5.- AUDITION DE MME NICOLE PÉRY, SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUX DROITS DES FEMMES ET À LA FORMATION PROFESSIONNELLE

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 3 juin 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, Mme Nicole Péry est introduite. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses.

M. le Président : Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à cette audition en accueillant Mme Nicole Péry, qui nous parlera des problèmes de formation professionnelle.

Madame la Ministre, merci de répondre à l'invitation de la Mission d'évaluation et de contrôle, constituée au sein de la commission des Finances. Votre audition fait suite à celles d'un certain nombre de responsables d'organismes, dans le domaine de la formation professionnelle, tels que le directeur général de l'AFPA et des responsables d'OPCA.

 Aujourd'hui, nous souhaitons, à titre de conclusion, vous entendre sur un certain nombre de points sensibles, d'autant plus que nous savons que vous préparez une réforme de la formation professionnelle. Je passe la parole à notre rapporteur spécial, M. Jacques Barrot.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Madame la Ministre, j'ai préparé un questionnaire ouvert afin de vous laisser le soin de rebondir sur les quelques chapitres que j'avais identifiés, de manière à nous donner les éclairages que vous souhaitez.

 Nous avions pensé, en premier lieu, avoir quelques éléments quant aux résultats de la politique actuelle, notamment en matière de formation professionnelle initiale. Il serait intéressant de savoir où nous en sommes en matière d'apprentissage, de qualification et de congés individuels de formation. Il semblerait que pointe déjà, dans certains secteurs, un manque de main d'oeuvre qualifiée.

 En second lieu, nous souhaiterions un point sur la stratégie actuelle dont l'AFPA veut se doter. Nous avons d'ailleurs rencontré son directeur qui nous a fourni quelques indications. Certains membres de la Commission ont beaucoup insisté sur une comptabilité plus analytique de l'AFPA. C'est un aspect de ce second chapitre qui concernera le financement de la formation professionnelle.

 M. le Président : Si vous le permettez, il serait préférable de sérier les questions une à une. La première question est la suivante : quel bilan rapide peut-on faire de la formation professionnelle (apprentissage, congés individuels de formation) et quelles en sont les conclusions ?

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : En effet, c'est plus didactique.

 Mme Nicole Péry : Je tiens tout d'abord à vous remercier de cette invitation, à laquelle j'ai immédiatement répondu car je suis moi-même extrêmement intéressée de connaître vos propres conclusions. Nous travaillons tous dans le même sens et devons arriver à mettre en place un système plus efficace et plus transparent. C'est dans ce souci d'échange réciproque que je suis aujourd'hui parmi vous. Je ne dispose pas des conclusions de toutes les auditions que vous avez menées, en revanche je les lirai avec beaucoup d'intérêt lorsque vous les rendrez publiques.

 En ce qui concerne la formation professionnelle initiale, chaque fois que j'ai l'occasion de m'exprimer, j'insiste sur la nécessité de la professionnalisation des jeunes, qui sera un axe fort de la réforme. Il est évident que tous les outils existent déjà. Mon bilan est qu'il faudra les accentuer et non pas nous diriger vers d'autres formes de professionnalisation. Pour faire très synthétique, j'ai l'occasion de rappeler qu'il fut une époque - il y a quinze ou vingt ans - où l'on demandait à l'Éducation nationale d'apporter la connaissance, et à l'entreprise de former sur les outils de travail.

 Nous savons pertinemment, sans revenir sur les causes, que l'organisation du monde du travail et de l'emploi a totalement évolué. Par conséquent, aujourd'hui, il faut mixer beaucoup plus ce qui relève de la connaissance et ce qui relève directement de la formation pratique. C'est pourquoi personnellement, je soutiens et je soutiendrai tout ce qui peut relever de la professionnalisation des jeunes.

 Depuis un an, inlassablement je plaide en ce sens auprès de M. Claude Allègre. La charte de l'enseignement professionnel qu'il a fait paraître va dans ce sens. En effet, on y retrouve la place et la responsabilité de l'entreprise, dans toutes les filières de la formation professionnelle initiale, y compris au sein de nos lycées professionnels. M. Claude Allègre a choisi le mot « intégré », et non pas le mot « alternance », mais la signification reste la même, c'est-à-dire l'intégration du monde des entreprises, d'une façon plus claire, dans les dispositifs de l'Éducation nationale.

 Pour ce qui relève directement de ma responsabilité, c'est-à-dire l'alternance dans ces deux filières - contrat de qualification, contrat d'apprentissage -, ce sont deux politiques d'insertion et de qualification, voire de professionnalisation, des jeunes, qu'il faudra de plus en plus soutenir. Lors du projet de loi de finances pour 1999, nous avions eu une discussion à ce sujet, puisque nous avions supprimé les primes à la signature du contrat, s'agissant de la filière apprentissage et des contrats de qualification que l'on souhaitait traiter de la même façon, pour les jeunes bacheliers qui continuaient dans une filière supérieure.

 A ce jour, on ne note aucune régression de la signature des contrats, que ce soit d'apprentissage ou en contrats de qualification. Je n'en suis pas étonnée, étant donné que ces contrats s'adressent massivement à de jeunes sans qualification et n'ayant pas atteint le baccalauréat.

 Je vais maintenant vous donner brièvement une image des deux ou trois dernières années. Même si ce n'est pas au millier près, j'ai quand même en tête une progression continue. En 1997, nous devrions être au-dessus de 100.000 en ce qui concerne les contrats de qualification et autour de 210.000 au niveau des contrats d'apprentissage. Au bilan 1998, nous avons 215.000 contrats d'apprentissage et 115.000 contrats de qualification. Dans le budget 1999, nous avions voulu encore progresser et inscrire 230.000 contrats d'apprentissage et 130.000 contrats de qualification. On peut affirmer que, ces trois dernières années, la courbe est ascendante, ce qui correspond à un besoin réel. J'ai cette volonté de continuer à dynamiser la formation professionnelle dans ces trois filières.

 Dans votre seconde série de questions, vous m'avez parlé du manque de main d'oeuvre qualifiée, ce que j'observe moi-même au travers de mes rencontres avec les partenaires sociaux, notamment dans certaines branches professionnelles. Ces sujets sont évoqués le plus souvent dans le monde de la métallurgie et dans le bâtiment. Vraisemblablement, le regain de croissance a sa part dans ce manque actuel de main d'oeuvre qualifiée.

 D'une façon générale, on a tendance à lier le niveau quantitatif de la main d'oeuvre de certaines branches professionnelles à la conjoncture générale. Quand cette dernière s'améliore, apparaissent des déficits de main d'oeuvre. Il est certain que, très vite, il faut prendre des mesures pour attirer l'attention de tous les acteurs sur ce sujet. Si Mme Martine Aubry était à ma place, elle vous dirait que cette difficulté atteint aussi une profession comme celle de pâtissier. Elle semble avoir rencontré ce problème au niveau local et elle l'a évoqué à plusieurs reprises. Pour ma part, c'est principalement au niveau de la métallurgie et du bâtiment que ces sujets me sont le plus souvent présentés.

 Le troisième point concerne le congé individuel de formation. J'ai eu l'occasion de répondre, il y a quinze jours ou trois semaines, à une question d'un parlementaire. Au travers de cette question, j'ai pu rappeler que ce congé individuel de formation concernait aujourd'hui 25.000 personnes, et qu'il correspondait généralement à des formations longues, qualifiantes et onéreuses.

 Ma réserve vient plutôt de la dimension - 25.000 personnes - qui ne correspond pas au diagnostic des besoins.

 M. le Président : Madame la ministre, afin que l'on comprenne bien, quel est le jugement exact que vous portez sur les congés individuels de formation ? Jugez-vous que son coût actuel et son intérêt justifient le maintien d'un prélèvement obligatoire spécifique pour le financement de ces congés individuels de formation ?

