mais également à l'inflation.

 S'il n'est pas au niveau du coût global du travail, le problème se trouve peut être posé au niveau du travail non qualifié, auquel les études accordent leur plus grande attention. Sur le travail non qualifié, les études de référence sont celles de Bazen. La conclusion des auteurs est très prudente. Ils considèrent tout d'abord que l'élasticité emploi-salaire des jeunes est très faible, c'est-à-dire qu'il faudrait vraiment abaisser beaucoup le coût du travail des jeunes pour avoir un effet substantiel sur l'emploi. Quand cette élasticité peut être mise en évidence dans les régressions, on se rend compte qu'elle n'est pas statistiquement significative.

 L'étude la plus approfondie a essayé de mesurer les effets des variations du salaire minimum sur l'emploi dans quatre secteurs à forte proportion de smicards : l'industrie alimentaire, l'industrie agricole, les services marchands et le commerce. On se rend compte que l'élasticité n'est forte (0,4 et 0,3) que dans les cas du commerce et des services marchands. Dans ces cas, les auteurs reconnaissent qu'elle n'est pas statistiquement significative. Cela peut changer, cela peut être de l'ordre de l'aléatoire.

 Ces conclusions prudentes nous amènent à nous interroger sur l'opportunité de mesures d'ordre général. Je ne conteste pas que, dans certains secteurs, il puisse exister un problème de coût du travail. Mais à ce moment là, la mesure appropriée n'est pas une mesure d'ordre général qui va bénéficier à tous les secteurs et à toutes les entreprises, c'est une aide sectorielle. Malheureusement, les aides sectorielles, telles que l'aide textile, sont aujourd'hui interdites par les directives communautaires. Il s'agit pour nous de trouver un autre principe qui permette de sélectionner la direction des flux financiers afin d'aider les entreprises qui ont vraiment un problème de coût du travail, et de modifier la charge de financement de la protection sociale en ce sens.

 M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : On parle d'économies sur certains chapitres budgétaires du budget de l'emploi, pour redéploiement sur d'autres actions. Il est très difficile d'en trouver, notamment après le recentrage du CIE, du CES, et la diminution des dépenses concernant les retraits d'activités. La théorie défendue, y compris dans certains secteurs du patronat, selon laquelle il faut supprimer un certain nombre d'aides qui seraient inutiles, pour financer des mesures qui seraient plus efficaces et qui restent à déterminer, doit être aujourd'hui combattue. La suppression d'aides, désormais, viserait à abandonner certains éléments du traitement social du chômage, c'est-à-dire à modifier la liste d'attente pour favoriser des demandeurs d'emploi dont l'employabilité est plus faible que d'autres demandeurs d'emploi. C'est la première remarque.

 Avec la deuxième remarque, je voudrais aller plus loin dans le questionnement concernant le travail non qualifié. Les bas salaires ne correspondent pas obligatoirement à des salariés peu qualifiés. Nous sommes très contents, dans nos permanences, quand nous trouvons des emplois à des « bac plus 4 » ou « plus 5 », y compris si le salaire est à moins de 1,3 fois le SMIC. La notion de bas salaires et de salariés peu qualifiés ne présente aucun caractère d'automaticité.

 Un certain nombre d'enquêtes, notamment du CSERC, reprises par la presse, révèlent que le problème, en France, vient du fait que le niveau du SMIC serait plus près du salaire médian que dans les autres pays européens, 60 % dit-on, en France, par rapport à 40 % chez certains de nos partenaires européens.

 Dans la perspective du passage aux 35 heures, avec la question, difficile à traiter, de l'impact sur le SMIC de la diminution de la durée légale hebdomadaire du travail, ne croyez-vous pas que le problème des allégements du coût se pose ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : C'est une question importante. Une étude réalisée par Francis Cramars(?) a cherché à comparer les effets de la différence entre le niveau du salaire médian et le salaire minimum sur l'emploi au niveau international. Les enseignements en sont très riches. Évidemment, on constate que le salaire minimum s'est rapproché du salaire médian en France, par comparaison avec des pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou le Canada. La question est de savoir si ce resserrement de l'éventail des salaires s'est traduit par des pertes d'emplois. Le résultat de l'étude conduit, pour la France, en comparaison avec d'autres pays, à une réponse négative. Même si le salaire minimum français est un peu au-dessus des salaires minimums d'autres pays, la part de l'emploi située à ce niveau est plus élevée. Cela veut bien dire que le niveau du salaire minimum n'a pas été nécessairement un obstacle au développement de l'emploi selon les comparaisons internationales.

 Les études économiques ne fournissent pas véritablement d'argument tranché montrant que le SMIC est un obstacle à l'emploi. On peut lire les études à la façon du CSERC si l'on considère que les conclusions doivent être débarrassées de la prudence nécessaire. Mais si l'on considère la prudence nécessaire à la démarche scientifique, tant et si bien que cette démarche constate des insuffisances méthodologiques, on est obligé de conclure à la prudence et de nuancer les conclusions quant aux effets nocifs du salaire minimum sur l'emploi.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Je reviens en arrière. Vous avez dit : l'aide est valable s'il y a pénurie des moins qualifiés et s'il y a une forte élasticité. En réalité, il faut adapter l'offre de travail mais il faut l'adapter par le coût et par la formation. Il est évident que si on fait appel à une main-d'oeuvre moins qualifiée, il faut en même temps la former. Il faut mener les deux politiques ensemble. Si vous ne menez qu'une politique par le coût, cela ne peut pas marcher. C'est une vérité d'évidence.

 Deuxièmement, vous dites une forte élasticité. Le gouvernement actuel a pris une mesure intelligente, malheureusement pas assez étendue, sur la baisse de la TVA dans les travaux d'amélioration du logement. Ce qui prouve que la baisse du coût du travail est efficace. Je souhaite qu'on élargisse cette mesure.

 Je ne comprends pas tous ces scrupules d'analystes théoriques. Je ne comprends pas pourquoi des vérités d'évidence sont ainsi occultées par des études les plus savantes les unes que les autres. C'est ce qui paralyse l'action : ces excès de prudence devant des vérités d'évidence.

 Enfin, je ne peux pas vous laisser dire ce que vous avez dit sur les politiques sectorielles. M. Van Miert lui-même vous dira que tous les experts d'Europe reconnaissent qu'il faut faire quelque chose sur le travail moins qualifié avec des critères « tous secteurs ». Mais il faut prendre un salaire moins qualifié et, évidemment, une définition que nous n'avons pas en France, le travail manuel.

 Peu importe les critères. Il ne s'agit pas de faire du sectoriel pur par branche, mais de voir les secteurs où il y a du travail moins qualifié et du travail manuel. Vous ne me direz pas qu'il n'y a pas une réaction rapide à un travail moins cher ; la réponse ne passe pas par le salaire et je vous rejoins sur les effets du SMIC et sur le fait que les charges se concentrent sur le travail moins qualifié.

 Je n'arrive pas à entrer dans une démarche qui semble entièrement conçue pour contester ce que nous voyons à l'oeil nu dans la réalité.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Permettez-moi un élément de réponse. Nous ne sommes pas complètement en désaccord lorsque vous dites qu'il s'agit d'adapter l'offre de travail à la demande de travail.

 Mon propos allait plus loin et consistait à dire que la principale limite des économistes avait été de négliger la pluralité des demandes de travail. Il s'agit d'adapter l'offre de travail non pas à une demande de travail, c'est-à-dire à la demande de travail d'entreprises qui auraient uniquement un problème du coût du travail, mais à l'ensemble du tissu des entreprises qui est complètement hétérogène. Les entreprises qui utilisent aujourd'hui du travail qualifié et qui mènent une stratégie de compétitivité hors coût n'ont pas de problème de coût salarial.

 Pour une grande entreprise qui a des taux de marge reconstitués et qui mène une stratégie à forte valeur ajoutée, une baisse du coût salarial a un effet marginal sur l'emploi.

 Ce que je voulais dire, ce n'était pas qu'il n'y avait pas de problème de coût du travail : loin de moi cette idée. Je pense qu'il y a des entreprises qui souffrent d'un problème du coût du travail. Tout le problème en matière d'aide à l'emploi est de bien cibler les endroits où l'on oriente les flux financiers. Ma préoccupation, dans ce rapport, était de mettre sur la table les conditions d'une efficacité des financements.

 Comment faire pour privilégier les entreprises qui ont un problème de coût salarial parce qu'elles utilisent relativement plus de main-d'oeuvre que les autres entreprises, d'autant qu'il s'agit dans certains cas d'entreprises dont la situation comptable est moins bonne ? Deux critères entrent dans cette réflexion : le critère comptable et le critère de la stratégie vis-à-vis de l'emploi. Comment alléger la charge de ces entreprises sans tomber dans le travers d'alléger la charge de tous au nom du fait qu'il faille alléger la charge de quelques-uns ?

 Le principal problème des exonérations de cotisations sociales se trouve posé là aujourd'hui. Une exonération d'ordre général sur les bas salaires n'est pas forcément la meilleure solution. Elle bénéficierait certes aux entreprises de main-d'oeuvre, mais au regard de la rationalité de la dépense pour l'emploi, il y aurait du gaspillage de deniers publics.

 Je suis de ceux qui pensent que la dépense publique a un rôle important dans l'économie, mais il s'agit tout de même de la rationaliser et je ne suis pas pour gaspiller les deniers publics quand on peut les économiser.

 M. Daniel Feurtet : Je réagis à la dernière partie du premier propos que vous avez tenu tout à l'heure. Je pense qu'il faut partir du point de vue que notre économie est très développée. Nous ne sommes pas un pays en voie de développement ou sous-développé, mais un pays qui dispose d'entreprises, de savoir-faire, de technologies, de formations, donc un pays hautement développé.

