A l'invitation du Président, MM. Jean Michelin et Jacques Lair sont introduits. Le Président leur rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jacques Barrot, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits de la Formation professionnelle.
M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Depuis le début de ces auditions, nous avons regardé comment parvenir à un meilleur contrôle de la formation professionnelle et des fonds qui y sont engagés ; il était intéressant de les terminer par les bénéficiaires, en tout cas par ceux qui expriment les besoins en formation professionnelle.
Pouvez-vous brièvement nous rappeler les besoins en formation et les dispositifs qui vous paraissent actuellement les plus intéressants. On s'interroge, par exemple, sur le capital de temps de formation, dispositif un peu nouveau. Quel usage en a été fait ? Qu'en est-il du congé individuel de formation et de l'alternance ?
Par ailleurs, s'agissant du financement, nous aimerions savoir avec combien d'OPCA le bâtiment est en relation. La collecte des fonds nous a paru, au cours de ces auditions, quelque peu obscure. Nous aimerions également savoir si vous avez des moyens d'évaluation de leur efficacité.
En dernier point, la question se pose de savoir si la formation professionnelle continue ne devrait pas, de plus en plus, faire l'objet d'une validation des acquis et des compétences pour que l'on ait des repères et qu'on discerne ainsi si la formation professionnelle à la française est efficace.
M. Jean Michelin : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je tenterai, sous le contrôle du président Lair, de répondre à votre première série de questions. Dans une profession telle que la nôtre, regroupant 266.000 entreprises et comptant 1,05 million d'actifs dont 800.000 salariés et 250.000 artisans, les besoins sont très diversifiés. Ils ne s'expriment pas de la même manière dans l'entreprise Bouygues que chez l'artisan qui travaille avec deux salariés dans nos provinces. Il nous a fallu inventer des dispositifs qui puissent apporter des réponses ou accompagner les entreprises dans l'expression et la satisfaction de leurs besoins, en matière de formation.
Nous comptons environ vingt-cinq métiers différents dans le bâtiment. Les besoins sont très différents entre les métiers de l'électricité, ceux de la maçonnerie, ceux de la menuiserie, ou encore ceux d'entreprises qui construisent des édifices tels que le Grand Stade.
Nous avons effectivement mis en place un certain nombre d'OPCA. Le plus vieil OPCA du monde, le 3CA-BTP, a probablement été inventé par le BTP : il a été créé après la guerre. C'est notre système de financement, d'animation, de co-financement avec les conseils régionaux et d'animation de la pédagogie et de la qualité de notre apprentissage. Aujourd'hui, nous formons 65.000 apprentis dans notre profession, ce dont nous sommes fiers. Si toutes les professions suivaient notre exemple, il y aurait plus d'un million d'apprentis en France et nous n'aurions sans doute plus le problème du chômage des jeunes.
Nous avons donc l'habitude des organismes paritaires collecteurs de contributions d'entreprises et gérés paritairement. Ils rassemblent les neuf organisations - quatre d'employeurs et cinq de salariés - sur l'ensemble du territoire. Ils négocient et gèrent avec les conseils régionaux et l'État, les dispositions qui ont permis le développement du système d'apprentissage. De la même manière, lorsque la formation continue a été instaurée en France, nous avons créé un premier OPCA, qui s'appelait à l'époque FAF - le GFC-BTP- dès 1972, avec des relais dans l'ensemble des régions, que nous appelons les AREF. Avec ce dispositif, nous avons pu mettre en place un système de proximité, d'accompagnement des entreprises, de relations avec l'offre de formation.
Il a toutefois été nécessaire de remettre de l'ordre dans ce système au début des années 1990. En effet, nous avons eu alors à subir la crise du bâtiment pendant laquelle nous avons perdu 250 000 emplois, le changement de réglementation, le rapport de l'IGAS en 1992, celui de la commission Ueberschlag-Goasguen. Ces différents éléments nous ont poussé à reprendre la main et à faire en sorte que le dispositif soit plus fluide, plus transparent, plus performant, plus proche des entreprises.
M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Pouvez-vous nous dire, quant aux différents axes de formation-alternance, capital temps formation, congé individuel de formation-l'effort que cela représente ?