 Mme Nicole Péry : Je traiterai votre question de façon plus globale et ainsi, vous aurez une réponse la plus précise possible. Un accord interprofessionnel lié à la loi quinquennale, a permis de réserver, dans les branches ayant signé des accords, une partie des sommes collectées au titre du congé individuel pour monter des actions qualifiantes dans les entreprises. C'est ce qu'on appelle le capital de temps formation. Cela n'a pas donné tous les résultats escomptés, malgré l'intérêt de ce dispositif pour la personne. En effet, les demandes de congés individuels sont très nombreuses et ne peuvent pas être toutes satisfaites. L'intérêt des CIF sur le plan qualitatif est certain. Il ne permet pas de répondre à l'ampleur des besoins. Il nous faudra trouver, grâce à la réforme, une réponse beaucoup plus massive.

 Quel jugement fais-je de ce système ? J'ai indiqué que, qualitativement, c'est une formation qualifiante qui peut présenter un grand intérêt pour la personne. Toutefois, si vous me demandez un jugement plus politique et plus global, je dirais que le qualitatif des congés individuels de formation, compte tenu des formations longues et coûteuses, ne répond pas à une exigence que nous aurons de former d'une façon beaucoup plus massive. Là se trouve le vrai problème et c'est l'un des axes de la réforme.

 J'ai attiré l'attention de tous les partenaires sociaux, avec qui j'ai repris en bilatéral une série de négociations, sur ce point. Mais tout cela passe par une vraie prise de conscience de l'enjeu. Je suis arrivée avec un regard extérieur sur ce dossier. Au-delà de sa complexité et d'une transparence encore à améliorer malgré les efforts entrepris, ce dossier m'a frappé par son décalage entre ce qu'apportait la logique de la loi 1971 - très novatrice, innovante - et ce qu'apporte aujourd'hui notre système au regard de ce qu'est la réalité du monde du travail. Il y a un décalage tel qu'il ne répond plus, à mon avis, aux exigences de l'entreprise.

C'est tout le sens que j'essaie de redonner à ce débat et au rôle de la formation professionnelle. On ne met pas assez en avant ces besoins, on ne parle pas assez de ces 40 % de la population active actuelle qui ont quitté la formation initiale avec un diplôme professionnel inférieur ou égal au CAP. Ces 40 % de la population active n'ont pas 58, 59 ou 60 ans, mais 35, 40 ou 45 ans... Bien sûr ils ont acquis, et heureusement, des connaissances et des savoir-faire au travers de leur parcours professionnel. Mais on sait pertinemment que ces savoirs, savoir-faire et savoir-être ne sont pas reconnus, validés, pris en compte dans leur futur CV, le jour où en raison de l'accroissement de la mobilité, ils se retrouvent sur un marché du travail avec un CV qui ne reprend, la plupart du temps, que le degré de leur formation initiale.

 Au vu de ces 40 % de la population active, cela signifie que, dans cinq ou sept ans, se posera un réel problème de cohésion sociale et de performance économique. Il s'agit donc de mettre en place un système qui permette la performance économique et la cohésion sociale. J'estime que c'est un vrai défi, une responsabilité à laquelle nous devons répondre. Par conséquent, ce ne sont pas 25.000 personnes qu'il nous faudrait former par an, mais 250.000. Nous n'avons pas les moyens de permettre à 250.000 personnes de prendre un congé d'un an pour suivre une formation qui parfois coûte 100.000 francs ou plus. C'est ce sujet que j'ai mis sur la table, et je fais tout pour que les partenaires sociaux, quels qu'ils soient, prennent conscience de ce défi et se saisissent de ce problème.

 Durant toute cette année, je n'ai pas vraiment eu le sentiment que cette prise de conscience était totale, dans tous les milieux avec lesquels j'ai pu échanger, y compris le milieu politique, qui tout de même est peut-être le plus en éveil sur ce sujet.

 Prenons la loi de 1983 sur l'égalité professionnelle qui dit « à travail égal, salaire égal ». C'est un outil dont les partenaires sociaux ne se sont pas saisis. Ceci explique qu'encore aujourd'hui, entre les femmes et les hommes, demeurent des inégalités de salaire d'environ 15 % pour un même poste de travail - 27 % si on prend les salaires moyens - et par rapport à l'accès à la formation professionnelle, des inégalités du simple au double. Or, la loi existe, mais les partenaires sociaux ne l'ont pas fait vivre, car en permanence, nous sommes les uns et les autres confrontés à des problèmes de conjoncture auxquels il faut faire face dans l'immédiat, sans privilégier les problèmes de moyen terme. Avec l'accentuation sévère de la courbe du chômage lors de ces années 1980-1990, la priorité des partenaires sociaux était de savoir comment y faire face.

 Ce débat de fond que je souhaite avoir, cette prise de conscience que je souhaite développer, se heurtent à la deuxième loi sur la réduction du temps de travail qui monopolise nos forces politiques, syndicales et patronales et occulte, partiellement pour l'instant, le débat sur la formation professionnelle. C'est pourquoi j'estime que la prise de conscience psychologique et l'appel à la responsabilité sont extrêmement importants si l'on veut répondre à la dimension nécessaire. Le chiffre des 250.000 salariés par an me semble vraiment le plancher que nous devrions atteindre.

 Par quels outils ? J'en arrive à votre question sur l'AFPA, à laquelle je répondrai clairement, mais en vous donnant mon sentiment...

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Juste une précision. Dans l'immédiat, le congé individuel de formation utilise l'intégralité des montants prélevés tandis que le capital temps de formation tarde un peu à monter en régime. Ne faudrait-il pas, à titre temporaire, utiliser les excédents du capital du temps de formation ?

 Mme Nicole Péry : A titre temporaire, c'est ce qui est envisagé. Il serait dommage, alors que des besoins existent, de ne pas les utiliser. Mais ceci demeurera peut-être sous une autre forme, car c'est une approche intéressante, y compris en termes de formation permanente, qui donne à chacun le droit de choisir à un moment donné de sa vie de changer de métier... Il y a une vocation que je compte intégrer dans la réforme.

 Je consulte également les partenaires sociaux pour voir comment, avec l'ensemble des dispositifs de financement obligatoire - 0,5 % de l'apprentissage, 0,9 % du plan de formation, 0,4 % de l'alternance, 0,2 % du congé individuel de formation - construire un système beaucoup plus efficace et correspondant mieux aux défis actuels. Comme vous pouvez l'imaginer, le dialogue est difficile, toutefois on avance.

 En matière d'outils, vous avez évoqué l'AFPA. Je traiterai ce sujet en indiquant que, selon les décrets d'attribution, ces services ANPE, AFPA et administration sont mis à ma disposition autant que de besoins, qui sont fréquents et importants, mais je n'ai pas la tutelle de l'ensemble de ces organismes, qui revient à Martine Aubry.

 Je peux cependant vous faire part de mon avis sur cet outil public parfois décrié, avec des interrogations parfois contradictoires. Lors de mes rencontres, certains me disent que c'est un instrument lourd, qui pourrait vraisemblablement, avec des dispositifs moins publics, être plus performant. D'autres voix disent le contraire. Comme on ne peut obtenir un contrôle qualitatif sur les organismes de formation privés, il faut donc, au contraire, essayer de dynamiser les outils publics.

 J'ai bien compris les messages, assez souvent contradictoires. J'essaie d'obtenir, et c'est ma responsabilité actuelle, un équilibre de l'offre sur ce marché de la formation car, de toute façon, que ce soit des outils publics ou des organismes privés, nous sommes en droit d'attendre une formation de qualité et qui réponde aux besoins des salariés.