 Il faut donc se poser la question suivante : est-ce qu'un pays hautement développé comme le nôtre doit freiner le développement de ses salariés hautement qualifiés ? Tout à l'heure, on semblait mettre en dualité la formation qualifiée et la formation non qualifiée. A mon avis, il n'y a pas de dualité, mais un mouvement de l'économie et de notre société. Est-ce que notre société génère, du point de vue de ce développement, toute une série de services et d'emplois beaucoup moins qualifiés ? Tout le monde répond oui. Il ne faut pas être un très grand économiste pour observer ce mouvement dans notre société.

 C'est là où se pose à mon avis le problème. Comment continuer à bien dépenser pour pouvoir assumer ce niveau de développement technologique, scientifique, y compris de coopération internationale, donc de conquête des marchés internationaux et, en même temps, faire que ce mouvement qui génère un certain nombre d'emplois beaucoup moins qualifiés puisse trouver aussi un emploi ? Tel est l'objectif de toutes les politiques conduites.

 Je ne sais pas s'il est encore pertinent de parler de coût du travail comme concept. On pourrait parler aussi de coût du chômage, en donnant au mot « coût » une signification un peu péjorative. Je serais plutôt tenté de dire : comment la dépense publique participe-t-elle de l'encouragement à la création d'entreprises et à la défense d'entreprises ? Les questions sur les charges se posent à ce point, mais toutes charges comprises : pas simplement les charges sociales, mais l'ensemble des charges, y compris l'accès au financement des entreprises. Quel est le poids de ces charges sur des entreprises qui, par essence, doivent appeler fortement de la main-d'oeuvre ? Il y a une recherche à entreprendre. Je lis aussi des travaux d'économistes, y compris du conseil d'analyse économique que le Premier ministre a mis auprès de lui. Ils sont très partagés. J'aurais tendance à penser que ces charges globales, sur ce type d'entreprise, sont aujourd'hui beaucoup trop lourdes.

 Quelle politique conduire pour faire en sorte que l'allégement de ces charges d'ensemble soit incitatif à l'embauche ? Je ne parle pas simplement pour résoudre le problème des trois millions de chômeurs, mais dans un mouvement plus général de la société.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Je pense que nous empiétons sur le deuxième débat.

 Je prolongerai la réponse que je viens de donner à M. Jacques Barrot. La politique de l'emploi, aujourd'hui, s'est centrée uniquement sur l'adaptation de l'offre de travail. On n'a pas pris en compte le fait qu'il y avait plusieurs types d'entreprises. Il y a des entreprises où l'emploi est un poids plus important que d'autres et qui subissent nécessairement des charges plus importantes.

 Tout le problème d'une nouvelle politique de l'emploi serait d'essayer de discriminer les aides aux entreprises, selon leur stratégie, leur situation, et non pas seulement selon le type de main-d'oeuvre qu'elles utilisent. On a trop orienté, à mon avis, les aides en fonction des caractéristiques de l'offre de travail et on a négligé le fait que ce sont les entreprises qui perçoivent les aides, et qu'une entreprise n'est pas égale à une autre.

 Entre une entreprise qui a des taux de marge et des taux d'autofinancement reconstitués, dont les profits ne se matérialisent pas en termes d'investissement et d'emploi, et une entreprise riche en main-d'oeuvre et étranglée par ses charges financières, les effets sont radicalement différents. Les effets d'un abaissement d'ordre général sont bénéfiques pour la petite entreprise, mais également pour l'entreprise qui n'en a pas besoin et qui utilise, elle aussi, du travail non qualifié.

 Tout le problème est de trouver un mode de financement de la protection sociale, puisque telle est la principale charge qui pèse sur le coût salarial des entreprises. Comment trouver un financement de la protection sociale encourageant les entreprises qui décident de développer l'emploi ?

 Telle est la préoccupation de votre questionnement ; mais je pense que nous empiétons sur le deuxième débat.

 M. Philippe Auberger, co-Président : La discussion très importante entre M. Jacques Barrot et M. Liêm Hoang Ngoc me fait dire qu'il y a une erreur fondamentale dans l'analyse d'un certain nombre d'économistes : ils raisonnent comme si l'offre de travail était une offre purement française. L'offre de travail est mondiale. Si on regarde le secteur du textile, DMC, entreprise qui emploie encore 10.000 personnes en France, va en délocaliser 5.000 dans les 5 années qui viennent parce que, dans les pays d'Asie du sud-est, la dévaluation consécutive à la crise des monnaies asiatiques en 1997 abaisse de 30 à 40 % le coût du travail.

 Le fait que des dentistes s'adressent à des prothésistes en Asie du sud-est prouve bien que l'offre est mondiale. Si on raisonne uniquement sur l'offre française, on fait une erreur grave.

 Il faut regarder les aides ciblées avant de discuter des problèmes généraux. Parmi les aides ciblées, il y en a une qui m'interpelle et sur laquelle, malheureusement, le rapport est trop elliptique, ce sont les préretraites. Leur coût est considérable. Il semble qu'il n'y avait en fait pas de critères, d'analyses objectives, sur le fait d'accorder ou non ces aides. On nous dit que c'est pour profiler la pyramide des âges du personnel. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il y a le problème de l'expérience, de la technicité. Tout ceci ne semble pas pris en compte. Il semble que ces aides soient données à la tête de l'entreprise sans critères objectifs.

 Or, cela m'interpelle de dépenser une vingtaine de milliards de francs sans critères objectifs et, de plus, dans un sens contraire au rapport Charpin et à beaucoup d'analyses du problème de la retraite.

 Je voudrais savoir clairement si cette aide est justifiée et si l'on ne pourrait pas introduire des critères permettant d'accorder ces aides de façon plus rationnelle qu'aujourd'hui.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Sur les délocalisations, qu'il n'y ait pas de malentendu. Je n'ai jamais dit qu'il n'y avait pas de problème de délocalisation. Je pense au contraire que les problèmes de délocalisation sont forts principalement dans les secteurs du textile/habillement et des chaussures.

 C'est encore une affaire de sélectivité dans les aides à l'emploi que de considérer ces problèmes en détail. Est-ce que globalement il y a un problème de délocalisation ? Regardons les chiffres. La part des investissements directs français vers les pays à bas coûts salariaux ne représente que 3 % des investissements directs à l'étranger. Où se font les investissements directs ? Sur le territoire européen. Tout simplement parce que le monde est encore partagé en une triade entre la zone dollar, la zone euro et la zone asiatique, et que ces trois zones ont chacune une cohérence interne. D'où, sans doute, la cohérence du projet européen.

 En la matière, vous vous rendez compte que les délocalisations ne concernent que quelques secteurs. Comment faire vis-à-vis de ces secteurs ? Est-ce que des mesures d'ordre général sont appropriées ? Je ne le pense pas. J'ai apporté un élément de réponse tout à l'heure en évoquant les aides sectorielles, mais la question est aujourd'hui compliquée par le fait que les directives communautaires interdisent les exonérations de type textile qui étaient des exonérations s'adressant à un secteur qui en avait particulièrement besoin. Il va falloir trouver un autre mode de financement qui va dans le sens que je viens d'indiquer, c'est-à-dire qui distingue les entreprises en fonction de leur politique de l'emploi.

 Sur la question des préretraites, vous avez raison d'attirer l'attention sur l'importance de ce choix car il s'agit bien d'un choix de société. Le débat sur les préretraites est à inclure dans le débat sur la réduction du temps de travail, sur le temps de travail durant la vie d'un individu. Si l'on considère que dans certaines professions, il faille envoyer les gens en retrait d'activité ou en pré-retraite d'activité, ce n'est pas un critère économique qui va guider la chose mais un choix de société.

 Ensuite, les critères économiques vont entrer en jeu : vaut-il mieux avoir une main-d'oeuvre expérimentée, qualifiée, payée plus cher qu'une main-d'oeuvre jeune qui entre et qui doit se former ? Est-ce que l'on privilégie l'insertion des jeunes ou l'expérience des anciens ? Est-ce un débat économique ou un débat de société ? C'est à la représentation nationale de trancher.

 En tout état de cause, les préretraites constituent la mesure qui a eu la plus grande efficacité en termes de lutte contre le chômage, que ce soit au début des années 80 ou actuellement mais elles coûtent très cher. Vous avez raison d'indiquer qu'il y a un arbitrage à faire, mais il est du ressort de la décision politique.

 M. Jean-Jacques Jégou : Je croyais, en entrant ici, que nous allions aborder tout de suite les propositions. Je reconnais néanmoins que, au fur et à mesure que M. Liêm Hoang Ngoc nous dit des choses, les questions me viennent à la bouche.

 Je suis frappé du fait que le mot qui revient en permanence chez lui est la prudence. Ce qui prouve bien que même les économistes distingués sont au moins aussi dubitatifs que les misérables députés de base que nous sommes.

 Au début de votre propos, vous avez dit : je ne suis pas sûr qu'il y a rapport entre le coût du travail et le chômage. Je pense tout de même qu'on ne peut pas balayer d'un revers de manche la spécificité de la situation française. Chaque fois que nous avons pris des mesures, par exemple, sur la fiscalité, pour les emplois familiaux, on a vu qu'il y avait création d'emplois, peut-être effet d'aubaine, mais aussi, dans un secteur comme le bâtiment, un facteur de blanchiment du travail.