M. Jean Michelin : Sur l'effort en matière de formation continue, je peux vous citer quelques chiffres. Nous sommes aujourd'hui à dix mille contrats d'alternance. Ce sont, majoritairement, des contrats de qualification au nombre, fin 1997 ; de huit mille, les deux mille restant sont des contrats d'adaptation ou d'orientation, qui ont quelques difficultés à démarrer dans notre profession.
Dix mille contrats de qualification ? Est-ce beaucoup, trop ou pas assez ? Il faut, pour répondre, tenir compte du fait que nous avons 65.000 apprentis : globalement, nous avons donc 75.000 jeunes en contrat de travail - apprentissage ou alternance - dans nos entreprises. Il faut ajouter à cela le fait que près de cent mille jeunes préparent un diplôme du BTP dans les établissements de l'Éducation nationale. L'AFPA est un grand prestataire de formation pour le compte du BTP ; elle nous fournit, chaque année, 26.000 demandeurs d'emploi qu'elle a formés pour nous.
Pour financer les dix mille contrats d'alternance, nous avons dû faire appel à la grande mutuelle AGEFAL. Dans les entreprises de moins de dix salariés, nous collectons environ 25 millions et nous avons un « chiffre d'affaires » annuel de 150 millions : depuis toujours, nous bénéficions de la mutualisation offerte par l'AGEFAL.
Le capital de temps de formation est un dispositif récent. Dans une profession telle que la nôtre, avec sa multitude d'entreprises sur l'ensemble du territoire, il n'est pas aisé de faire passer une réforme du jour au lendemain. Certes, les grandes entreprises du BTP s'approprient très rapidement les dispositifs nouveaux. Cependant, l'effectif moyen dans les entreprises de plus de dix salariés est de 35, grands groupes compris, et dans les entreprises de moins de dix salariés, l'effectif moyen est inférieur à trois.
Il faut du temps pour faire comprendre un nouveau dispositif tel que le capital de temps de formation, ses règles de financement, ses critères de prise en charge. Il a eu quelques difficultés à monter en puissance, mais c'est maintenant chose faite puisqu'en cette fin d'année, nous aurons résorbé les reliquats des années précédentes. Ce dispositif fonctionne, il rend service en permettant principalement d'accompagner la promotion. La promotion, dans nos professions, signifie qu'un ouvrier devient assez rapidement ouvrier hautement qualifié, puis chef d'équipe de quatre ou cinq unités. Elle est donc très importante et, souvent, elle se fait grâce à ces financements qui sont individualisés. Le capital de temps de formation est une bonne réponse.
Le CIF, que nous ne gérons plus car il est géré dans les FONGECIF régionaux, avait, lorsqu'il était géré par la profession, cette vocation première de promotion professionnelle et d'accompagnement des projets personnels. Nous avons regretté le départ du CIF. Cela dit, nous le compensons progressivement par la mise en oeuvre du capital de temps de formation qui repose sur la démarche personnelle de l'individu, son ambition de promotion au sein de l'entreprise ou de la profession.
Notre contribution au CIF est actuellement supérieure à ce que nos salariés en reçoivent.
S'agissant du régime du plan de formation, actuellement, le nombre total des bénéficiaires d'actions de formation continue dans les entreprises du BTP, qu'elles aient plus ou moins de dix salariés, est, en 1997, de 137.000. Les chiffres seront quasiment les mêmes en 1998.
M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Considérez-vous que les moyens financiers mobilisés, qui sont des prélèvements collectifs obligatoires, affectés à la formation professionnelle initiale et continue, sont satisfaisants ? On peut discuter de la nature exacte de tels prélèvements au regard d'une branche telle que la vôtre. Pourrait-on, soit les réduire en les optimisant, soit à terme les accroître ?