 J'ai rencontré l'AFPA, ce grand outil de service public, au travers des contrats de progrès, puisque j'ai signé le deuxième contrat de progrès, d'une durée de quatre ans. Je crois à ce mode de gestion. Au-delà du statut des organismes, chaque fois que l'on peut passer des conventions, avec des exigences d'évaluation et de résultats, nous progressons et les obligeons à progresser. J'estime donc que ces contrats de progrès, passés entre l'État, l'AFPA, l'ANPE, vont dans une bonne direction. Il est certain qu'il faut accompagner la modernisation d'un tel outil, veiller à leur rappeler qu'ils ont avant tout, mais pas exclusivement, une mission de service public.

 Nous savons bien, les uns et les autres, que tout ce qui relève des publics les plus fragiles - demandeurs d'emploi, personnes sans qualifications - restera une mission de l'État. Nous devons donc rappeler à l'AFPA que cette mission est essentielle et qu'au vu du financement de 4,12 milliards de francs, l'essentiel de cette mission doit être l'accompagnement des publics les plus fragiles, sans toutefois limiter son action à ce domaine.

 L'AFPA a un rôle nécessaire sur l'ensemble des champs de la formation professionnelle, y compris au niveau de la requalification des salariés, de la validation des acquis, qui sont un autre axe fort. Je vous ai parlé de la professionnalisation des jeunes. La validation des acquis est un deuxième axe fort de la réforme qui me demande au moins autant d'énergie, de conviction et de pédagogie quand j'en discute avec les uns et les autres. Je continue à suivre cette ligne, nous avancerons sur ce thème.

 Mon souci premier est de conforter ces 40 % de salariés auxquels on ne reconnaît pas aujourd'hui, suffisamment, les profits professionnels acquis au travers de leurs expériences professionnelles et de la formation continue, à défaut de les avoir acquis lors de la formation initiale. Je souhaite vraiment conforter leur statut et que l'on reconnaisse leur niveau actuel de compétences. Ceci ne peut être fait que si l'Éducation nationale comprend et accepte d'être partenaire dans cette opération, y compris au niveau des universités.

 Avec M. Claude Allègre, nous avons un groupe de travail entre nos deux cabinets. Je rencontre moi-même le ministre sur ces sujets, très fréquemment. Il faut faire passer ce message de manière très forte. L'Éducation nationale devra s'impliquer beaucoup plus, à l'avenir, dans tout ce qui relève de la formation tout au long de la vie. Demain cette formation sera une exigence pour chacun d'entre nous. L'Éducation nationale doit donc entrer beaucoup plus massivement dans cette responsabilité, y compris les universités. Mon discours est le même au niveau de l'AFPA, c'est une discussion que j'ai eue avec son directeur. Je souhaiterai que l'ensemble des outils publics participe à cette évolution.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : J'orienterai maintenant notre dialogue sur le contrôle des organismes, notamment dans le système de formation professionnelle. En fait, il est apparu à la mission d'évaluation et de contrôle qu'il y a tout d'abord un contrôle financier, puis un contrôle de la qualité de la formation dispensée.

 S'agissant de l'adaptation des moyens des organismes chargés du contrôle, notamment le groupe national de contrôle dont nous avons reçu le chef, ce groupe national de contrôle dispose-t-il des moyens adéquats ? Nous pensons également au rôle de la cour des comptes, ici présente, qui n'avait pas reçu, dans les législations antérieures, la mission de surveiller ces organismes. Comment mettre plus de transparence dans les systèmes de mutualisation ? Comment éviter que ces systèmes de mutualisation n'accumulent des réserves ?

 Nous avons été amenés à entendre des responsables de fonds de mutualisation. Il y a eu, ces dernières années, des prélèvements budgétaires directs pour tenter d'utiliser cet argent stocké sans doute en quantité excessive. De manière générale, nous nous sommes interrogés sur le fait de savoir s'il ne faudra pas, un jour, aborder également le problème du financement de la démocratie sociale, source d'opacité. Un certain nombre d'organismes collectent et utilisent ces activités de collecte pour se financer, ce qui au demeurant est utile. Le paritarisme social est une nécessité, mais peut-être faudrait-il encore, malgré les efforts en ce sens, mieux clarifier les modes de financement de ce paritarisme.

 Ce contrôle concerne non seulement les organismes collecteurs et de mutualisation, mais également les régions. Quel regard portez-vous sur la montée en charge des régions et comment peut-on essayer de savoir si l'argent des régions est bien utilisé ?

 Toutes ces questions ont, au arrière-fond, l'idée que nous pouvons aller vers des contrôles plus efficaces, encore que... Tout à l'heure, avant que vous n'arriviez, nous nous penchions sur le fait que, dans le cadre de la formation continue dans l'entreprise et notamment les plans de formation, il faudrait sans doute un double système : un système extérieur, avec des organismes d'évaluation permettant d'évaluer les formations dispensées, et un système dans l'entreprise, avec un dialogue social.

 Nous avons évoqué le bilan social en nous interrogeant s'il ne devrait pas comporter plus de renseignements afin que le comité d'entreprise puisse discuter à son tour de ce qui est entrepris en matière de formation des salariés. Je résume : les flux financiers sont-ils bien contrôlés ? Peut-on en savoir plus sur leur efficacité ?

 Mme Nicole Péry : J'ai dû assez vite aborder cette question, à la fois du contrôle qualitatif et de l'efficacité de la formation, au travers des questions orales, que ce soit de l'Assemblée ou du Sénat. Très vite, j'ai dû me replonger dans la logique de la loi de 1971. Il y est clairement stipulé que les contrôles sont des contrôles financiers et administratifs, mais en aucun cas des contrôles de la qualité pédagogique de la formation effectuée. Cherchant une logique dans cela, à l'évidence, j'ai compris que l'on demandait à chaque organisme de formation d'avoir sa qualification de départ, qui doit être garante de la qualité de sa prestation. En fait, nous savons les uns et les autres que c'est bien plus compliqué. Je commencerai par le qualitatif pour aborder ensuite le financier.

 Lorsqu'il y a un an j'ai commencé à travailler sur ce dossier, je me suis plongée dans la loi de 1971 et dans les dernières auditions que vous avez faites ici, lors de la Commission d'enquête de l'époque, contenues dans le rapport de M. Goasguen. J'ai également examiné l'ensemble de vos critiques et tenté de mesurer, à mon tour, le degré de leur réalité. Au travers des rencontres que j'ai pu faire, il me semble que les choix relevant de l'achat de formation par les chefs d'entreprise sont faits d'une façon rigoureuse. Si vous me permettez de dire les choses un peu crûment, les chefs d'entreprise en veulent pour leur argent. Lorsque les salariés reviennent, ils s'assurent que la formation a été profitable.

 Étrangement, c'est d'abord au niveau de l'achat public des formations et pour les formations individuelles (CIF) que nous devons examiner comment améliorer l'efficacité de la formation dispensée ou les formations individuelles. J'ai reçu, cette année, une trentaine de courriers de citoyens se plaignant du manque de qualité de la formation alors qu'ils bénéficiaient d'un financement du CIF. C'est pourquoi j'ai voulu voir quelles précautions les chefs d'entreprise prenaient lorsqu'ils passaient des conventions pour la formation de leurs salariés. En effet, quand les salariés reviennent dans l'entreprise, les chefs d'entreprise estiment qu'ils doivent avoir progressé en qualification.

 Tous ces courriers de citoyens concernent plus particulièrement des prestations individuelles ou parfois des prestations que l'on donne aux demandeurs d'emploi. Je réfléchis à ce point, tout en sachant qu'il est impossible d'envisager la création d'un corps d'inspecteurs, tel que cela se fait dans l'Éducation nationale, pour inspecter la pédagogie. Je réfléchis beaucoup dans le sens de la validation avec un regard extérieur des formations données, soit à travers l'accès à une qualification, soit sous d'autres formes. Là encore, je fais appel aux partenaires directement concernés par ces sujets pour avancer dans une réflexion commune.