 Quant au double paradoxe, je suis d'accord avec vous. Il est assez extraordinaire de voir que les entreprises qui se plaignent du coût du travail, ne bénéficient pas le plus des aides. On s'aperçoit qu'il y a vraiment dispersion de l'argent public - je pense au CIE. Il y a effet d'aubaine, mais dans une certaine limite. Peut-on parler d'effet d'aubaine quand les mesures sur les charges permettent à un employeur de conserver un salarié qui n'était pas autrement employable? Que devient ensuite l'objet du CIE si ces personnes ne restent pas très longtemps dans l'entreprise ?

 A terme, cette dépense publique est-elle réellement efficace ? J'aurais tendance à répondre non, mais je souhaiterais que vous me donniez votre réponse.

 La dernière question est la suivante. Avez-vous une explication de la spécificité française qui fait que l'on crée moins d'entreprises en France que dans les pays comparables ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : La première question renvoie à l'évaluation des effets d'aubaine. Sur le CIE, c'est en réalité un effet de substitution qui se produit, puisque les entreprises auraient embauché une autre catégorie de main-d'oeuvre que celle bénéficiant de la mesure.

 C'est véritablement un principe de discrimination positive qui est en jeu puisqu'on va recruter des non qualifiés alors qu'on aurait peut-être recruté des qualifiés à la place.

 Est-ce souhaitable ? Est-ce gaspiller de l'argent ? Sur le principe de la discrimination positive, on est encore renvoyé à un débat de société. Faut-il privilégier l'intégration des jeunes ? Quand on embauche un non qualifié à la place d'un qualifié, c'est le travailleur qualifié qui va se trouver au chômage. L'existence de ce choix est liée au rationnement du volume global de l'emploi, sur lequel il faut également s'interroger.

 Par rapport à votre deuxième question, j'irai plus loin dans la comparaison internationale. J'étais surpris qu'on ne me pose pas la question par rapport au modèle américain. Si on compare le dynamisme de l'économie américaine et celui, supposé moins important, de l'économie française et européenne, il y a matière à s'interroger. La thèse la plus fréquemment en vogue consiste à dire : parce qu'il n'y a pas de salaire minimum aux États-Unis, le coût du travail non qualifié y est plus élevé, et cela incite non seulement les employeurs à embaucher du travail non qualifié, mais aussi à créer des entreprises pour embaucher notamment des travailleurs non qualifiés.

 Quand on regarde de près, on se rend compte que l'éventail des salaires américains n'a pas bougé depuis 10 ans. Or, la dynamique de l'emploi est très forte. Ce n'est donc pas cela qui explique la dynamique de la création d'emplois américaine par rapport à la dynamique européenne.

 Ce qui explique cette dynamique, c'est sûrement une politique macro-économique beaucoup plus expansionniste, qui a créé un environnement macro-économique favorable au développement de l'emploi et à la création d'activités.

 La moitié des emplois créés aux États-Unis, depuis le début des années 90, ne sont pas des emplois de services. Ce ne sont pas des emplois payés en dessous du salaire minimum français. Ce sont des emplois au-dessus du salaire médian, qualifiés, et dans des secteurs à forte valeur ajoutée.

 Attention aux raccourcis un peu rapides. On se rend compte qu'une action sur le volume global de l'emploi, c'est-à-dire sur l'environnement macro-économique qui gonfle les carnets de commandes des entreprises, peut être un remède aussi important que des politiques ciblées ou générales qui ne font finalement que modifier la file d'attente. Mais c'est un autre débat qui sort un peu du cadre du rapport.

 M. Pierre Méhaignerie : Votre deuxième réponse à Jacques Barrot a beaucoup infléchi vos premiers propos et donc réduit un peu mon taux d'adrénaline. Mais ce que vous venez de dire le fait remonter.

 Vous dites : le salaire minimum est-il un obstacle à l'emploi ? Vous répondez globalement non, comme si d'une moyenne on peut tirer une conclusion. Bien entendu, le salaire minimum n'est pas un obstacle à l'emploi dans des secteurs où la productivité évolue rapidement, où la concurrence mondiale est moins forte ; mais, dans des secteurs de services où la productivité est faible, il est bien entendu que le niveau minimum de salaire a une conséquence immédiate sur le chômage. Vous oubliez de dire qu'aux États-Unis, le salaire moyen est beaucoup plus élevé que le salaire minimum, à la différence de la France, mais que le salaire minimum, dans les services, est pratiquement le même depuis dix ans.

 En revanche, les salaires des conventions collectives de branches comme le bâtiment et les travaux publics sont élevés. Vous en concluez que ce sont des résultats ou des décisions de macro-économie qui ont modifié, pour l'essentiel, les évolutions. Je trouve cela surprenant.

 Je souhaiterais vraiment que vous veniez de temps en temps faire des stages de micro-économie sur le terrain. Tout d'abord, l'étude Mac Kinsey a montré que, quand vous comparez les taux d'emploi dans le commerce, vous constatez des différences étonnantes selon le niveau minimum du salaire. Les emplois de service à domicile, par exemple aux personnes âgées, constituent un marché potentiel énorme, mais pour qu'il se révèle, nous sommes obligés, aujourd'hui, de le subventionner massivement. Quant aux emplois-ville, si la perspective d'augmentation de la cotisation à la caisse de retraite des collectivités locales est de 3 ou 5 %, nous n'allons pas recruter pendant 2 ans, pour absorber cette augmentation.

 Dans les emplois de l'industrie automobile ou de téléphones portables, lorsque les équipementiers reçoivent des donneurs d'ordres une obligation de baisser leurs coûts de 5 % par an, que font-ils ? Ils sont obligés d'envisager la délocalisation.

 Franchement, votre manière de raisonner en moyenne générale me stupéfie. J'aimerais que de temps en temps, les universitaires viennent sur le terrain écouter.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Loin de tout esprit polémique, encore une fois, je pense que nous ne sommes pas en désaccord sur tout. Je pense que dans certains secteurs, comme vous l'avez indiqué, il y a un réel problème de coût du travail. Pour moi, ce n'est pas un problème d'ordre général, mais un problème localisé, sectoriel, et qui demande un traitement approprié si l'on veut rationaliser la dépense publique.

 Quant à votre remarque sur l'exception et la règle, je peux vous retourner l'argumentation. Est-ce que du fait qu'il y a des problèmes localisés et sectoriels de coût du travail il est scientifiquement possible et rigoureusement exact de déduire une théorie générale liant le chômage à un coût du travail excessif ? Il me semble que c'est un peu ce que vous êtes en train de faire.

 On ne peut pas ériger une théorie générale de l'emploi uniquement sur un problème de coût du travail, de problèmes constatés uniquement dans certaines entreprises et dans certains secteurs de l'économie.

 Quant à l'efficacité des politiques d'abaissement du coût du travail, elle n'est pas étrangère à l'environnement macro-économique. Allons plus loin dans ce que vous dites. Admettons qu'aux États-Unis, le coût du travail ait une influence forte sur l'emploi dans les services marchands. Elle est en, grande partie également liée au fait que l'environnement macro-économique des entreprises qui évoluent dans ce secteur est en expansion. Le fait qu'en Europe, on ait un environnement plutôt morose déprime même les entreprises à qui sont adressées les mesures d'abaissement du coût du travail : alors, le recours des aides à l'emploi est uniquement un recours comptable qui ne développe pas nécessairement l'emploi, parce que l'environnement macro-économique n'est pas le bon avec un taux de croissance bien inférieur au taux de croissance potentiel.

 M. Raymond Douyère : Je voudrais poser une question un peu à l'inverse de toutes celles qui ont été posées. J'ai bien retenu, de ce que M. Liêm Hoang Ngoc a dit, la nécessité, parfois, d'avoir une politique ciblée de baisse de coût des charges. En même temps, il en a déterminé une certaine inefficacité, tout au moins des effets d'aubaine.

 Je voudrais savoir si, dans vos études, vous avez posé l'hypothèse de la suppression totale des aides et recherché quel serait l'effet macro-économique de l'investissement par l'État à due concurrence dans l'économie ? On renverse totalement la charge de la preuve.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Cela n'a jamais été fait mais c'est une idée intéressante que nous devrions explorer.

 M. Jérôme Cahuzac : Nous avons tous compris le socle de votre argumentation : l'abaissement du coût du travail dans certaines entreprises ou filières est quelque chose à explorer, tout le problème étant de savoir comment. Si vous avez raison, peut-on raisonner a contrario ?

 Depuis quelques années, l'abaissement du coût du travail existe jusqu'à 1,33, puis 1,3 fois le SMIC. Avez-vous pu constater que ce phénomène de trappe à bas salaires n'existe que dans les entreprises pour lesquelles l'abaissement du coût du travail permettrait précisément d'embaucher ? Ou, à l'inverse, n'existe-t-il que dans les entreprises pour lesquelles cet abaissement du coût du travail n'aurait, en termes d'emploi, qu'un effet marginal ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Il est trop tôt pour évaluer l'efficacité de la ristourne dégressive. Je ne connais pas d'étude qui l'ait fait.

 Le risque qui peut être souligné est que se constitue une trappe à bas salaires non seulement dans les entreprises utilisant de l'emploi non qualifié mais aussi dans les autres entreprises. Le choix est le suivant : est-ce que l'on encourage la substitution du travail qualifié par du travail non qualifié ou est-ce que l'on développe le travail qualifié ?

 M. Didier Migaud, rapporteur général : Ce sont des questions à la frontière de la première et de la seconde partie. A vous entendre, depuis quelques années, en fait, on se « plante » complètement dans la politique en faveur de l'emploi. Vous nous expliquez qu'il peut y avoir un problème de coût du travail, mais dans des secteurs bien définis. On pourrait donc en tirer la conclusion que les mesures ciblées sont les plus pertinentes. Or, vous avez fait le constat que les mesures ciblées, en proportion, ont baissé et que, ces dernières années, on a plutôt privilégié les mesures d'ordre général qui, pour vous, ne sont pas pertinentes, compte tenu du fait qu'elles ne répondent pas suffisamment au problème du coût du travail dans les secteurs difficiles et qu'elles bénéficient à des entreprises alors même qu'elles n'en ont pas besoin.

