B.- DES ACTEURS NOMBREUX, INDÉPENDANTS LES UNS DES AUTRES ET PEU COORDONNÉS

M. Jacques Delors a avoué sa perplexité au groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique :

« Moi, par exemple, qui suis à l'origine de la loi sur la formation professionnelle, je n'arrive pas à me faire une idée sur où on est de la formation professionnelle permanente entre ce que font l'État, les budgets publics décentralisés et les acteurs non publics. »

Le système de la formation professionnelle est en effet devenu un monde non seulement complexe, mais aussi cloisonné : de nombreux acteurs poursuivent des buts peu complémentaires en direction de publics très hétérogènes. Le système de la formation professionnelle s'est adapté à la diversité des parcours personnels des candidats à la formation : qu'ont en commun les publics « jeunes » dépourvus de toute qualification, les primo-demandeurs d'emploi, de jeunes apprentis, les cadres en formation continue ou les personnes illettrées en situation d'exclusion ? Cette hétérogénéité des publics se reflète dans la multiplicité des acteurs et les « divisions du travail » mises en _uvre au sein du système de la formation professionnelle.

1.- DES ACTEURS NOMBREUX ET PEU COORDONNÉS

En 1997, sur un total de dépenses de formation professionnelle de 138 milliards de francs, la part de l'État représentait 40 %, hors formations délivrées aux agents publics. En effet, la politique de formation professionnelle est d'abord une politique négociée entre les partenaires sociaux. Elle est également devenue une compétence des régions.

a) L'action directe de l'État : le contrôle et l'AFPA

Si l'État est plus souvent un financeur qu'un véritable acteur, il continue à jouer un rôle éminent en matière de formation professionnelle. Il fixe les normes légales et réglementaires et il assume lui-même une part importante des dépenses annuelles de formation, en partie à travers le programme national de la formation professionnelle (PNFP) et surtout grâce à l'action de l'AFPA.

· L'AFPA, une association du service public de l'emploi

Les dotations annuelles attribuées à l'AFPA ont représenté en loi de finances initiale pour 1999, 4.128 millions de francs (dotation de fonctionnement) et 330 millions de francs (dotation d'équipement). L'AFPA, qui emploie 10.800 salariés en équivalents temps plein, dispose de 220 centres de formation et de 180 centres d'orientation.

L'ampleur des moyens mis en oeuvre contraste avec la faiblesse relative des résultats, comme l'ont souligné les travaux de la MEC.

Les membres de la mission se sont également interrogés sur la stratégie de long terme adoptée par le Gouvernement pour l'AFPA. La fin des interventions dans le secteur concurrentiel, le recentrage sur l'accueil et l'orientation des personnes en difficulté, tels qu'ils ont été décrits aux membres de la mission d'évaluation et de contrôle par Mme Nicole Péry et M. Gilbert Hyvernat, sont-ils compatibles et cohérents avec les moyens actuels de l'AFPA ?

Selon les termes du nouveau contrat de progrès, l'AFPA doit consacrer ses moyens d'orientation professionnelle non plus seulement à son propre dispositif, mais également aux dispositifs et organismes qui l'entourent. Elle devra recevoir des flux importants de demandeurs d'emploi, les conseiller et les orienter. Sa fonction d'évaluation des qualifications sera renforcée. Selon son directeur, « Les indications chiffrées du contrat en disent long sur cette évolution. Si, aujourd'hui, nous recevons 80.000 à 100.000 personnes par an en orientation, à échéance du contrat de progrès, dans cinq ans, ce seront 250.000 personnes qu'il nous faudra recevoir dans notre structure, soit pour les orienter vers nos propres services, soit pour leur proposer une évolution dans d'autres organismes de formation, qu'ils soient conventionnés avec nous, ou relèvent des chambres de commerce, des chambres des métiers, etc. J'insiste sur ce point : le dispositif de formation qualifiant est un dispositif lourd. »

Depuis le sévère rapport de la Cour des comptes de 1997, des efforts de rigueur de gestion ont été engagés, en particulier grâce à l'institution de négociations salariales internes régulières, la désindexation des rémunérations et le respect de l'obligation des placements dans le circuit du Trésor. La désindexation des salaires, selon M. Hyvernat, a permis à l'État d'économiser annuellement entre 60 à 70 millions de francs.