 Lorsque je suis allée devant la Commission des affaires sociales, il y a peu, au Sénat, j'ai fait préparer une fiche au niveau financier. Je suis donc en mesure de vous fournir des chiffres très précis. Je voulais connaître la réalité de notre corps d'inspection, de ce qui était réalisé dans le cadre du contrôle financier et administratif relevant pleinement de la loi de 1971.

 En 1998, nous avions, au niveau du contrôle, 341 agents, dont 265 en poste dans les directions régionales. Sur ces 265, 111 étaient affectés directement au contrôle de la formation professionnelle. Quant au groupe national de contrôle, je ne tairai pas une interrogation de ma part puisque, d'après mon enquête, trois inspecteurs sont actuellement en mission de contrôle. Sur ce point, j'ai déjà fait savoir que je souhaitais approfondir ce sujet.

 Toujours sur le bilan de l'année 1998, ces 111 agents ont effectué 2.895 contrôles sur pièce et sur place. Ceci a conduit à un redressement d'un montant de 150 millions de francs. Ces vérifications ont concerné 2.244 entreprises, 623 organismes de formation, 12 organismes collecteurs paritaires et 16 structures d'accueil et d'information.

 Il me semble qu'au niveau du groupe national de contrôle, on peut faire un effort, ce à quoi je m'emploierai. N'empêche que le nombre de contrôles effectués et d'entreprises visitées vous montre que le contrôle existe et qu'il ne faut pas non plus avoir une critique trop sévère qui dépasse la réalité du sujet. Un contrôle financier est effectué et les chiffres sont là pour le montrer.

 Concernant la mutualisation et le paritarisme, je suppose que c'est également une question directe quant aux prélèvements que l'on a pu effectuer sur l'AGEFAL. Cela a également été l'un des sujets de discussion du PLF 1999. Le premier prélèvement avait été effectué sous l'ancien gouvernement, avec un prélèvement fort de près 1,5 milliards de francs. Je suis tout à fait consciente que lorsqu'on donne une si bonne idée à Bercy - sans suggérer le nom d'un ministre plutôt que d'un autre - il est extrêmement difficile de la lui enlever.

 Qu'ai-je pu obtenir ? Cela a été, de ma part, une vraie bagarre. J'ai d'abord pu obtenir que ce chiffre soit divisé par trois et que ces 500 millions de francs soient affectés à un fonds de concours pour la formation professionnelle et non pas reversés dans le budget général. J'ai beaucoup travaillé avec les partenaires sociaux, pour leur faire comprendre cette démarche. Je rappelle que cet argent est géré par les partenaires sociaux et que l'Etat doit avoir le souci d'expliquer et d'arriver à prendre une décision, dès lors qu'elle converge avec l'opinion des partenaires sociaux.

 Je me suis employée à réduire ces prélèvements et à faire en sorte qu'ils soient, avec l'accord des partenaires sociaux, affectés à la formation professionnelle. Comme vous pouvez le penser, l'essentiel de ces fonds va au soutien de l'apprentissage, qui est un effort budgétaire lourd.

 Pour 1999, les exonérations, de cotisations sociales et les primes à l'aide à la formation ont été maintenues. Les primes à l'embauche ont été recentrées sur les contrats préparant à un diplôme de niveau V ou IV. Cela représente un effort, dans le budget, de 9,5 milliards de francs. Si vous y ajoutez environ 3 milliards pour les contrats de qualification, c'est un effort important qui représente 38 % du budget formation professionnelle. Il est clair que ce fonds de concours aide à répondre à cette courbe ascendante des contrats de qualification et des contrats d'apprentissage.

 Comment se fait-il qu'il y a là de l'argent visible ? A quoi correspondaient ces prélèvements ? Il n'est pas certain qu'ils pourront se poursuivre éternellement, en tout cas c'est le message que je fais passer très fortement. Il s'agit plus de trésorerie que d'excédents à proprement parler. J'ai invité les partenaires sociaux à travailler d'une façon dynamique et à ne pas avoir forcément devant eux, un an de fonctionnement. Plus personne ne fonctionne avec une trésorerie d'un an. Je les ai donc invités à une gestion plus dynamique, de façon que cet argent ne soit pas là aussi visible, parce qu'on ne laissera pas une telle somme dormir un an. Il me semble que ce message est bien passé et que l'année prochaine, nous pourrons vraisemblablement avoir une gestion plus dynamique de cette trésorerie par les partenaires sociaux.

 M. le Président : Nous avons bien compris qu'il ne s'agit là que de fonds de roulement et qu'ils doivent être réduits. Il doit même y avoir, si possible, une instruction comptable explicitant la notion de fonds de roulement. Actuellement, d'après les questions posées, il reste un certain flou dans ce domaine et c'est justement sur ce flou que Bercy se repose pour reprendre la main sur ces fonds.

 Il semblerait également que certains organismes se soient lancés dans des acquisitions immobilières. Êtes-vous d'accord avec une conclusion qui semblerait se dégager, à savoir que ces organismes de redistribution n'ont pas autorité à immobiliser des fonds dans de l'immobilier, ce qui constituerait une forme détournée d'utilisation de ces fonds ? Ce sont des prélèvements obligatoires et il est donc normal qu'un contrôle très strict soit fait de leur utilisation.

 Mme Nicole Péry : Je ne peux répondre avec précision à cette question. Ils peuvent acquérir les locaux où ils travaillent, mais il est certain qu'ils ne peuvent avoir un patrimoine immobilier en dehors de ceux-ci. Personnellement, je n'ai eu aucune note attirant mon attention sur le fait qu'ils dépassaient leurs droits. Toutefois, si vous avez des informations à ce sujet, n'hésitez pas alimenter mes réflexions et mes données.

 M. le Président : Je fais appel à ma mémoire, mais il me semble que la Cour des comptes avait détecté le cas d'un OPCA d'Ile-de-France qui avait fait des acquisitions immobilières.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Cela me permet, madame le ministre, de rappeler que nous avions préconisé un accès beaucoup plus direct et net de la Cour des comptes à cette comptabilité des organismes de formation, précisément afin de repérer, si besoin est, des opérations immobilières et des placements pouvant générer des excédents utilisés à diverses fins. Il faut rompre avec une certaine opacité qui s'est abritée derrière le paritarisme. J'aime beaucoup le paritarisme et je crois à la démocratie sociale, mais cela ne dispense pas pour autant de la transparence.

 Mme Nicole Péry : Mon directeur de cabinet m'informe qu'il y a eu effectivement un redressement de 400 millions de francs, grâce au contrôle de la formation professionnelle. C'est un élément supplémentaire à ajouter à l'existence du contrôle de la formation professionnelle. 400 millions de francs ne sont pas une petite somme et je suis, comme chacun d'entre vous, attachée à ce que ce système devienne, dans son ensemble, plus efficace et plus transparent.

 Votre question sur les régions est intéressante. Ce sujet s'est révélé plus délicat que je ne l'imaginais. Moi-même étant une régionale - vous le devinez à mon accent -, très attachée à la décentralisation et ayant oeuvré, dans mon propre parti, dans les années 1980, pour un projet de société décentralisé, j'ai donc entrepris avec confiance ce dialogue avec les régions. Très vite, je me suis rendu compte d'une résistance instinctive au fait que la puissance de l'État puisse demander une forme de contrôle. Il m'a d'ailleurs été rappelé, par les uns et les autres, que ce soit à droite et à gauche pour être encore plus précise, qu'ils avaient acquis une compétence et qu'ils tenaient à l'assumer seuls. Nous continuons notre dialogue.