 Cela voudrait dire qu'il faut aller à l'inverse de ce qu'on a fait. Mais, à ce moment-là, on est confronté à un problème de réglementation européenne qui, justement, impose de recourir à des mesures d'ordre général et non pas ciblées.

 M. Pierre Méhaignerie : Sauf paritaires.

 M. Didier Migaud, rapporteur général : Quelles seraient les propositions que vous formuleriez afin de dépasser ce problème ?

 Si, globalement, le problème ne vient pas du coût du travail, pensez-vous qu'il peut tenir à l'assiette et qu'un changement d'assiette pourrait fournir une réponse partielle ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Vous avez assez bien synthétisé ma pensée, à une exception près : selon moi, les mesures ciblées sont nécessaires et les mesures d'ordre général peuvent avoir une efficacité et relever d'un choix de société important.

 Parmi les mesures d'ordre général, par exemple, se sont développées des mesures visant à la réduction de la durée collective du travail. C'est une nouvelle piste qui vient d'être explorée depuis la loi Robien ; les politiques correspondantes visent à développer l'emploi à durée indéterminée et à temps plein pour tous les salariés. Sa logique est un peu différente d'une logique de temps partiel puisqu'on continue de viser l'insertion des actifs par l'emploi à temps plein et à durée indéterminée. C'est une mesure générale qui a un impact fort en termes de choix de société et qui mérite d'être explorée. Nous aurons peut-être l'occasion de parler de l'évaluation des lois Robien et Aubry, dont les conclusions sont prudentes mais pas si négatives que cela.

 Il est vrai que les aides sectorielles dont vous avez parlé sont désormais interdites à l'échelle européenne, mais le phénomène des effets d'aubaine n'était pas absent de ces aides elles-mêmes. Dans un même secteur, des entreprises peuvent suivre des logiques complètement différentes. Ce n'est pas parce qu'une entreprise a un choix technique et un type de marché donné qu'elle va gérer sa main-d'oeuvre comme l'entreprise voisine du même secteur. Quand on met les pieds dans les entreprises, on se rend compte que dans un même secteur, il y a des logiques complètement hétérogènes.

 Au passage, je fais peut-être partie des économistes qui ont le plus le souci du terrain par rapport à ceux qui tirent des conclusions sur les effets du salaire minimum en considérant une demande de travail agrégé, et qui ne mettent pas les pieds dans les monographies d'entreprises. C'est une parenthèse que je pensais importante à faire par rapport à une remarque qui m'a été faite tout à l'heure.

 Si, dans ces aides sectorielles elles-mêmes, les effets d'aubaine ne sont pas nécessairement absents, il faut inventer autre chose.

 Quelles propositions peut-on faire pour discriminer les aides en fonction des politiques de l'emploi des entreprises et de leur situation financière ? Dans le rapport, nous mentionnons essentiellement trois possibilités qui sont évoquées par ailleurs dans le rapport Chadelat.

 La première possibilité est d'étendre l'assiette de financement de la protection sociale à la valeur ajoutée, ce qui aurait pour effet d'inclure l'ensemble des revenus d'exploitation des entreprises dans le financement de la protection sociale.

 La deuxième possibilité serait d'élargir l'assiette de financement à l'excédent brut d'exploitation, qui est un dérivé de la valeur ajoutée. C'est inclure directement les profits d'exploitation dans le financement de la sécurité sociale. Les entreprises ayant un profit important et des taux de marge confortables financeraient la protection sociale plus que les autres.

 La troisième possibilité serait de conserver une assiette salaire, mais de moduler les cotisations, c'est-à-dire d'instaurer plusieurs taux de cotisations en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée, donc en fonction de l'emploi et des salaires versés par les entreprises, compte tenu de la réalisation de leur chiffre d'affaires.

 Ces trois propositions traduisent le souci de modifier un peu la charge du financement de la protection sociale en faisant contribuer beaucoup plus les entreprises dont la situation financière est confortable et dont la politique de l'emploi ne privilégie pas le développement de l'emploi. Au contraire, l'objectif est de stimuler les entreprises en difficulté financière et qui choisissent de négocier sur l'emploi ou de développer l'emploi.

 Ce principe serait intéressant puisque l'aide ainsi calculée s'adresserait, certes, à tous les secteurs, mais discriminerait beaucoup plus les entreprises que les secteurs, et on aurait un ciblage assez fin des endroits où il faut prélever pour financer la protection sociale.

 M. Gérard Bapt, rapporteur spécial : Une réflexion sur le problème de la prudence. M. Jégou disait tout à l'heure que les économistes étaient comme les députés face à l'emploi : prudents. Nous sommes prudents, sauf lorsque nous sommes en campagne électorale et que nous avons un gadget qui va permettre de régler le problème de l'emploi : l'activation des dépenses passives du chômage, le CIE, la RTT, etc.

 Lorsque nous mettons en pratique, effectivement, nous sommes amenés à plus de prudence.

 Clairement, la conclusion que l'on peut avoir de l'expérience du CIE est que dans 80 % des cas, l'entreprise n'a pas embauché parce qu'il y avait le CIE, mais qu'elle a embauché au moyen du CIE parce qu'elle avait besoin d'embaucher en raison d'une demande. C'est une notion de base qui éclaire un peu le débat.

 Par ailleurs, qu'il s'agisse des aides ciblées, dont nous savons qu'elles sont surtout utilisées par les grandes entreprises qui ont le plus de moyens - nous parlerons peut-être de la complexité pour les entreprises, notamment PME-PMI, de l'accès à certaines aides à l'embauche - ou des mesures générales qui entraînent des effets d'aubaine puisqu'elles profitent à la fois aux entreprises qui en ont vraiment besoin et aux autres, le SMIC pose actuellement un vrai problème puisque nous avons plus de salariés au SMIC que dans d'autres pays. L'augmentation du SMIC de 11,5 % entraînée par la réduction du temps de travail va avoir tendance à aggraver ce nombre ainsi que le phénomène de trappe à bas salaires.

 Il serait important, à ce moment de notre débat, que M. Liêm Hoang Ngoc nous parle de la façon dont il a fait fonctionner le modèle économétrique pour tester la réforme, qu'il suggère, de la structure du prélèvement social sur l'entreprise.

 Déjà, M. Malinvaud avait suggéré de modifier cette structure en modulant le taux de cotisation en fonction du niveau de salaire. Il se trouve qu'un certain nombre d'effets négatifs ont été mis en exergue par rapport à cette proposition, mais la piste de base est la réforme de la structure.

 Il serait intéressant que M. Liêm Hoang Ngoc nous présente le modèle Malinvaud, modèle économétrique classique, et la façon dont sur les trois pistes, et notamment les deux principales - le transfert sur tout ou partie des cotisations sociales patronales de la base salariale vers la valeur ajoutée ou la modulation du taux de cotisation de ce prélèvement social par un ratio tenant compte de la valeur ajoutée - le fonctionnement de ce modèle peut faire apparaître un effet positif pour l'emploi qui permettrait de discriminer les entreprises dont la masse salariale est importante de celles qui distribuent beaucoup de profit.

 Pour le grand public, il est incompréhensible qu'un PDG annonce qu'il va supprimer 2.000 emplois dans telle ou telle région en promettant à ses actionnaires, l'an prochain, une augmentation significative du retour en dividendes.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Chers collègues, je vous rappelle que nous procédons à une audition. Je demande à chacun de vous de ne pas faire état de ses réflexions personnelles - vous aurez l'occasion de les exposer dans d'autres enceintes - mais de poser des questions précises sur les travaux qui ont été faits. Nous avons aujourd'hui l'auteur d'un rapport ; il faut essayer de retirer le plus d'intérêt possible de sa venue. Je vous demande de poser des questions précises qui appellent des réponses précises.

 Si j'ai bien compris, on vous demande de nous exposer comment vous avez utilisé le modèle Malinvaud pour aller plus loin et pour faire des comparaisons sur les transferts de cotisations sociales sur la valeur ajoutée, sur l'excédent brut d'exploitation ou sur un jumelage des deux. Dites-nous comment vous avez procédé et quels sont les premiers résultats.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Notre démarche a été de reprendre strictement la structure du modèle Malinvaud pour éviter toute polémique sur les jeux de langage différents qu'on aurait utilisés et les conclusions qui seraient contenues dans les hypothèses. En reprenant les hypothèses de départ du modèle Malinvaud, nous avons été surpris de constater que ce modèle avait été écrit à la hâte et qu'il n'avait pas été achevé.

 Dans un modèle macro-économique, vous tenez compte de l'ensemble des effets possibles d'une mesure, d'un côté, sur l'offre, de l'autre côté, sur la demande. Sur l'offre, il s'agit du coût des facteurs de production : coût du capital, coût du travail. De l'autre côté, le financement d'une mesure oblige à prélever sur une certaine catégorie de la population, et a donc un effet sur la consommation, l'investissement, sur la dépense en général de l'économie, donc sur la demande.

 Quand vous écrivez un modèle, vous êtes obligé de prendre en compte l'ensemble de ces effets, sinon vous parvenez à des conclusions partielles. Or, le modèle Malinvaud ne prend en compte que les effets d'offre, à travers une baisse du coût relatif, en omettant d'évaluer l'impact de la mesure sur la demande et sur les catégories d'agents économiques sur lesquelles on allait prélever le financement de cette mesure.