M. Jean Michelin : Notre système repose sur les deux principes de la mutualisation et de la solidarité. En effet, les unités étant très petites et la contribution minimum étant réduite, il faut faire jouer le principe de la mutualisation pour aider les entreprises qui veulent développer de la formation. Par exemple, la mutualisation nous permet d'offrir aux entreprises de moins de cinquante salariés, le doublement de leur crédit de formation. On a souvent noté que le système ne bénéficiait pas toujours aux très petites entreprises et aux PME, mais principalement aux très grandes entreprises : grâce à ce système de mutualisation et à une politique volontariste, nous pouvons contribuer au développement de la formation dans les PME. Pour l'instant, j'ai envie de dire que c'est suffisant. Nos politiques de formation continue me paraissent répondre aux attentes, d'autant que les partenariats se sont développés avec les pouvoirs publics, de manière générale, dans toutes les régions. Dix-huit conseils régionaux ont signé des contrats d'objectifs avec le bâtiment tant en formation initiale qu'en formation continue. Nous avons des engagements de développement de la formation qui, eux aussi, permettent d'accéder aux aides de Bruxelles, etc. Globalement, il me semble que l'on répond aux attentes pour la formation continue.
Pour la formation des jeunes, nous sommes en difficulté. Heureusement, nous avons la mutualisation à l'AGEFAL. Celle-ci donne 100 millions par an au régime de la formation en alternance dans les entreprises de moins de dix salariés. Dans les entreprises de plus de dix salariés, cette année, l'OPCA Bâtiment va demander à l'AGEFAL des crédits d'environ 30 ou 40 millions, sur une collecte de 200 millions. Cela étant, nous nous en sortons bien. Nous avons la conscience tranquille.
En effet, si nous bénéficions de la solidarité interprofessionnelle, nous contribuons peut-être plus que d'autres à la solidarité nationale, justement par le biais de la formation des jeunes où l'on fait un très gros effort en formation d'apprentis. Bien sûr, ils ne restent pas tous dans nos entreprises, ce que l'on pourrait regretter, mais on les retrouve au service entretien d'un collège ou d'une autre administration. On peut considérer, de manière générale, que le bâtiment est solidaire dans cet ensemble.
Dans le total des OPCA, je n'inclus pas l'OPCA historique, le 3CA qui n'est pas tout à fait un OPCA au sens de la réglementation puisqu'il vit d'une taxe parafiscale et non pas d'une contribution des entreprises.
Le FAFSAB, un OPCA spécifique aux entreprises de moins de dix salariés, a été créé il y a dix ans. Le législateur de 1971 n'avait pas introduit d'obligation légale de dépenser pour ces entreprises. C'est à partir d'un accord dans l'artisanat que le législateur a repris le dispositif en 1989 et, dès lors, s'est créé dans l'artisanat, un FAF (fonds d'assurance formation spécifique) pour nos 400.000 salariés de l'artisanat. Par ailleurs, nous avons un OPCA Bâtiment pour les entreprises de plus de dix salariés, soit 14.000 entreprises qui représentent 451.000 salariés. Dans le paysage du BTP, nous avons aussi un OPCA Travaux publics dont je ne suis pas autorisé à parler.
M. Didier Migaud, rapporteur général : Dans votre réponse à M. Jacques Barrot, vous avez dit recourir aux services de l'AFPA. Recourrez-vous à d'autres organismes publics pour assurer les formations ? Êtes-vous satisfait de l'efficacité des prestations apportées par ces organismes ? Pouvez-vous nous apporter également des précisions sur le ratio coût/efficacité, que vous pouvez vous-même calculer ? Avez-vous établi une grille de calcul de coût moyen par type de formation ? Comment se situent ces organismes publics par rapport à d'autres organismes qui peuvent exister ?
M. Jean Michelin : Effectivement, l'AFPA est un grand partenaire. Le budget qu'elle consacre aux actions de formation du bâtiment est considérable : nous l'estimons à environ 1,5 milliard. L'AFPA répond au besoin d'une formation très professionnelle et moins théorique qu'ont des salariés adultes prêts à entrer dans nos entreprises du bâtiment et qui y évolueront. Certains d'ailleurs deviennent, après quelque temps, artisans.
Ne me faites pas dire que l'AFPA ne travaille que pour l'artisanat, ce ne serait pas vrai. De grandes entreprises du bâtiment ont des partenariats avec l'AFPA, tant pour la formation que pour des évaluations ou des dispositifs d'orientation.