 Je rappellerai brièvement les contributions au budget annuel de la communauté nationale : 56 milliards pour l'État, pour l'ensemble de notre effort public, y compris la formation continue des agents de la fonction publique ; 55 milliards pour le monde de l'entreprise ; 13 milliards pour les régions ; 14 milliards pour les organismes associés, notamment l'UNEDIC.

 Ces gros postes montrent que la part des régions est financièrement relativement faible dans l'effort de la communauté nationale, même si leurs compétences sont grandes. Partant de ce constat et du fait que l'argent public est massif dans l'animation de l'ensemble de la formation tout au long de la vie, on peut penser être en droit, de temps à autre, de demander une évaluation aux régions quant à l'application de leurs compétences en ce qui concerne la formation professionnelle.

 Je compte beaucoup sur les travaux du comité de coordination. Un premier rapport a été effectué sur le qualitatif. J'ai demandé que, dans le second rapport en cours, soit approché le quantitatif : quels publics, quelles formations... J'essaie surtout de restaurer ce climat de confiance et de faire passer le message soulignant qu' il n'est pas question, pour moi, de revenir sur la décentralisation. Le message que je souhaite faire passer est qu'il y a beaucoup d'argent public et que nous sommes en droit de demander, a posteriori et régulièrement, une évaluation des formations effectuées. J'estime que ce langage raisonnable peut être compris des uns et des autres.

 Je l'ai dit sur divers tons, plus ou moins ferme ou coopératif, mais le message est passé. Nous verrons ce que l'évaluation en cours apportera. Cela nous donnera une idée du niveau de coopération nécessaire. En tout cas, au-delà du contrôle financier qualitatif qu'à mon avis nous pouvons demander aux régions, j'ai une autre préoccupation, toujours au regard de l'efficacité du système.

 Le comité de coordination fonctionne très bien au niveau national. Pour ma part, je suis satisfaite de la qualité de leurs travaux. J'ai noté que nous trouvions là, pour avoir passé de longues heures devant eux, l'ensemble des acteurs et peut-être l'efficacité de cette structure vient-elle de ce que tout le monde est autour de la table. En revanche, dans les régions, les instances en place regroupent un certain nombre d'acteurs, mais sans que l'on retrouve l'ensemble des acteurs comme au niveau du comité de coordination.

 C'est pourquoi j'ai demandé au Premier ministre de charger M. Gérard Lindeperg d'une mission d'évaluation sur le partenariat institutionnel. Il me semble que la liberté d'un parlementaire peut être plus efficace que la multitude de contacts que j'essaie d'avoir, avec cette résistance que j'ai ressentie. Je compte beaucoup sur cette mission parlementaire pour me donner non seulement des propositions qui permettraient une efficacité renforcée des instances régionales sur les partenariats et les convergences à construire, mais également une définition des politiques de formation professionnelle dans les régions, construite avec les conseils régionaux, les services de l'Etat, les partenaires sociaux, l'ensemble des acteurs étant présent dans une même instance. Je n'ai pas encore les retours pour savoir comment les acteurs, dans les régions, reçoivent cette proposition.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Merci. Je vais terminer sur un dernier chapitre pour laisser à nos collègues, le soin de vous poser des questions. Vous avez, à plusieurs reprises, confirmé votre désir de voir évoluer le système et mettre en place cette formation professionnelle tout au cours de la vie. A propos du CIF, vous avez dit qu'il touchait finalement assez peu de salariés. Il y avait là un besoin manifeste de donner au dispositif une autre dimension.

 J'ajoute que le plan de formation - le 0,9 %- évidemment est aujourd'hui une obligation un peu dépassée, notamment pour les grandes entreprises qui sont toutes au-delà de 0,9 %.

 S'agissant des PME, c'est un monde extrêmement disparate où certains s'en tiennent rigoureusement au 0,9 %, confiant d'ailleurs parfois leur argent au titre de la promotion professionnelle à des organismes dont la performance et les compétences ne sont pas évidentes. En revanche, certaines PME sont bien au-delà du 0,9 % et font manifestement un effort de formation important. Dans cette situation donnée, comment voyez-vous aujourd'hui une réforme sur cette formation au cours de la vie, sans plus parler de la formation initiale ? Pouvez-vous nous dire où vous en êtes de vos réflexions et de vos projets ?

 Mme Nicole Péry : Un débat a cours aujourd'hui, venant plus particulièrement du monde des entreprises laissant à penser que l'obligation de financement devient inutile. Certaines organisations, telles que le Medef, pensent que la responsabilité de la formation doit être retirée de la charge des chefs d'entreprise et assumée par le salarié lui-même, celui-ci devant s'assurer de son employabilité tout au long de la vie. Toutefois, d'autres discours beaucoup plus raisonnables viennent du monde des entreprises, notamment des PME.

 J'ai été satisfaite des rencontres répétées dans ce milieu qui, longtemps, avait moins pris conscience que les grandes entreprises, de la nécessité de considérer la formation comme un véritable investissement, une stratégie d'entreprise, et non pas comme une obligation de financement. Les PME étaient plus réticentes. Je connais la réalité du tissu économique local chez moi, par exemple, où l'on retrouve une multitude de petites PME, dans lesquelles très souvent, les chefs d'entreprise se sont formés sur le "tas". Cela existe encore beaucoup en province. Elles peuvent d'ailleurs très bien cohabiter avec des PME très pointues.

 Nous faisions donc face à une résistance quasiment d'ordre culturel. De façon très récente, on a constaté une véritable évolution de la mentalité des chefs d'entreprise de PME. Il semblerait qu'ils aient pris conscience que cette époque est révolue et qu'ils doivent assumer leur formation tout au long de la vie, que ce soit celle de l'entreprise ou de ses salariés. C'est pourquoi, à ce stade de ma réflexion, je ne compte pas revenir sur l'obligation de financement, mais plutôt bien faire comprendre que l'époque où l'on considère ce 0,9 % comme une obligation de financement est révolue et qu'il faut le considérer comme une nécessité absolue de se former, que ce soit du côté du chef d'entreprise que de celui des salariés.

 J'ai essayé de mieux comprendre pourquoi, au-delà de l'aspect culturel, certains chefs de petites entreprises n'avaient pas encore intégré cette dimension de qualification tout au long de la vie, s'il existait d'autres motifs objectifs à cet état de fait. Ce sont souvent des motifs d'éloignement d'un centre de formation, ce qui pose un réel problème. C'est pourquoi je suis en cours de discussion avec certaines organisations professionnelles quant à une expérimentation sur les formations à distance et sur l'auto-formation, utilisant les nouvelles technologies, afin de voir comment vaincre cette entrave objective de la distance.

 Une autre difficulté vient du remplacement. Les TPE, les toutes petites entreprises, ne peuvent plus fonctionner dès lors qu'un salarié quitte l'entreprise. Là encore, dans cette expérimentation, je compte explorer des pistes sur le remplacement des salariés.

 Ma perception actuelle est que l'on ira vers un plein emploi de ces 0,9 %, même pour les TPE. Elles en bénéficieront elles-mêmes, maintenant qu'elles ont pris conscience que c'était une absolue nécessité pour elles en termes de stratégie économique.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : A partir du Livre blanc, envisagez-vous un projet de loi sur ce sujet, dans un délai...

 Mme Nicole Péry : L'objectif que j'ai donné aux partenaires sociaux, cet automne, est de parvenir à une convergence afin d'avancer sur une négociation collective, à l'instar de celle de 1970, dont la loi de 1971 a repris les accords. 1970 arrivant après 1968, il y avait là un environnement d'effervescence culturelle, politique, économique, qui a vraisemblablement été un moteur, dans toute cette dimension. Voyons si nous allons vers une série positive de négociations collectives que nous pourrions reprendre sous la forme d'une loi en l'an 2000, sachant qu'il faudra définir non seulement des axes forts sur lesquels reposerait ce nouveau système, mais également le mode de financement.