 Nous avons eu le souci d'être complets en incluant à la fois les effets d'offre et les effets de demande.

 Dans le débat public, quatre propositions de réforme sont actuellement avancées. Je vais énoncer globalement les mécanismes et les conclusions auxquelles les simulations conduisent à propos de chacun d'eux.

 La première proposition de réforme est celle du rapport Malinvaud. C'est celle d'une baisse classique des cotisations sociales patronales.

 Dans son modèle, M. Malinvaud n'explore pas la baisse des cotisations sur les bas salaires. Il prend uniquement une catégorie de travail et il explore une baisse générale du coût salarial via les cotisations patronales. C'est seulement le travail qu'il prend en compte.

 La simulation montre que la mesure d'abaissement du coût du travail ne peut être efficace que sous deux conditions.

 La première est que les dépenses sociales n'augmentent pas. Dans l'hypothèse indiquée, c'est que les dépenses sociales baissent parce que lorsque vous financez la mesure, vous êtes obligés de prélever sur une autre catégorie de la population pour financer la protection sociale. Si vous ne voulez pas déprimer la demande face au prélèvement, vous êtes obligé de réduire les dépenses sociales pour ne pas avoir à prélever ce supplément sur l'autre partie de la population. La mesure ne peut donc fonctionner que si les dépenses sociales baissent.

 La deuxième condition du fonctionnement de la mesure est que les salaires augmentent pour compenser le déficit de demande dû à la baisse des dépenses sociales. Dans un modèle bouclé, les salaires sont amenés à monter.

 Il y a donc deux conditions pour que le scénario Malinvaud fonctionne : diminution des prestations sociales pour ne pas avoir à financer la mesure par un prélèvement sur une autre catégorie d'agents économiques, et augmentation des salaires dans l'ensemble de l'économie pour maintenir le niveau de la demande globale.

 Ce sont des conditions très restrictives.

 Le deuxième scénario est celui de la valeur ajoutée.

 Les réflexions autour de la proposition d'asseoir le financement de la protection sociale sur la valeur ajoutée tiennent compte de trois limites des politiques traditionnelles d'abaissement du coût du travail que reprennent les propositions Malinvaud. Ces trois limites sont les suivantes.

 Premièrement, le modèle Malinvaud ne peut fonctionner que si l'élasticité emploi-salaire est forte, ce qui est peu avéré en France, comme on l'a vu, s'il existe une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.

 La deuxième critique vis-à-vis du scénario Malinvaud est que les effets d'aubaine sont inévitables, si l'on considère que le tissu des entreprises est « pluriel ».

 Enfin, le troisième reproche fait au scénario classique est qu'il entretient une trappe à bas salaires et qu'il débouche sur un choix de société où la structure de l'emploi est une structure d'emplois non qualifiés.

 Pour ceux qui préconisent une assiette de type valeur ajoutée, les arguments sont à la fois économiques et sociaux.

 Commençons par les arguments économiques. Le premier argument est que l'assiette valeur ajoutée évolue au même rythme que la croissance du PIB, alors que l'assiette salaire a baissé depuis 10 ans. Pour le financement de la sécurité sociale, on a une assiette beaucoup plus stable.

 Le deuxième argument en faveur d'une assiette valeur ajoutée est que le financement par cette assiette ne modifie pas la charge globale qui pèse sur les entreprises mais en modifie la répartition.

 Le troisième avantage est que la contribution sur la valeur ajoutée éviterait le gaspillage des deniers publics lié aux effets d'aubaine inhérents aux exonérations classiques de charges sociales.

 Enfin, la contribution valeur ajoutée évite le problème de la trappe à bas salaires puisqu'il n'y a pas d'effet de seuil, alors que dans un cas d'exonération classique sur les bas salaires, vous êtes obligé de fixer un seuil susceptible de créer des trappes à bas salaires.

 Quant aux effets de la mesure, la simulation fait apparaître un transfert partiel du financement de la sécurité sociale vers la valeur ajoutée. Autrement dit, concrètement, il s'agit d'une baisse à court terme des charges sociales, financée par une nouvelle contribution sur la valeur ajoutée. Pour compenser le déficit de ressources, on va créer une contribution sur la valeur ajoutée. Les effets sur l'emploi sont positifs, à dépenses sociales maintenues. Lorsque vous transférez le financement de la sécurité sociale sur la valeur ajoutée, l'effet à court terme est une baisse du coût relatif du travail. A long terme, ce financement ne pèse pas sur la demande, même si l'on maintient les dépenses sociales, puisque le prélèvement ne se fait pas sur les ménages qui consomment, mais sur les entreprises qui font du profit. Dans le modèle, l'investissement dépend du coût relatif des facteurs et de la demande globale.

 On a repris exactement la même structure de modèle. Comme le prélèvement ne pèserait pas ici sur les ménages mais sur la valeur ajoutée, il pèserait à égalité sur le capital et sur le travail, sans effet dépressif sur la demande. La dépense sociale peut donc être maintenue et la demande globale continue à soutenir la croissance économique. L'effet favorable à l'emploi que l'on observe est dû, à court terme, à un effet coût et, à long terme, à une neutralité du prélèvement sur le capital et sur le travail, puisque le capital et le travail contribueraient à égalité au financement de la sécurité sociale.

 C'est l'argumentation économique. Il faut ajouter l'argumentation sociale, c'est-à-dire le choix de société intervenant dans cette prise de décision.

 Les partisans du transfert vers la valeur ajoutée invoquent deux types d'arguments relevant du choix de société.

 Le premier est que certaines dépenses sociales revêtent aujourd'hui un caractère universel, les dépenses maladie, par exemple. Il est dans ce sens logique d'étendre la sphère du financement de la sécurité sociale à d'autres catégories que les seuls salaires. Le RDS, la CSG avaient déjà étendu l'assiette de financement de la sécurité sociale. La valeur ajoutée, pour le moment, n'est pas incluse dans cette assiette. C'est un argument en faveur d'une couverture universelle.

 Le deuxième argument relève également du choix de société mais il n'a pas forcément à voir avec l'assurance universelle. Si l'on considère que tous les revenus d'exploitation, dans l'entreprise, doivent participer au financement de la sécurité sociale, il est logique que les profits, qui sont un dérivé de la valeur ajoutée, soient inclus dans le financement de la sécurité sociale.

 Voilà les arguments économiques et sociaux qui militent en faveur de la contribution valeur ajoutée.

 Deux autres scénarios ont été testés. Dans le troisième, on transfère le financement de la protection sociale vers une assiette excédent brut d'exploitation. Dans ce cas, on retrouve les mécanismes à l'oeuvre dans le scénario valeur ajoutée, à ceci près que l'on taxe beaucoup plus le capital. Le coût relatif du capital est augmenté. L'effet sur l'emploi est plus important, car si le coût relatif du capital augmente, cela veut dire que le coût relatif du travail baisse. L'inconvénient est que, si le coût relatif du capital augmente, comme l'investissement dépend du coût relatif des facteurs et de la demande, on a un effet dépressif sur l'investissement.

 Enfin, le dernier scénario, privilégié par M. Chadelat, est celui d'une modulation des cotisations, toujours assises sur les salaires, en fonction d'un critère économique qui serait la part des salaires dans la valeur ajoutée, c'est-à-dire le ratio masse salariale/valeur ajoutée. La modulation serait donc verticale, compte tenu d'un critère évalué à partir de la moyenne nationale de la part des salaires dans la valeur ajoutée : elle jouerait au-dessus d'un certain seuil et en dessous d'un certain seuil, de sorte que les entreprises ayant une forte part des salaires dans la valeur ajoutée, donc qui ont développé l'emploi, payent moins de cotisations sociales, alors que les entreprises qui auraient une part plus importante de profit dans la valeur ajoutée paieraient plus de cotisations sociales.

Dans le cas de la modulation, le scénario simulé est sensiblement le même que le scénario Malinvaud. Il correspond à une baisse générale de charges sociales assises sur les bas salaires, à la différence près qu'on module ces taux de cotisation. Il y aurait deux ou plusieurs taux de cotisation au lieu d'un seul. Cela suppose que les dépenses sociales diminuent et que les salaires augmentent.

 A titre d'argumentation sociale, un certain nombre de partisans de cette assiette considèrent qu'elle peut être acceptable par ceux qui rejettent l'extension du financement de la protection sociale à la valeur ajoutée comme étant une fiscalisation.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Sur le scénario contribution valeur ajoutée, vous dites qu'il n'y a pas d'effet d'aubaine. Comment se fait-il qu'il n'y ait pas d'effet d'aubaine ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Parce qu'on va faire financer les entreprises en fonction de leur résultat comptable, à la différence des baisses classiques de charges où l'on ne tient pas compte de la situation financière des entreprises.

 M. Gilles Carrez : Je voudrais poser une question précise. Si j'ai bien compris, dans deux scénarios, le scénario Malinvaud où l'on procède à une baisse du coût du travail par le biais de la baisse des cotisations sociales, ou dans le scénario où l'on substitue tout ou partie de l'assiette salaire, deux conditions doivent être remplies pour que cela fonctionne en termes de création d'emplois : la première est que la dépense sociale baisse, et la deuxième est que les salaires augmentent.

 Avez-vous testé des modèles économétriques sur l'influence sur l'emploi en prenant comme hypothèse de départ une baisse de la dépense sociale et, plus généralement, une baisse de la dépense publique ? Avez-vous des modèles qui prouvent que la baisse de la dépense sociale, de la dépense publique, et corrélativement, l'augmentation du salaire disponible, conduisent à des augmentations d'emplois ? Ce type d'analyse peut être très intéressant pour notre réflexion.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Tout à fait. Le premier modèle met en scène ce scénario où cela marche si on baisse les dépenses.