· Le contrôle administratif et juridictionnel de l'État

Le contrôle de la formation professionnelle est effectué par le groupe national de contrôle (GNC) , unité de quatorze personnes, dont quatre sont habilitées à effectuer des contrôles sur le terrain. Le GNC anime et coordonne les 22 services régionaux de contrôle. Ces services régionaux emploient 140 agents, dont une centaine remplit une mission de contrôle (effectif « notoirement insuffisant » a précisé M. Jean Lambert). Le GNC contrôle les organismes paritaires collecteurs agréés à compétence nationale. Comme l'a rappelé devant la mission M. Jean Lambert, « les prix des prestations de service de formation sont libres depuis 1986. Ils sont déterminés par le jeu de l'offre et de la demande. » Dès lors, le contrôle porte à la fois sur le respect par les entreprises de l'obligation légale du financement de la formation professionnelle et la gestion des organismes collecteurs et des organismes dispensateurs de formation. Mme Nicole Péry a indiqué que le nombre d'organismes dispensateurs de formation contrôlés en 1998 se montait à 623, et le nombre d'organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) contrôlés à 12.

Comme Mme Nicole Péry et M. Gilles Loffredo (« Je ne peux que déplorer la faiblesse du dispositif de contrôle de la formation professionnelle. Sans vouloir verser dans le travers d'un jacobinisme exacerbé, je crois que le dispositif national de contrôle est faible ») l'ont reconnu, compte tenu du nombre d'organismes à contrôler, les effectifs du contrôle semblent trop réduits, particulièrement au niveau du GNC, où seuls trois inspecteurs sont effectivement en mission. Si l'on met en regard le niveau des effectifs et la population des organismes, il devient évident que certains ne seront jamais contrôlés. Le contrôle est donc insuffisant, à la fois sur les organismes dispensateurs de formation et sur les OPCA. A cet égard, le récent rapport d'information n°1687 de l'Assemblée nationale « Les sectes et l'argent », rédigé par M. Jean-Pierre Brard, évoquant l'infiltration d'organismes dispensateurs de formation par des organisations sectaires, souligne cette carence.

Le contrôle de la Cour des comptes, tel qu'il est défini par les textes en vigueur, ne s'étend pas pour l'instant aux OPCA. Cette lacune sera bientôt comblée : l'article 11 du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, modifie l'article L. 111-7 du code des juridictions financières afin d'autoriser la Cour des comptes à pratiquer des contrôles sur « les organismes qui sont habilités à recevoir des taxes parafiscales, des impositions de toute nature et des cotisations légalement obligatoires, de même que sur les organismes habilités à percevoir des versements libératoires d'une obligation légale de faire ».

b) Les partenaires sociaux, acteurs historiques de la formation professionnelle

La formation professionnelle, essentielle au développement personnel des salariés comme à la compétitivité des entreprises, a toujours été étroitement liée au contrat de travail ; les partenaires sociaux ont été amenés à bâtir un système particulier indépendant de l'administration. La négociation a toujours précédé la législation. Ainsi, la loi n°71-576 du 16 juillet 1971 portant sur l'organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de la formation permanente reprend les stipulations de l'accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970. Comme l'a rappelé M. Gilles Loffredo, les conseils d'administration de l'AGEFAL et du COPACIF sont des organes paritaires avec des présidences alternantes entre les organisations de salariés et les organisations d'employeurs.

La volonté de l'État d'exercer un contrôle sur un domaine du ressort des partenaires sociaux est parfois vécue comme une ingérence. Cette réaction est parfois légitime : il serait en effet à la fois absurde et impossible de vouloir contrôler à un niveau micro-économique l'utilité de chaque dépense de formation engagée par une entreprise, un salarié ou un demandeur d'emploi. Après avoir indiqué que les chefs d'entreprise devenaient de plus en plus vigilants sur leurs dépenses de formation professionnelle, Mme Nicole Péry a ainsi reconnu qu'il était impossible de mettre en place un corps d'« inspecteurs pédagogiques de la formation professionnelle ».

Le contrôle de l'État apparaît cependant fondé dans ses prérogatives de contrôle global et de promotion de la transparence des mécanismes financiers.

c) Les nouvelles compétences des régions

Les lois de décentralisation de 1983 ont attribué à la région la compétence de la formation professionnelle. Elles sont devenues en 1996 le troisième financeur de la formation professionnelle, après avoir obtenu la compétence de droit commun en matière d'apprentissage en 1984. Les contrats de Plan État-régions comportent donc un volet « formation professionnelle ».