 Pour l'instant, je réfléchis à budget constant. Je n'ai reçu aucun signal indiquant qu'à ce stade, on pouvait bâtir un système sur un financement qui prendrait une courbe extrêmement ambitieuse. Ma question est de savoir comment faire beaucoup mieux avec le même budget global de la communauté nationale. Voilà l'exercice que j'ai mis sur la table.

 Je commence à recevoir des réponses des uns et des autres qui, pour l'instant, ne sont pas totalement convergentes, le contraire aurait été étonnant. Pour ma part, je fais des simulations, mais comme cas d'école, pour leur montrer comment cela pourrait fonctionner. Toutefois, je ne peux, à la fois, leur dire que je respecterai la culture traditionnelle de la formation professionnelle, élément central du dialogue social, et mettre sur la table une proposition comme si c'était le résultat obligé.

 J'ai fait des simulations, ne serait-ce que pour me convaincre que c'est possible, intéressant et efficace. J'attends beaucoup qu'eux-mêmes évoluent. Les syndicats, tout comme certaines organisations patronales, m'ont informé qu'ils n'étaient pas prêts à me répondre d'une façon concrète, sur ce sujet. Ils sont en train d'y travailler.

 M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Je voudrais attirer l'attention du ministre sur l'intérêt d'une réflexion liant la réduction du temps de travail et ce dossier de la formation tout au long de la vie. Il me semble que le projet de loi sur la réduction du temps de travail est peut-être aussi une occasion d'ouvrir quelques fenêtres qui permettraient de faire progresser le dossier, dont vous rappelez à juste titre qu'il doit aussi passer par la négociation sociale. C'est une simple remarque.

 Mme Nicole Péry : Je ne surdimensionne pas cette difficulté que nous avons devant nous, mais elle est là. Avant l'an 2000, nous avons la deuxième loi RTT. Quelle est ma ligne de conduite à ce jour ? J'ai dit à Martine Aubry ma préoccupation que la deuxième loi RTT ne prenne en otage la formation professionnelle. Mon souci est que je puisse avoir ce rendez-vous RTT, sans amputer la cohérence d'un projet global. J'aurais tendance à demander que la deuxième loi RTT renvoie à la loi suivante, chaque fois que cela sera possible.

 Quelle est la ligne rouge que je ne souhaiterais pas franchir ? Ce serait la demande, à mon avis irrecevable, de certains partenaires sociaux qui demandent de soustraire la formation de la responsabilité de l'entreprise. Pour moi, c'est irrecevable. Je défendrai, pied à pied, la nécessité de garder un lien direct entre la formation professionnelle et le contrat de travail.

 Partager à quel niveau et selon quelles modalités ? Là se situe un champ possible de négociations. Dès lors qu'un salarié a en projet une formation qualifiante ou entrant dans un module de parcours professionnel et que le chef d'entreprise en est intéressé, en raison d'un poste à proposer ou d'un intérêt à accroître la qualification de tel ou tel salarié, dans ce cas, personnellement, je ne crois pas que l'on trahirait l'esprit de ce qu'est la formation tout au long de la vie. Il peut y avoir là du "donnant-donnant", sous réserve que ce soit dans le contrat de travail, et lié aux négociations au sein même de l'entreprise. Mais rejeter la responsabilité de la formation sur le salarié, qui devra assumer seul son employabilité, est pour moi une ligne à laquelle je m'opposerai très fermement.

 M. le Président : Merci. Un certain nombre de nos collègues souhaitent poser des questions. Pour lancer le débat, je me permettrai de vous demander quelques précisions. Pensez-vous que votre groupe de contrôle doit avoir une certaine police de l'agrément des organismes de formation professionnelle ? Sous quelle forme peut avoir lieu le contrôle des organismes qui dispensent la formation professionnelle ? Vous en remettez-vous uniquement aux chefs d'entreprise et donc, finalement, au marché de la formation professionnelle ?

 Par ailleurs, l'idée a été évoquée, à différentes reprises, notamment par le directeur général de l'AFPA, d'un partenariat organisé entre l'AFPA et l'ANPE. Au niveau local en particulier, on voit bien que les deux organismes travaillent de façon parallèle, mais sans véritable concertation. L'AFPA aurait cependant tout intérêt à être mieux informée des besoins en matière de formation professionnelle et des besoins de personnel grâce à l'ANPE. Pour sa part, l'ANPE pourrait utiliser l'évaluation des compétences qu'est en mesure de donner l'AFPA pour la réinsertion professionnelle des personnes. N'y a-t-il pas là un chantier à organiser ?

 Mme Nicole Péry : Concernant l'agrément, quelle est la réalité du nombre d'organismes de formation à ce jour ? 63.500 organismes de formation ont déposé une déclaration préalable. J'ai fait mener une enquête pour bien connaître ce paysage et si je me suis intéressée à connaître bien le paysage, c'est pour savoir si nous avions ou non une capacité d'exiger l'agrément et comment la mettre en place. Sur ces 63.500, on m'a assuré que 40.300 ont eu une activité effective. L'ensemble de ces organismes a réalisé un chiffre d'affaires de 37,2 milliards de francs. Pour 23,3 % d'entre eux, la formation professionnelle constitue l'activité principale. Mais seuls 1,5 % des organismes actifs réalisent un volume d'activité supérieur à 10 millions de francs. 83,8 % de ces 40.300 organismes ont un chiffre d'affaires inférieur à 1 millions de francs. Ceci est la réalité du paysage.

 J'ai essayé de voir, politiquement, comment les gouvernements précédents s'étaient attaqués à un paysage aussi compliqué. Je ne parlerai que de deux moments, l'un avec la gauche, l'autre avec la droite. Il y a eu, à une époque, une certaine velléité pour avoir prise sur la qualité de la formation. On proposait de conclure des conventions avec l'Etat, qui auraient lié ces organismes au travers de leur programme de formation. C'était une forme assez intelligente. Que s'est-il passé ? Il n'y a jamais eu de décret d'application parce qu'on n'a pas été en mesure de mettre en place le service déconcentré et les fonctionnaires nécessaires.

 Quelques années plus tard, en 1995, lors d'une modification des dispositions d'ordre social, un amendement a été voté et a exprimé l'obligation du principe d'agrément par l'Etat des organismes de formation de droit privé. Il n'y a jamais eu de décret d'application. Voici l'interrogation : 40.500 organismes ont eu une activité. Il me parait difficile de décréter une politique d'agrément, antérieure à leur installation, pour vérifier le degré de leurs compétences et de leurs qualités.

 J'ai pris note qu'en fait, seuls 1,5 % représentaient des organismes de formation importants, avec un chiffre d'affaires de plus de 10 MF. Cela fait peu. On a donc un émiettement complet du paysage.

 Un autre élément me semble être une bonne direction. De plus en plus, on semble se diriger vers des normes de qualité et les organismes eux-mêmes se sont organisés autour de deux normes de qualité, dont la norme ISO qui concerne la structure générale de l'organisme, son système de gestion de la qualité. L'intérêt de cette approche ISO est que les preuves doivent être apportées par un tiers. Quant à la deuxième procédure, la marque NF, elle fournit des garanties sur la qualité des services attendus ainsi que sur les moyens mis en oeuvre à cet effet. Il m'a même été précisé que cette marque NF était mise en place par l'Association française de normalisation, l'AFNOR. Voilà pour ce qui concerne une première série de certifications.

 Quant au deuxième axe, c'est une qualification délivrée par l'office professionnel de qualification, l'OPQF, sur la base de trois critères : la stabilité de l'organisme, le professionnalisme des intervenants, et la satisfaction des clients. J'ai demandé qu'une enquête soit menée pour savoir, à ce jour, combien d'organismes portaient ce label qualité. Cent organismes sont certifiés ISO et près de cinq cents sont qualifiés OPQF.