Dans l'Éducation nationale, la profession travaille avec des GRETA, selon une politique de partenariat très forte. Nos relais régionaux des OPCA ont, depuis plusieurs années, développé ou apporté de l'ingénierie et de l'aide à des GRETA afin d'offrir des formations ouvertes en permanence, dans des unités ou centres spécifiques au bâtiment. Cela marche bien. Les entreprises en sont satisfaites.
L'AFPA et l'Éducation nationale sont les deux grands partenaires, mais nous en avons d'autres dans la profession. Nous travaillons évidemment avec les 90 CFA du bâtiment et les Compagnons du devoir, qui sont de grands formateurs, chacun répondant à des attentes différentes des entreprises.
Aujourd'hui, nous expérimentons des dispositifs d'évaluation et de certification, par rapport aux titres existants du ministère du Travail ou aux diplômes de l'Éducation nationale. Ce point sera à l'ordre du jour de nos commissions paritaires de l'emploi qui se tiendront la semaine prochaine, afin d'étudier la possibilité d'accompagner ces dispositifs de validation et de certification des qualifications et des compétences.
S'agissant des coûts, je ne suis pas très bien placé pour vous les donner dans le détail. Pour les 137 000 salariés ayant suivi une action de formation continue dans le bâtiment en 1997, le coût moyen était d'environ 147 francs de l'heure, coûts pédagogiques, salaire et frais de stage compris. Ce coût se situe tout à fait dans la moyenne et il serait même plutôt dans la moyenne inférieure.
M. Didier Migaud, rapporteur général : Comment se situent l'AFPA et les GRETA par rapport à ce coût moyen ?
M. Jean Michelin : Cela dépend de la nature du stage, du niveau d'intervention. Il est certain que lorsque la grande école spécialisée des ingénieurs de travaux publics, l'ESTP, offre une action de formation continue à des ingénieurs, le prix est plus élevé. Pour la formation des ouvriers, - 78 % de nos salariés sont des ouvriers -, consistant en des actions de perfectionnement technique, de mise à niveau dans les domaines généraux, les prix sont de 150 francs, plus ou moins 20 %, quel que soit l'organisme intervenant.
Il y a eu quelques abus, notamment dans l'utilisation du capital de temps de formation pour des formations liées au développement informatique, mais les conseils d'administration des OPCA se sont emparés de l'affaire afin d'y remettre de l'ordre.
M. Francis Delattre : S'agissant de l'offre, avez-vous l'impression qu'elle est un peu débridée ? Avez-vous vécu des cas de gabegie concrets dans votre secteur ? Par ailleurs, nous entendons souvent les maîtres d'oeuvre nous expliquer qu'ils ont des difficultés à trouver tel ou tel métier. Pouvez-nous dire plus précisément quels sont les métiers qui, aujourd'hui, vous paraissent mal pourvus par la formation professionnelle ?
M. Jacques Lair : Pour répondre à la deuxième partie de votre question, l'évolution de nos professions est très importante. Il y a quelques années, nous étions plutôt sur le tout neuf et aujourd'hui, nous sommes à plus 50 % dans le domaine de la réhabilitation. Il est évident que le savoir-faire et la connaissance requis par un ouvrier ou un cadre pour mener à bien des travaux neufs ou de réhabilitation sont totalement différents.
Il est vrai que, avec certaines spécificités, mais cela s'applique à tous les métiers, que ce soit le gros oeuvre ou les corps d'état techniques, chauffage, plomberie, électricité, climatisation, nos déficits sont actuellement importants. C'est toute la réactivité de notre système qui doit permettre d'y remédier ; les partenariats établis, que ce soit au niveau du ministère de l'Éducation nationale ou de l'AFPA, nous permettent d'y répondre assez facilement. Toutefois, nous savons que sur tout l'aspect réhabilitation, nous sommes amenés à une action de formation importante.
Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur Delattre, avez-vous eu toutes vos réponses ?
M. Francis Delattre : J'ai l'impression que l'offre de formation professionnelle, dans ce secteur comme dans d'autres, est un peu débridée. On peut avoir un avis différent.