 On est renvoyé à un choix de société. A mon sens, le débat n'est pas technique. Sur le terrain technique, on peut trouver les conditions pour que chaque scénario ait une efficacité en termes d'emploi. Le problème est celui du choix de société sur les catégories de revenus qui financent la protection sociale.

 Des simulations faites à l'OFCE et qui reprennent à peu près les mêmes hypothèses, considérant que la baisse de la dépense sociale étant impopulaire, ont testé le scénario symétrique qui est le financement de la mesure non pas par un prélèvement sur les autres catégories de la population ou en abaissement des dépenses sociales, mais par le déficit budgétaire. Les effets sur l'emploi seraient importants.

 M. Jérôme Cahuzac : Pour compléter la question de notre collègue M. Carrez, quand vous parlez de la baisse des dépenses sociales, parlez-vous de leur baisse en valeur absolue ou seulement de la baisse de leur croissance ?

 S'il s'agit de diminuer la croissance des dépenses sociales, c'est un sujet qui peut être abordé sans trop de passion. Qui ne serait pas d'accord ? S'il s'agit de la baisse en valeur absolue des dépenses sociales, le problème est différent.

 Ma deuxième question concerne la part des salaires dans la valeur ajoutée. Vous dites que les salaires ont perdu dix points dans la valeur ajoutée. C'est exact, mais si on veut être précis, on doit dire que la période de baisse part à partir de 1985. Si l'on prend des périodes plus longues pour notre pays ou des périodes comparables pour d'autres pays, on s'aperçoit d'une remarquable stabilité des salaires dans la valeur ajoutée. Confirmez-vous ce fait et en déduisez-vous un argument supplémentaire pour un transfert partiel d'assiette vers la valeur ajoutée ?

 Ma troisième question concerne l'investissement. C'est un des contre-arguments classiques opposés à la proposition éventuelle d'un transfert partiel vers la valeur ajoutée. Jusqu'à quel transfert, selon vous, peut-on aller, sans déprimer l'investissement ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Sur votre première question, il s'agit d'une baisse en valeur absolue. Nous avons testé les deux. Dans le cas de la baisse relative, comme dans le cas de la baisse en valeur absolue, cela marche.

 La part des salaires dans la valeur ajoutée est un argument classique. Sur le long terme, la part des salaires dans la valeur ajoutée, au fil des siècles, a été stable, mais n'oublions pas que le long terme est fait d'une succession de courts termes. Si l'on prend l'évolution de la part des salaires dans la valeur ajoutée de ces dix dernières années et qu'on la met en parallèle avec l'évolution des grandeurs macro-économiques telles que la croissance, on peut s'interroger sur le fait que cette évolution de courts termes puisse avoir un impact de plus long terme sur les régimes de croissance des pays européens.

 Si l'on maintient une telle part des salaires dans la valeur ajoutée basse, sur une durée moyenne assez longue, on peut avoir des impacts importants et négatifs sur la consommation et sur la croissance et, au bout du compte, la croissance potentielle va se réduire et exercer elle-même ses répercussions en terme de répartition des revenus.

 L'évolution que l'on a depuis 10 ans va peut-être infléchir les choses dans le siècle qui vient si l'on considère le long terme.

 Toujours est-il qu'en ce qui concerne la part des salaires dans la valeur ajoutée, il est clair qu'une assiette valeur ajoutée est au moins aussi stable que l'assiette salaire sur le long terme et qu'on n'aura pas de surprise si l'on prélève sur la valeur ajoutée en ce qui concerne les variations potentielles des ressources disponibles pour financer la sécurité sociale.

 Enfin, sur l'investissement, il n'y a évidemment pas grand-chose dans les modèles, puisque, traditionnellement, l'investissement y dépend de deux variables qui sont le coût relatif capital/travail et la demande globale. On n'inclut pas le profit en tant que tel comme déterminant de l'investissement. C'est essentiellement un effet sur le coût du capital qui est susceptible d'exercer un effet dépressif sur l'investissement.

 Les propositions Chadelat considèrent que le problème se trouve uniquement posé pour l'assiette EBE. Pour l'assiette valeur ajoutée, le taux de contribution pèse à égalité sur les salaires et sur le capital et fait que le coût relatif du capital n'est pas augmenté sur le long terme. Il n'y a donc pas d'effet dépressif sur l'investissement à long terme puisque la charge globale de financement qui pèse sur les entreprises n'est pas accrue. C'est simplement la répartition de cette charge qui est modifiée. Comme le prélèvement sur le long terme se fait à égalité sur le travail et le capital, le capital ne subit pas d'effet dépressif. Ce n'est que dans le cas de l'assiette EBE que le coût du capital est alourdi.

 Une étude de Sterdyniak et Villa a conclu que si l'on voulait, sur la base d'une assiette excédent brut d'exploitation, fixer le taux de contribution à 9,2 %, comme pour la contribution sur la valeur ajoutée, il faudrait réduire les cotisations patronales sur les salaires jusqu'à 11,1.

 Pour la valeur ajoutée, la proposition de Chadelat était un taux de contribution à 9,1 %.

 M. Pierre Méhaignerie : Quel scénario privilégiez-vous puisque nous sommes face à la nécessité d'augmenter le SMIC de 11,4 % au cours de l'année 2000 ?

 Nous sommes dans un environnement européen. Est-il possible, compte tenu des risques sur l'investissement, de prendre cette décision sans accompagnement psychologique vis-à-vis des entreprises à haut niveau d'investissement et de valeur ajoutée ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Dans le cas de l'assiette valeur ajoutée, encore une fois, le problème ne se trouve pas posé, puisque sur le long terme, la structure des coûts de production est inchangée.

Partons du scénario valeur ajoutée qui est la matrice centrale de la réflexion. Dans ce cas, à court terme, la compensation est une baisse des charges, une baisse du coût relatif du travail.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Ce qui prouve leur bien-fondé.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Dans le scénario que l'on a testé, on a repris la structure du modèle Malinvaud, où l'on a une fonction de production à facteurs substituables. Nécessairement, quand vous baissez le coût relatif du travail, cela marche. En prenant ce scénario, on ne peut qu'aboutir à cette conclusion.

 Mais l'effet d'un transfert sur la valeur ajoutée est mécaniquement une baisse des charges. Vous baissez les charges et vous transférez sur la valeur ajoutée. Il y a donc une compensation importante pour les entreprises.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Si on le fait, c'est que l'on y croit.

 M. Liêm Hoang Ngoc : L'effet valeur ajoutée, autre assiette, est également présent.

 Dans ce modèle, le problème se trouve beaucoup moins posé que dans le scénario 3, scénario excédent brut d'exploitation, où il y a effectivement un risque d'alourdissement du coût du capital et un problème d'investissement que j'ai souligné.

 Dans le scénario 2, le problème est atténué. Dans le 3, il est présent. Dans le 4, on retrouve le scénario Malinvaud.

 Quel scénario privilégier ? Encore une fois, je pense que ce n'est pas du ressort de l'expert. Chaque scénario a ses conditions d'efficacité économique, sous certaines conditions. Des éléments peuvent militer en faveur de chacun des scénarios. La conclusion du rapport consiste à dire que le choix de société sera sans doute celui qui primera puisqu'il s'agira de faire contribuer certaines catégories de revenus plutôt que d'autres au financement de la protection sociale.

 En termes d'efficacité pure de la dépense pour l'emploi, si l'on veut éviter les effets d'aubaine et les effets pervers des exonérations classiques de charges, je pense que les scénarios 2, 3, et 4, méritent d'être pris en considération. Si l'on a peur de taxer les entreprises hautement capitalistiques et qui investissent fortement en capital, le scénario 2 me paraît économiquement le plus efficace.

 M. Jean-Jacques Jégou : Je n'ai pas le sentiment que vous ayez répondu à M. Méhaignerie sur le fait d'absorber l'augmentation du coût des 35 heures dans ce domaine. C'est de cela dont il s'agit sur le besoin de financement.

 Pour l'application des différentes propositions de changement d'assiette des cotisations sociales, nous ne sommes pas capables de connaître la valeur ajoutée de certaines branches : secteur associatif, secteur public, entreprises publiques. On pénalisera donc l'entreprise individuelle ainsi que les entreprises capitalistiques.

 Votre proposition a des défauts. Ce prélèvement deviendrait une imposition de toute nature, au sens de l'ordonnance organique sur les lois de finances, relevant de la compétence de l'article 34 de la Constitution. Il porterait atteinte au principe de la gestion paritaire des cotisations sociales, et entraînerait une lourdeur supplémentaire de notre gestion.

 L'assiette de la valeur ajoutée, on l'a dit, est plus liée à la conjoncture. Vous avez dit vous-même qu'il n'y avait pas d'effet d'aubaine pour les entreprises non cotées qui n'ont pas le souci de distribution. Au moment de l'augmentation de l'imposition des sociétés, une présentation des résultats pourrait conduire à diminuer les résultats sur la valeur ajoutée.

 N'y a-t-il pas une crainte, finalement, que ce transfert conduise à une baisse des recettes qui ne soit pas seulement conjoncturelle, mais aussi stratégique pour un certain nombre d'entreprises ?

 Après le cri du coeur de Jacques Barrot tout à l'heure, je remarque que ce que vous avez contesté tout à l'heure, vous le reconnaissez finalement dans votre proposition.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Je pense que nous sommes au coeur du débat.