 En ce qui concerne la troisième norme qualité, NF, je n'ai pu obtenir à ce jour aucune évaluation, ce dispositif ne s'étant mis en place qu'il y a quelques mois. Je n'ai donc pas suffisamment de recul pour procéder à une évaluation. C'est une direction que j'ai souhaité intensifier, pragmatique et à portée de nous. L'agrément, dans tout ce que cela comporte de contrôles, me semble, compte tenu de la réalité de ce paysage, très difficile à mettre en oeuvre. De plus, ces 40.000 organismes représentent, en termes de salariés, plus de 100.000 salariés. Il y a donc une série de paramètres qu'il convient de prendre en considération dans le cadre de cette évaluation.

 M. le Président : Merci. Votre réponse est très complète sur la première question. Qu'en est-il de la deuxième, c'est-à-dire un partenariat organisé entre l'AFPA et l'ANPE ?

 Mme Nicole Péry : Ce partenariat est présent dans les contrats de progrès, avec des objectifs quantifiés d'évaluation. C'est une garantie ainsi qu'une autre forme de contrôle sur l'efficacité et la qualité des prestations. J'ai présenté le PNAE (Plan national d'action pour l'emploi) hier en conseil des ministres. En ce qui concerne l'ANPE et l'AFPA, l'évaluation que j'ai inscrite est de 250.000 accueils dans le cadre des nouveaux départs.

 Je me suis engagée, avec Martine Aubry, dans ce PNAE - que nous allons très vite présenter à Bruxelles, que j'ai déjà présenté aux partenaires sociaux - à faire bénéficier chaque jeune chômeur d'un entretien avant les six mois de chômage et chaque adulte...

 Mme Nicole Bricq : Le programme TRACE...

 Mme Nicole Péry : Oui, qui est inclus dans le Plan national d'action pour l'emploi, ce que l'on appelle les « Nouveaux départs ». C'est le plan français, avec ses engagements, que nous présentons au niveau européen. Cette année, nous avons pu faire face à environ 80.000 accueils, l'objectif étant de 250.000 accueils. Voilà donc le contrat que nous avons passé, dans le cadre du PNAE.

 M. le Président : Monsieur DOUYERES souhaite prendre la parole.

 M. DOUYERES : C'est effectivement l'objectif que s'est fixée la ministre, mais sur le terrain, notamment en faisant la tournée des ANPE, je ne vois aucune personne mise dans le dispositif. Dans mon département, je ne suis pas sûr qu'il y en ait dix.

 Mme Nicole Péry : Je vais reprendre point par point car il y a là une ambiguïté. Le programme TRACE est inclus dans le PNAE, mais ne concerne ni l'accueil, ni les nouveaux départs. Ce sont deux choses différentes. Le PNAE est moins connu de nous ici. Même si c'est un plan négocié avec les partenaires sociaux, c'est un engagement que nous prenons au niveau européen. C'est vrai que l'on a tendance à moins en débattre au niveau du débat politique en France.

 Je répète pour clarifier les choses. Nous avions pris, en 1998, dans le cadre du premier Plan national d'action pour l'emploi, l'engagement de réaliser 80.000 nouveaux départs. La définition de ces nouveaux départs est un accueil systématique ou un entretien, pour une proposition soit de stage, soit de formation, soit d'un contrat de travail aidé, à tout jeune qui atteint six mois de chômage et à tout adulte qui atteint douze mois de chômage. J'avais inscrit 80.000 accueils dans le PNAE 1998. Nous avons dépassé ce chiffre en atteignant 150.000 nouveaux départs.

 Dans le PNAE que j'ai présenté hier en conseil des ministres, j'ai proposé de passer à 250.000 nouveaux départs, toujours dans cette logique, c'est-à-dire information, accueil, proposition d'une solution stage, formation, contrat aidé. La mise en oeuvre de ce programme « Nouveaux départs » fait partie du contrat de progrès que j'ai signé avec Martine Aubry, entre l'AFPA et l'ANPE qui doivent travailler ensemble pour assumer cet engagement. C'est aussi une façon, puisqu'on met une barre chiffrée, d'obtenir des obligations de résultats et une forme d'évaluation de ce qui est fait par les uns et les autres.

 Par ailleurs, il y a le programme TRACE que nous avons inclus dans le PNAE pour montrer à nos amis européens ce que nous comptions faire dans le cadre de la lutte contre les exclusions. Sans reprendre le descriptif du programme TRACE, je vous rappelle que c'est un parcours individualisé, qui peut se construire sur 18 mois. Il est juste de dire que nous n'avons pas réalisé autant de constructions de parcours individualisés que nous en avions prévu, même si nous avons atteint la barre des 10.000 que nous nous étions fixés pour décembre 1998, trois mois plus tard.

 Ce printemps 1999, les 10.000 constructions de parcours individualisés sont acquis. Dans ce cadre, je n'hésite pas à vous dire que si l'action a été moins massive que dans d'autres programmes, c'est qu'une partie de ces constructions de parcours individualisés revient aux régions. Ce sont les parcours préqualifiants. En effet, sur les parcours de 18 mois, il était nécessaire parfois de resocialiser certains jeunes, parfois même de lutter contre l'illétrisme. Le « préqualifiant » concerne des publics particulièrement fragiles. Cette action préqualifiante a été, au travers de la loi quinquennale, peu à peu transférée aux régions. Ce transfert progressif s'est d'ailleurs achevé l'an dernier.

 Aujourd'hui, il faut reconnaître qu'il est difficile d'obliger les régions - qui ne font pas preuve d'un enthousiasme débordant - à s'occuper de ces publics fragiles, et qu'elles préfèrent souvent mettre en place des formations beaucoup plus pointues ou qualifiantes. C'est une réelle difficulté car je n'ai trouvé aucun moyen d'imposer aux régions, qui résistent, de prendre en compte ces actions préqualifiantes. Avons-nous bien fait de transmettre cette compétence aux régions qui la demandaient ? Je me suis quand même inquiétée de savoir dans quel état d'esprit cela avait été fait. On m'a assuré que cela faisait suite à une demande des Régions et non d'une volonté de l'État.

 Aujourd'hui, c'est une interrogation que j'inclus dans mes réflexions pour la réforme. Cela rejoint ce que j'ai dit tout à l'heure. Autant il n'est pas question de revenir sur la décentralisation, autant il faut que les règles du jeu soient correctement appliquées par les régions.

 M. le Président : Merci. Qui veut poser une question ?

 Mme Nicole Bricq : Je me limiterai à deux questions, dont l'une concerne le contrat de qualification adulte, voté dans le cadre de la loi contre l'exclusion. J'aimerais savoir si on a procédé à une simulation du nombre de personnes que cela pourrait toucher et l'objectif de ces contrats de qualification adulte. Ils me paraissent une bonne chose, car correspondant à un besoin. Mais a-t-on été en mesure de faire une étude d'impact sur ce point précis ?

 Ma seconde question, que je motiverai plus longuement, concerne le CIF, dont vous avez une vision institutionnelle, administrative. Pour ma part, j'en ai une vision pratique. Pendant un certain nombre d'années, j'ai été directeur des ressources humaines et j'ai vu comment fonctionnait la mise en place des CIF pour les salariés. Cela explique peut-être le fait que vous ayez des avis favorables de la part des employeurs, et des avis mitigés, voire mauvais, de la part des salariés, par la voie de leurs courriers.

 Votre réflexion consiste à dire qu'il est inadapté par rapport à la situation où l'on se trouve et par rapport à l'esprit du législateur à l'époque. En effet, cela partait d'un très bon sentiment, celui qu'un salarié puisse se former tout au long de sa vie. C'est une nécessité, mais cela ne fonctionne pas ainsi. De plus, il est onéreux. Il faut donc, me semble-t-il, non seulement le revoir complètement, mais même trouver une autre formulation, un autre titre et fixer des cahiers des charges très précis.