M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Avec votre mécanisme interne de formation dans les OPCA, et vos 90 centres de formation pour l'apprentissage, vous contrôlez une grande partie de l'offre. Toutefois, lorsque vous devez recourir à des organismes formateurs extérieurs, n'avez-vous pas le sentiment parfois d'avoir un résultat médiocre pour un coût relativement élevé ? C'est peut-être moins vrai dans le bâtiment où l'on reste très proche des réalités, mais n'avez-vous pas des exemples d'offreurs de formation qui ne sont pas tout à fait à la mesure des ambitions qu'ils proclament et des services qu'ils prétendent apporter ?
M. Jacques Lair : Tout à fait. Nous l'avons constaté, mais dans une période plus ancienne. Dans la période récente, les entreprises et leurs salariés ont appris à acheter de la formation et à faire un cahier des charges pour répondre aux besoins de l'entreprise et de ses salariés. Nous avons beaucoup progressé. Les services d'études ou d'ingénierie des AREF se sont penchés sur le sujet pour répondre justement aux besoins des entreprises.
Aujourd'hui, la formation se fait à la carte. Nous insistons beaucoup, dans notre fédération, sur la réponse aux besoins spécifiques, en faisant une évaluation préalable du salarié et en déterminant ce vers quoi on veut qu'il aille, de façon que la formation soit bien calquée sur le besoin.
Lors de certaines périodes, on sait qu'il y a eu quelques exemples, sinon de gabegie - le mot est peut-être fort - du moins d'exagérations.
M. Jean-Jacques Jegou : Mes deux questions tournent autour du débat que nous avons actuellement. Notre rapporteur spécial, Jacques Barrot, a bien spécifié que la profession du bâtiment est l'un de ceux qui ont le mieux organisé le champ de la formation. Mes questions seront peut-être redondantes ; elles visent à clarifier le débat.
Dans le secteur du bâtiment, existe-t-il des structures qui établissent les besoins et les expriment en termes de demandes annuelles ou pluriannuelles ? En effet, en tant qu'élu local, aussi bien dans les appels d'offres dans nos relations avec les entreprises sur le terrain, nous avons tous au moins dit une fois que l'on ne trouve jamais ce dont on a besoin.
J'irai plus loin. Le type de population que l'on voit sur les chantiers montre bien qu'il reste encore des efforts à faire, si l'on veut y voir nos jeunes. Sans vouloir exagérer les choses, il y a encore très peu de temps, on voyait sur les chantiers, principalement, des travailleurs d'origine portugaise qui, par la suite, ont amené des travailleurs d'origine angolaise et de " formation " portugaise. Cette constatation amène à conclure que certaines demandes ne sont pas satisfaites. En premier lieu, comment établissez-vous leur état ?
Par ailleurs, vous citez des chiffres faramineux : 266.000 entreprises ; vingt-cinq métiers différents ; 1,05 million d'actifs, dont 800.000 salariés et 200.000 artisans. Quant aux jeunes, vous citez le chiffre de 75.000 dans les entreprises - 65.000 apprentis et 10.000 contrats d'alternance - et, en ajoutant les jeunes en formation dans l'Éducation nationale, un total de 100 000 jeunes. Ce sont les données de départ. Qu'en est-il à l'arrivée ?
Vous parlez principalement de l'AFPA, dont nous venons d'auditionner le directeur général et vous évaluez son budget formation pour le BTP à 1,5 milliard, ensuite vous mentionnez les GRETA... Tout cela s'empile. A-t-on calculé un coût total ? Vous avez parlé de l'évaluation de la formation, mais cette formation ne perd-elle pas en ligne entre le moment où l'on a fait la dépense - pour l'AFPA, on a parlé d'un pourcentage de stagiaires qui se perdait dans la nature - et l'arrivée dans les entreprises ? Comment sont arrêtés les besoins en formation de salariés ? Pourquoi ceux-ci ne se retrouvent-ils pas sur les chantiers de nos entreprises ? Celles-ci ne refusent-elles pas souvent des chantiers car elles n'ont pas la main d'oeuvre suffisante ?