 Précisément, la mise en oeuvre d'une telle assiette à l'occasion du passage aux 35 heures serait un signal particulièrement stimulant pour les entreprises qui ont ou qui vont négocier sur l'emploi parce qu'elle va encourager les entreprises qui sont dans une logique d'accord offensif pour un coût budgétaire bien moindre que celui des aides habituelles : le coût est quasiment nul, si vous changez l'assiette des cotisations patronales ou si vos modulez les cotisations.

 M. Jean-Jacques Jégou : Vous venez de dire que c'est dans la stratégie offensive pour les 35 heures ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Oui, dans le cadre du passage aux 35 heures. Si j'ai bien compris, une deuxième loi va fixer le cadre du passage définitif aux 35 heures. Le contenu de cette loi mérite ensuite discussion.

 La mesure la plus efficace pour stimuler la négociation offensive sur l'emploi à moindre coût est d'alléger les charges des entreprises qui négocient sur l'emploi. La meilleure façon de le faire est de changer d'assiette, selon les propositions évoquées.

 La seule solution en ce qui concerne le SMIC est d'augmenter le SMIC horaire de 11,4 %. C'est la seule solution possible parce que, dans la plupart des accords que nous avons recensés, il y a compensation salariale. Autrement dit, le salaire horaire augmente dans les accords d'entreprises signés.

 Si l'aménagement de la réduction du temps de travail se fait correctement, avec une négociation permettant d'allonger la durée d'utilisation des équipements, de maintenir la compensation salariale, de réduire substantiellement la durée du travail, il y a moyen de maintenir une compensation salariale qui se matérialiserait, à l'échelle macro-économique, par un salaire minimum horaire plus important. Il présenterait l'avantage particulier d'éviter l'écueil du double SMIC, conduisant à payer des travailleurs aux mêmes qualifications à deux taux de salaires différents. Il y a un problème d'équité majeur. Vous allez avoir des problèmes sociaux, si vous faites cela.

 Faute d'une telle mesure, vous n'allez pas pouvoir encourager, comme cela est proposé, le temps partiel choisi. Le temps partiel, en France, est essentiellement du temps partiel long et contraint. Si le temps partiel est rémunéré à un taux horaire inférieur au taux du temps plein à 35 heures, il n'y a pas beaucoup de salariés qui vont choisir le temps partiel.

 On n'aura alors pas stimulé le temps partiel choisi, alors que l'objectif est de limiter le temps contraint et d'encourager le temps choisi. Au contraire, on encouragera le temps partiel contraint puisque les entreprises auront intérêt, dans bien des cas, à du temps partiel contraint long, aux alentours de 25-30 heures.

 S'il n'y a pas de problème de coût du travail global, je ne pense pas que l'augmentation du SMIC soit un réel obstacle à l'emploi, dans le cadre du passage aux 35 heures, si se mettent en place les accords offensifs dans la majorité des entreprises.

 Sur l'assiette valeur ajoutée, la définition d'une assiette de prélèvement, comme la définition de toute norme en économie, est en grande partie conventionnelle. Dans bien des cas, les nomenclaturistes se sont évertués à donner un nom et à circonscrire des choses qui étaient dans le flou. C'est précisément la norme qui construit ensuite l'essence des choses et qui fait que quelque chose qui n'existait pas devient réel.

 On peut donc très bien trouver une définition de la valeur ajoutée et faire en sorte que cette norme s'applique à toutes les entreprises. D'ailleurs, M. Chadelat en propose une, complètement réelle, contenue dans l'article 1647 B du Code général des impôts : la valeur ajoutée est l'excédent hors taxes de la production sur les consommations de bien et services en provenance de tiers. C'est parfaitement identifiable.

 M. Pierre Méhaignerie : Pas pour la fonction publique.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Il y a une réflexion à avoir. Pour le moment, le débat sur la valeur ajoutée porte essentiellement sur les entreprises privées, mais on peut essayer de trouver une norme qui s'appliquerait...

 M. Raymond Douyère : Sur les acteurs privés aussi.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Dans les propositions que j'ai vues, une part de l'assiette de financement resterait assise sur les salaires. Il n'y a aucun inconvénient à ce que le système continue à être financé de la sorte pour la fonction publique.

 La gestion paritaire est une question importante à laquelle j'ai consacré quelques lignes, pensant qu'elle allait faire débat dans le mouvement social. L'argument en sa faveur est généralement attaché à au refus de l'extension de l'assiette des cotisations à d'autres catégories de revenus que les salaires pour financer la protection sociale. Sous le titre Puissances du salariat, Bernard Friot vient d'exposer l'argumentation la plus claire et la plus poussée en ce sens.

 Selon cette argumentation, la sécurité sociale doit être gérée paritairement parce que les prestations sociales sont du salaire indirect conquis par les travailleurs et sont le fruit d'une lutte sur le partage du revenu dans l'entreprise, dont les travailleurs doivent avoir la maîtrise et qui est matérialisé par ce salaire indirect. Toute tentative d'étendre l'assiette serait vécue comme une tentative de détruire cette position du salariat dans le contrôle du partage des revenus.

 Telle est la position développée dans cet ouvrage. La fiscalisation est perçue comme une solution libérale où l'on inciterait progressivement les citoyens, et non pas les salariés, à recourir à l'assurance privée à côté de la couverture universelle que consisterait la dépense fiscalisée. L'ensemble fiscalisation, épargne, fonds de pension se mettrait en oeuvre. C'est une argumentation cohérente. Elle est tout aussi cohérente que l'argumentation de ceux qui pensent que les dépenses sociales sont aujourd'hui universelles et que l'ensemble des catégories de la population doit y contribuer.

 Dans ce débat de société qui est important, les deux positions ne me paraissent pas si antinomiques que cela. Pourquoi ?

 La première position se rattache à une tradition où l'on met l'accent sur la démocratie sociale, c'est-à-dire sur le contrôle du surplus par le salarié de l'entreprise.

 La deuxième tradition, celle de la fiscalisation, est liée à l'idée d'une démocratie politique où l'impôt doit financer la solidarité. Ce sont deux traditions vertèbres de nos sociétés contemporaines, et en particulier, du projet de société français, entre lesquelles doit nécessairement intervenir un compromis. Si vous voulez rendre réelle la démocratie politique formelle, vous êtes obligé de compléter les institutions de la démocratie politique par des institutions sociales dans l'entreprise et dans la négociation politique.

 De même, pour la logique de financement de la protection sociale, un compromis est sans doute nécessaire entre une logique de solidarité issue de la tradition de la démocratie politique et la gestion paritaire de la sécurité sociale issue du nécessaire relais que constituent les acteurs sociaux dans la démocratie salariale. Cela ne me semble pas si incompatible.

 Si vous prenez l'assiette valeur ajoutée, on ne peut pas dire qu'elle concerne des revenus qui ne sont pas des revenus d'entreprise. Au contraire, la valeur ajoutée inclut le profit d'exploitation, précisément réalisé à partir de la mise en oeuvre du travail salarié dans l'entreprise. Si vous incluez la valeur ajoutée, vous incluez directement les revenus de l'exploitation de l'entreprise.

 Il me semble que cette logique n'est pas si antinomique et qu'il y a possibilité de compromis entre la logique politique, la logique sociale, et la nécessité de faire en sorte que des relais s'établissent à tous les niveaux.

 Au cas où la question de l'extension de l'assiette serait quand même trop conflictuelle, on peut toujours envisager la solution de la modulation sur la base d'une assiette salaire. Dans la simulation, les effets économiques à l'oeuvre sont ceux du scénario Malinvaud ; ils sont atténués parce que l'on a une modulation, mais le mécanisme économique serait le même. Si le choix de société est de maintenir l'assiette salaire, on peut envisager la solution 4.

 Les risques d'évasion fiscale sont présents dans tous les domaines, pas seulement dans le domaine du financement de la protection sociale. Avec l'actuelle assiette, il y a aussi de l'évasion fiscale. Le travail au noir, dans les services aux ménages, est quand même prédominant. Si vous taxiez la valeur ajoutée, ce ne sont pas les ménages qui embauchent les femmes de ménage qui paieraient le plus de charges sociales.

 En l'occurrence, on aura réglé le problème de l'évasion fiscale dans certains secteurs. On en créera peut-être d'autres, mais c'est le propre de chaque prélèvement que de subir le problème de l'évasion fiscale. Les contrôleurs des impôts sont là pour cela. J'ai discuté avec les syndicats des impôts qui sont partisans d'une telle assiette parce qu'elle est relativement contrôlable au regard de la comptabilité des entreprises.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Si l'on retient ce scénario de la valeur ajoutée, le vrai problème est de faire le dosage. On peut faire un transfert très partiel mais, à ce moment-là, on va vers une complexité accrue et je ne suis pas sûr que les résultats escomptés soient significatifs.

 On peut faire un transfert plus massif d'assiette, mais est-ce qu'il ne va pas y avoir des différences de traitement considérables par rapport à la situation actuelle ? Des secteurs à forte valeur capitalistique qui ont besoin d'investissement ne vont-ils, par une réaction de peur, freiner l'investissement ?

 M. Chadelat a buté là-dessus en disant qu'il fallait faire un transfert très progressif dans le temps.

 A votre sens, faut-il faire un transfert partiel et très progressif ou un transfert beaucoup plus massif ? Dans les deux cas de figure, il existe des inconvénients importants.

 Il vaut peut-être mieux garder un statu quo en jouant sur une baisse des cotisations et en allant chercher dans le budget quelques économies.

 La question précise, pour répondre à la recommandation du Président Bonrepaux, est de vous demander si vous avez regardé les différents scénarios transfert partiel, progressif ou beaucoup plus massif d'une assiette sur l'autre.