L'articulation entre les structures de branches (que ce soit les organisations syndicales ou patronales) et les régions est parfois insuffisante. Un contre-exemple a été donné à la mission par M. Jean Michelin, qui a expliqué comment les structures de branche du bâtiment s'étaient décentralisées :

« Dans toutes les régions, des contrats de qualité ont été passés entre les conseils régionaux et nos CFA. Si seuls dix-huit conseils régionaux ont signé les contrats d'objectifs, les autres sont en négociation. Cela tarde un peu, mais c'est en préparation. Il y a donc des partenariats renouvelés, intéressants. Nous nous sommes décentralisés afin d'avoir la capacité de négocier avec les institutions publiques régionales. Par exemple, nous avons relancé nos commissions paritaires régionales emploi-formation pour qu'il y ait dans chaque région un dialogue social, entre la profession dans sa dimension paritaire (partenaires sociaux) et les institutions publiques (conseil régional et État au niveau régional). »

La décentralisation des compétences ne s'est pas toujours accompagnée des structures de concertation et des moyens du contrôle correspondants. Il semble que les mécanismes d'évaluation actuels soient déficients. Ainsi, les services de contrôle de la formation professionnelle ne sont pas compétents pour les actions de formation financées par les régions. Mme Nicole Péry, après avoir constaté que certaines régions voyaient avec réticence la mise en place d'un contrôle de l'État et qu'elles s'engageaient moins en direction des publics les moins qualifiés (niveau V), a souhaité devant la mission que soit instituée une « évaluation régulière des politiques régionales ».

Le Livre blanc signale que le Comité des programmes régionaux d'apprentissage et de formation professionnelle rendra au Parlement son rapport sur le rôle des régions avant la fin 1999. Ce document permettra de formuler des propositions visant à renforcer l'évaluation des politiques régionales.

2.- UNE RÉPARTITION COMPLEXE DES TÂCHES

a) Évaluer, orienter, former

Le système français de formation professionnelle assure la prise en charge des actions suivantes par des organismes ou des dispositifs différents :

· l'établissement des bilans de compétences, réalisée notamment par l'AFPA et les centres interinstitutionnels de bilans de compétences,

· l'orientation professionnelle ou sociale (l'ANPE, les Permanences d'Accueil, d'Information et d'Orientation, les missions locales),

· et, enfin, la formation elle-même, assurée par de multiples organismes publics, parapublics (associations), ainsi que les organismes consulaires et privés.

Il faut mentionner, comme facteur supplémentaire de complexité, la multiplication des « guichets » due à l'autonomie des ASSEDIC, organismes chargés de l'indemnisation des demandeurs d'emploi, catégorie très demandeuse de formation. Les ASSEDIC cofinancent également un régime d'indemnisation spécifique destiné aux demandeurs d'emploi en formation : l'allocation formation reclassement (AFR), qui représente 13 % des dépenses en faveur des demandeurs d'emploi.

La collaboration entre l'ANPE et l'AFPA, particulièrement au niveau local, n'est pas toujours optimale. Mme Nicole Péry a indiqué qu'elle s'intensifierait dans le cadre du programme « Nouveaux départs » du Plan national d'action pour l'emploi, et M. Hyvernat a expliqué que les termes du nouveau contrat de progrès 1999-2003 institutionnalisent cette collaboration, pourtant jusqu'à présent handicapée par des maillages locaux différents.

b) La « division du travail » se poursuit en matière de financement

Pour des raisons historiques et pratiques évidentes, le système procède également à la distinction entre :

· les financeurs (l'Union européenne, l'État, les régions, la collecte des fonds sur la masse salariale des entreprises effectuée par les 99 organismes paritaires collecteurs agréés),

· les prescripteurs de formation (l'ANPE, les entreprises, les salariés eux-mêmes),

· et les prestataires de formation (les organismes publics et parapublics de formation, les organismes consulaires, et les dizaines de milliers d'organismes privés dispensateurs de formation).

Les cofinancements et les transferts financiers entre ces acteurs contribuent à brouiller l'évaluation. En 1996, les transferts entre financeurs ont représenté environ 30 milliards de francs. Par exemple, les dotations de décentralisation versées par l'État aux régions ont représenté 7,8 milliards de francs dans la loi de finances initiale pour 1999 (elles financent notamment des rémunérations de stagiaires). De même, conformément au principe d'additionnalité, les financements provenant de l'Union européenne (Fonds social européen) sont des cofinancements.

c) L'absence de prise en charge complète des frais de formation interdit l'évaluation globale de l'effet des dépenses engagées

Le système distingue souvent :

· la prise en charge des frais pédagogiques (le coût proprement dit de la formation : rémunération des formateurs, coût du matériel pédagogique, frais immobiliers...),

· et la rémunération du stagiaire ou du jeune sous contrat d'alternance. Cette rémunération peut donner lieu à des versements de primes ou d'exonérations de cotisations destinés à l'employeur (contrats de qualification et apprentissage notamment), rendant difficile le calcul du ratio coût/efficacité des dispositifs considérés.

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