M. Jean Michelin : Nous travaillons beaucoup sur l'essai d'identification des besoins, avec plus ou moins de succès, il faut le dire. Au niveau national, nous avons redonné aux commissions paritaires nationales de l'emploi, cette ambition de mieux appréhender les besoins, les flux, les renouvellements... Nous nous entourons d'expertises provenant de nos propres organismes, et nous avons établi avec le CEREQ un partenariat au terme duquel sortira, dans l'année à venir, un tableau de bord permanent de l'évolution des emplois et des qualifications des jeunes dans notre secteur.
Il est vrai que, bien que nous formions un grand nombre de jeunes, jamais nous n'en avons eu aussi peu dans nos entreprises. C'est un réel problème. On ne sait comment les garder. On peut nous dire que les entreprises ne les paient pas... Il est possible de trouver toutes sortes de raisons à cet état de fait.
M. Jean-Jacques Jegou : L'image du bâtiment peut-être ?
M. Jean Michelin : On pourrait également développer cet aspect. Au niveau national, nous essayons d'appréhender des grands indicateurs avec les grands experts de la nation sur ces questions. C'est vraiment à l'ordre du jour de nos travaux actuels. Par ailleurs, nous avons mis en place, dans chaque région ou presque, des observatoires emploi-formation BTP, complémentaires des OREF des conseils régionaux. Ces observatoires travaillent sur l'intérim dans le bâtiment, sur les besoins en renouvellement des jeunes et également sur le besoin en renouvellement des chefs d'entreprise, dont 30 % vont passer le relais dans les dix années à venir.
Ces observatoires réunissent des partenaires de l'acte de construire : la cellule économique, notre AREF, les représentants des CFA, les partenaires sociaux, parfois l'État et ses services, les conseils régionaux. Notre objectif est de bien appréhender la dimension de l'offre, notamment de l'apprentissage : nous avons augmenté de 50 % les effectifs d'apprentis en quatre ans, alors que, dans la même période, nous avons perdu environ 250.000 emplois.
Il faut travailler - c'est l'un des points de notre négociation de la semaine prochaine - sur la fidélisation des jeunes qui, pendant quatre ans, préparent, par exemple, un CAP ou un brevet professionnel. Le brevet professionnel, dans nos professions, est un diplôme très apprécié car nous avons des métiers à fort contenu de savoir-faire. Nous travaillons donc sur la fidélisation. L'accord, signé entre toutes les organisations le 6 novembre dernier, affiche cet objectif et met déjà en avant des perspectives de fidélisation.
Par ailleurs, le dispositif des associations régionales de formation, mis en place depuis vingt ans, contribue à accompagner les entreprises dans l'expression de leurs besoins. Il n'est pas toujours facile à une entreprise de le faire. Elle sait qu'elle doit trouver un marché et qu'elle a besoin de personnels, mais si on lui demande de formuler ses besoins à horizon de cinq ans, elle ne sait pas bien faire.
Nous avons investi 20 millions de francs pour former à l'expertise, dans ce domaine, nos conseillers qui assurent ce service de proximité auprès des entreprises. L'objectif est de faire préciser la stratégie de l'entreprise, de lier stratégie, démarche qualité, démarche compétences, d'évaluer les besoins de renouvellement. Il s'agit de jouer un réel rôle d'interface entre l'entreprise et l'offre de formation, et de peser sur cette offre.
Nous avons divisé par deux certaines des prestations de l'AFPA, non pas en termes de coûts, mais de durée de formation, car nous avons été en mesure de mieux l'évaluer. Avec tous les autres formateurs, nous suivons cette démarche de charte qualité. Nous mettons en place des outils de diagnostic pour mieux appréhender le besoin de formation et accompagner les entreprises.
Reste que, pour le moment, l'on n'a pas rassemblé tous ces indicateurs de manière à savoir quel est l'investissement total pour une profession telle que la nôtre. La difficulté provient de l'existence, dans notre champ d'activité, d'un élément dont on parle rarement, mais qui est très important, la formation sur le tas. On apprend en faisant, c'est encore plus vrai dans nos métiers manuels, et cette démarche n'est pas toujours valorisée. On nous dit parfois que nous ne sommes pas très bons, en termes de pourcentage du chiffre d'affaires des entreprises dans l'investissement en formation continue, mais l'investissement interne de formation sur le " tas " n'est jamais comptabilisé, les critères actuels légaux ne nous le permettant pas.