 Le CIF s'adresse souvent à des salariés qui ne sont pas à l'aise dans l'entreprise, à la suite d'une restructuration ou de la suppression d'un service. Ces salariés se retrouvent dans une situation telle qu'ils ne savent plus où se diriger. Un jeu assez curieux consiste alors à ce que ces salariés demandent des formations. Les demandes sont très importantes et, compte tenu des sommes mises en face, le taux de réponse est faible. Il y a donc une frustration permanente parce que l'employeur ne se fait aucune illusion.

 C'est pourquoi je vous pose la question suivante. Avez-vous un bilan, non pas qualitatif, mais sur des éléments objectifs qui vous diraient que les CIF aboutissent effectivement à un changement de métier dans l'entreprise ou à une nouvelle qualification pour affronter une autre entreprise, se remettre sur le marché du travail ? Je connais à peu près la réponse. En effet, il se trouve que la manière dont il fonctionne maintenant arrange tout le monde. Cela permet, pendant une période de temps assez longue, de "caser" un salarié dont on ne sait trop quoi faire dans l'entreprise, mais qu'on ne veut non plus licencier.

 Cela permet de répondre, même mal, à un besoin exprimé par la personne. De plus, la personne elle-même a beaucoup de mal à définir ce besoin. Elle a un besoin vague de faire autre chose, et c'est là tout le problème de l'offre de formation. Cela rejoint la question que posait le président Auberger sur l'agrément des entreprises de formation. En effet, sur le cahier des charges, il faudrait que les entreprises se donnent à elles-mêmes des objectifs. Quand je dis "entreprises", le plan de formation est discuté par le comité d'entreprise. C'est aussi aux partenaires sociaux qu'il faut poser la question.

 Il faut un cahier des charges et des évaluations précises, et que le plan de formation fasse réellement l'objet d'une discussion préalable avec le salarié. Le CIF, très onéreux, ne correspond plus aux besoins de la société dans laquelle on vit aujourd'hui, qui est une société de mobilité à l'intérieur de l'entreprise, avec en plus la grande difficulté des entreprises qui sont sur les marchés internationaux.

 Pendant plusieurs années, j'ai eu l'occasion de travailler avec des Canadiens. Ils ont mis plusieurs mois pour monter une formation adaptée à la France. Ils sont perdus parce que nos formations sont très complexes et ne sont pas directement productives. Il me paraît vraiment nécessaire de réformer le CIF parce qu'il coûte cher.

 Mme Nicole Péry : Concernant le contrat de qualification adulte, le décret d'application a mis un certain temps pour être publié. Mon évaluation, pour l'instant, est relativement simple : à ce jour, 300 contrats de qualification ont été signés. Je rappelle que notre objectif est de 10.000. J'ai entendu à plusieurs reprises Martine Aubry regretter que cet outil soit trop peu utilisé alors qu'il avait été demandé par les partenaires sociaux.

 A une certaine époque, on nous incriminait le retard dans les décrets, mais maintenant nous verrons la vitesse de croisière que prendra cet outil. Ce contrat démarre lentement, comme tout ce qui est nouveau. Cela demande des partenariats, et c'est toujours difficile à construire. Les deux branches vers lesquelles on accentue ce partenariat sont le bâtiment et l'agro-alimentaire.

 S'agissant des CIF, je n'ai qu'une évaluation quantitative, soit 25.000 personnes par an. Mais ne disposons à ce jour que de peu d'évaluation sur ce que deviennent ces salariés, combien obtiennent une progression dans l'entreprise, dans leur vie personnelle en changeant d'entreprise.

 M. le Président : Monsieur Bapt souhaitait prendre la parole.

 M. Gérard Bapt : Ma question sera très brève. Je voulais poser cette question sur les contrats de qualification adulte parce qu'effectivement, sur le terrain, on ne constate aucune montée de charge. De plus, cette mesure reste encore très méconnue. Il est étonnant qu'elle ait été demandée par les partenaires sociaux et qu'elle ne soit pas effectivement attendue ou sollicitée sur le terrain.

 Concernant le CIF, vous y avez déjà largement répondu et Mme BRICQ vient de poser la question de manière très pertinente. Dans le cadre du rapport à l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, concernant la formation professionnelle, notamment le CIF, il ressortait que globalement cela profitait d'une part, aux grandes entreprises, et d'autre part, aux salariés ayant le plus haut niveau de qualification, ce qui prolonge ce que vient de dire Mme BRICQ. Je voudrais compléter par la question suivante.

 Comment les entreprises les moins offensives sur le plan de la formation professionnelle pourraient-elles être plus incitées à cela ? Je pense en particulier aux salariés que l'on retrouve dans les travaux les moins qualifiés. Lorsque l'entreprise ferme, ce sont des salariés qui, à partir de 40 ans, sont totalement perdus. Je pense notamment au textile, à l'habillement, ou encore à la confection.

 Il y a trois ou quatre ans de cela, une entreprise de confection de 250 salariés a fermé à Toulouse et on retrouve toujours les mêmes personnes qui traînent avec leur CAP de mécanicienne en confection. Elles ont travaillé 20 ou 25 ans et n'ont jamais bénéficié de formation professionnelle continue.

 Mme Nicole Pery : Concernant le CIF, je regarderai de plus près, en termes de progression personnelle et professionnelle, ce que cela peut donner. Un chiffre me revient en mémoire, mais ce n'est pas une réponse directe. 60 % de salariés ayant suivi un CIF quittent leur entreprise, mais je ne suis pas en mesure de vous dire si c'est pour une progression personnelle et professionnelle. Je n'ai que du quantitatif. Le qualitatif méritera une autre commande.

 Comment répondre à ce besoin aigu de formation des salariés peu qualifiés qui se retrouvent, en raison de la mobilité accrue, en situation de fragilité totale ? En simplifiant, on peut dire que ceux qui en auraient peut-être le moins besoin sont ceux qui en bénéficient le plus, même si, pour les cadres supérieurs, les ingénieurs et autres, la formation tout au long de la vie fait partie du quotidien. Culturellement, ils ont bien compris que c'était une exigence.

 Mais comment faire bénéficier d'une formation les 40 % de salariés, qui sont en situation réelle de fragilité, alors qu'aujourd'hui, ils sont pratiquement exclus de la formation tout au long de la vie ? C'est pour répondre à cette exigence que nous avons mis sur la table la création d'un droit nouveau, d'un droit individuel. Si ce droit n'est pas individuel, on ne pourra jamais permettre à tout salarié, s'il le souhaite et au moment où il le souhaite, de faire cet acte de formation pour un « plus » de qualification.

 Pourquoi introduire un droit individuel transférable ? Ce droit doit pouvoir être saisi par l'homme ou la femme, durant sa vie d'adulte, quel que soit son statut, qu'il soit salarié ou demandeur d'emploi. Notre logique est de casser les statuts qui empêchent une fluidité suffisante d'un système à l'autre. Il est difficile d'avancer.

 Nous avons notre définition de sujets, bien évidemment, que nous avons d'ailleurs inscrite dans le Livre blanc. Mais c'est également aux partenaires sociaux de faire la construction du possible, sous réserve de répondre à cette exigence d'apporter, à chaque salarié qui le souhaite et à ceux qui en ont le plus besoin, une possibilité de faire appel à ce droit individuel lui permettant de faire progresser sa qualification.

 Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur ces axes forts de la réforme, au travers de l'ensemble des négociations que je mène et des débats parlementaires. Je suis à votre disposition pour revenir quand vous le souhaitez.

 M. le Président : Je remercie beaucoup Mme Péry pour l'ensemble de ses explications et les détails qu'elle nous a fournis.

 La séance est levée à onze heures quarante.

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 Le GNC dépend de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, qui est un service du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.

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