 M. Liêm Hoang Ngoc : En ce qui concerne l'investissement, le problème ne se situe pas aujourd'hui dans un prélèvement qui pèserait sur les profits. Les profits des entreprises fortement capitalistiques sont au-delà des records historiques. Pourtant, elles n'investissent pas.

 Comment stimuler les entreprises qui font de l'emploi ? Je vous rappelle que les taux d'épargne des entreprises capitalistiques sont extrêmement forts, les plus élevés que l'on ait connu au cours de ce siècle. Faire participer les profits au financement de la sécurité sociale ne me paraît pas être un obstacle fondamental à la consolidation de la croissance, si les autres mécanismes sont mis en oeuvre, comme je l'ai montré dans les simulations.

 Faut-il un transfert progressif ou brutal ? Dans le scénario commandé, on a testé un transfert partiel, un transfert progressif qui aurait par ailleurs l'avantage de concilier les différentes logiques sociales à l'oeuvre et permettrait de conserver un certain financement paritaire de certaines dépenses. L'idée testée est plutôt celle d'un transfert partiel, même si le débat reste ouvert par la suite sur l'opportunité, en termes de coût social, d'un transfert total.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Quel est l'ordre de grandeur envisagé, dans votre évaluation, sur le transfert partiel ? A quel niveau vous situez-vous ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Nous n'avons pas fixé d'ordre de grandeur, nous avons juste simulé l'impact de la mesure. L'ordre de grandeur que nous avions en tête est de 9,2 %. C'est celui de M. Chadelat.

 M. Jean-Jacques Jégou : Cela fait une TVA à 30 %.

 M. Liêm Hoang Ngoc : Le 9,2 a été pris en compte dans le scénario EBE. Dans ce cas, il y a transfert partiel.

 Dans le cas de la valeur ajoutée, nous n'avons pas pris en compte de chiffrage précis, mais un approfondissement de l'étude, avec des moyens et des bases de données plus importantes, nous permettrait de le faire.

 M. Marc Laffineur : Une simulation a-t-elle été faite sur les créations d'emploi dans le cas où l'on supprime toutes les aides à l'emploi et que l'on diminue les charges ?

 Par ailleurs, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il est difficilement défendable d'avoir deux SMIC différents.

 Néanmoins, un problème va se poser, là où il n'y a pas de possibilité de gain de productivité, s'il y a une augmentation de 11 %.

 M. Liêm Hoang Ngoc : La simulation dont vous parlez est sans doute celle de la baisse des dépenses. Elle fait partie du scénario Malinvaud.

 M. Marc Laffineur : En faisant la différence des emplois créés par toutes les aides à l'emploi qui ont pu exister, et les emplois qui seraient créés si l'on supprimait ces dépenses publiques ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Nous sommes dans une problématique d'évaluation. Aucun organisme n'a jamais réussi à évaluer de façon précise ce chiffrage.

 La seule chose que l'on puisse faire est de procéder par enquêtes monographiques auprès des entreprises, c'est-à-dire de leur envoyer un questionnaire leur demandant si elles auraient créé des emplois si elles n'avaient pas bénéficié d'aides. Mais nous avons des panels très réduits, dont on ne peut pas tirer de conclusion globale. C'est la raison pour laquelle aucune étude ne mesure les effets que vous mettez en évidence et qui seraient le principal objectif d'une évaluation. Pour le moment, les méthodes d'évaluation n'existent pas.

 La seule méthode est de prendre des modèles, d'évaluer une élasticité emploi-salaire, et de voir ce que serait l'effet de la mesure. L'autre possibilité est de faire des enquêtes monographiques auprès des entreprises. On est relativement dans le flou.

 Je reviens sur votre question concernant le chiffrage. Nous n'avons pas débouché sur une proposition de réforme précise parce que nous donnons des ordres de grandeur. Les chiffrages sont illisibles pour vous parce qu'ils sont dans les annexes que personne n'a réussi à lire. Nous sommes obligés de les publier par souci de crédibilité vis-à-vis du rapport Malinvaud qui va nous être opposé.

 Sur l'assiette valeur ajoutée, la baisse d'un point de cotisation et le transfert correspondant sur la valeur ajoutée accroîtraient l'emploi de 0,6 %.

M. Jérôme Cahuzac : Est-ce linéaire ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Oui. Après, il faudrait préciser la nature de la mesure que vous entendez mettre en place et procéder à des simulations sur des bases de données réelles afin de savoir combien d'emplois cela créerait. Nous ne pouvons donner là que des ordres de grandeur.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Quel prélèvement de cotisations cela entraîne-t-il sur la valeur ajoutée ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : A peu près 0,8. C'est un ordre de grandeur.

 M. Philippe Auberger, co-Président : Je me demande si, en fait, le scénario valeur ajoutée n'est pas imaginé pour atténuer les effets de la diminution du temps de travail, notamment sur l'équilibre des finances sociales.

 Je m'explique. Le rapport le dit, et nous le constatons sur le terrain, la diminution de la durée du travail, l'application de la loi sur les 35 heures, entraînent une stabilisation, en francs constants, de la masse salariale dans beaucoup d'entreprises. Comme les effets de la création d'emplois sont relativement faibles, la combinaison de ces facteurs aboutit à un tassement de l'évolution de la masse salariale par rapport à ce que l'on aurait sans loi sur les 35 heures. L'effet est très préoccupant sur la situation des finances sociales, l'équilibre de la sécurité sociale, puisqu'on n'aura pas les rentrées de cotisations correspondantes. Il faut trouver une nouvelle ressource qui permette de compenser cet effet et qui ait le moins d'effets négatifs possibles sur l'emploi. D'où cette idée d'une cotisation sur la valeur ajouter qui serait plus dynamique qu'une cotisation sur les salaires et qui, de ce fait, permettrait de compenser largement l'effet sans avoir un effet très sensible sur l'emploi.

 C'est un peu comme cela que je vois évoluer les choses, beaucoup plus que par un effet dynamique sur l'emploi du fait d'un transfert des cotisations sur la valeur ajoutée.

 Que pensez-vous de mon scénario ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Je pense qu'on peut le lire dans l'autre sens. Si vous transférez le financement sur la valeur ajoutée, vous pouvez avoir comme effet un gonflement de la part des salaires dans la valeur ajoutée par le fait que les entreprises riches en main-d'oeuvre embauchent. La part des salaires dans la valeur ajoutée va augmenter dans certaines entreprises, alors qu'elle n'a fait que baisser ces derniers temps pour plusieurs raisons.

 L'un des arguments de M. Chadelat est de dire : comme l'assiette salaire a baissé, on va prendre l'assiette valeur ajoutée. Ce n'est pas l'argument central qui a imprégné nos développements. Je suis plutôt partisan de l'augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée parce que le partage des revenus, aujourd'hui, me paraît un peu trop défavorable aux revenus qui s'orientent vers la consommation. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente.

 Quant aux effets des 35 heures, c'est la même chose. Si les accords offensifs se mettent en place, la part des salaires dans la valeur ajoutée va augmenter, surtout si une compensation salariale ou un salaire minimum horaire maintenu sont prévus.

 La préoccupation d'une telle réforme n'est pas de maintenir une part faible des salaires dans la valeur ajoutée mais, bien au contraire, de stimuler l'emploi.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Je voudrais poser deux questions.

 La première question concerne les observations faites par ceux qui sont opposés au transfert d'une part des cotisations sociales sur la valeur ajoutée en soutenant qu'il va pénaliser l'investissement. Vous avez répondu par un autre argument selon lequel à l'avenir, les salaires vont augmenter, la valeur ajoutée va se réduire, et cela n'aura pas l'effet escompté.

 Quelle est votre réponse ?

 Deuxième question. Il y a une autre proposition que celles que vous faites, celle de réduire les cotisations en les faisant supporter par les dépenses publiques. Quels sont à ce moment-là les effets ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Une précision importante. Les salaires sont inclus dans la valeur ajoutée. Si la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente, cela ne pose pas de problème puisqu'ils participent à égalité avec les profits au financement de la protection sociale. Le problème se trouverait posé par l'assiette EBE, qui repose uniquement sur les profits.

 Quant au scénario de la baisse des cotisations supportée par les dépenses publiques, c'est le scénario que nous évoquions tout à l'heure.

 Si vous baissez les cotisations, l'effet sur l'emploi dépend du type de prélèvement que vous réalisez par la suite. Si vous prélevez sur les ménages en augmentant la TVA, par exemple, l'effet n'est pas terrible. Même M. Malinvaud reconnaît que c'est la dernière chose à faire. Le prélèvement sur la TVA ne créerait pas beaucoup d'emplois. Au contraire, il pèserait sur la consommation et, dans un modèle macro-économiquement bouclé, il donne une croissance plus faible et une augmentation du chômage.

 On peut financer la mesure par l'impôt sur les sociétés, mais on est exactement dans le cas EBE et le risque est le problème de l'investissement à terme.

 La meilleure solution est sans doute de financer la mesure sur la valeur ajoutée. A défaut, il faut pratiquer le déficit budgétaire, comme le propose l'OFCE.

 M. Jean-Jacques Jégou : Nous parlions tout à l'heure des effets d'aubaine. Avez-vous pensé aux aides qui n'ont pas d'efficacité et qui sont des effets d'aubaine pour des sociétés qui savent profiter ?

 M. Liêm Hoang Ngoc : Cela fait par partie de ma préoccupation que d'identifier ces aides.

 Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur Liêm Hoang Ngoc, vous avez répondu à toutes les questions. Je vous remercie de votre contribution et des réponses que vous avez apportées.

  

sommaire_aides_a_l'emploi_

Précèdent

Suite