M. Jacques Lair : Il y a peu de choses à ajouter. Il est certain que, sur la fidélisation, nous nous posons des questions. Nous avons perdu 250.000 emplois en peu d'années, tout en étant constamment en recherche de personnels ayant un profil plus adapté à l'activité qui allait bouger. L'existence de ce flux d'entrants et de ce flux de sortants n'est pas facile à expliquer. Les entreprises ont aussi des difficultés à exprimer leurs besoins, elles ne savent pas trop ce qu'elles vont faire demain.
L'absence de perspectives des entreprises a été certainement l'un des vecteurs qui nous a fait perdre beaucoup de l'important investissement financé par le biais des cotisations des entreprises, des contributions de l'État, des collectivités locales ou régionales.
Actuellement, nous arrivons à mobiliser davantage les entreprises puisque les perspectives semblent meilleures dans le bâtiment.
M. le Rapporteur spécial : Avec la régionalisation qui s'est affirmée en quelques années et vos rapports avec les conseils généraux, avez-vous trouvé les partenariats que vous souhaitiez, même si vous étiez déjà structurés ? Vous avez mentionné dix-huit régions ; à notre connaissance, il y en a un peu plus, donc certaines n'ont pas signé. Vous avez des contrats d'objectifs. Estimez-vous que, dans ce domaine, le partenariat pourrait être encore amélioré ? Je pense aux financements des centres de formation d'apprentis qui sont des investissements relativement lourds. Êtes-vous satisfait de l'action des régions ?
M. Jean Michelin : Nous sommes très satisfaits du partenariat avec les régions. C'est vrai, comme vous le rappeliez, que nous étions organisés régionalement depuis 1972, dix ans avant les lois de décentralisation. Cela nous a facilité la tâche lors des négociations avec les conseils régionaux, dans le cadre de la première compétence qu'ils avaient reçue et qui était celle de l'apprentissage. Ces négociations ont été aisées, parce que notre système est reconnu par tous comme transparent et bien géré. Il est certainement perfectible, mais il faut aussi voir les jeunes qui entrent dans notre apprentissage, les difficultés qu'ils rencontrent et l'effort que nous faisons pour les réconcilier avec l'effort.
Dans toutes les régions, des contrats de qualité ont été passés entre les conseils régionaux et nos CFA. Si seuls dix-huit conseils régionaux ont signé les contrats d'objectifs, les autres sont en négociation. Cela tarde un peu, mais c'est en préparation. Il y a donc des partenariats renouvelés, intéressants.
Nous nous sommes décentralisés afin d'avoir la capacité de négocier avec les institutions publiques régionales. Par exemple, nous avons relancé nos commissions paritaires régionales emploi-formation pour qu'il y ait dans chaque région un dialogue social, entre la profession dans sa dimension paritaire (partenaires sociaux) et les institutions publiques (conseil régional et État au niveau régional).
Aujourd'hui, lorsque nous proposons une convention de développement, que ce soit de l'apprentissage ou de la formation continue, elle est débattue en commission paritaire régionale emploi-formation avant d'être négociée et proposée aux pouvoirs publics régionaux. Un dialogue s'installe et la décentralisation est maintenant de plus en plus efficace.
M. Jacques Lair : Je voudrais ajouter que la profession, que ce soit au niveau des employeurs ou des salariés, a décidé de prendre en main l'orientation. Nous considérons que l'orientation doit être faite par les employeurs et les salariés, et non plus par des organismes de formation. Nous avons connu une époque, pas si ancienne, où les organismes de formation dictaient la conduite des employeurs et des salariés. Depuis quelques années, cela a été considéré comme inacceptable.
C'est pourquoi nous avons redonné de l'action et de la vigueur à la commission nationale paritaire de l'emploi et de la formation ainsi qu'à ces mêmes commissions au niveau régional, de façon qu'il y ait conjugaison de ces deux niveaux.
M. le Président : Je vous remercie de vos réponses.
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